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Au moins 150 blessés après une explosion à Addis Abeba

23 juin 2018

Au moins 150 personnes ont été blessées, dont six dans un état critique, après l'explosion d'une grenade lancée au milieu d'une foule immense venue écouter le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed.

Äthiopien Kundgebung Premierminister Abiy Ahmed in Addis Ababa | Explosion
Image : Oromo Media Network

 Le Premier ministre  Abiy Ahmed venait  de finir son discours et saluait la foule quand l'explosion s'est produite, provoquant un mouvement de foule vers l'estrade et des scènes de confusion. Le Premier ministre a quitté précipitamment les lieux sain et sauf. Son chef de cabinet Fitsum Arega a indiqué que 83 personnes avaient été blessées, dont six se trouvaient dans un état critique, selon les informations recueillies par le gouvernement de sources policière et hospitalière. Un peu plus tôt, le Premier ministre, dans une adresse télévisée, avait fait état de plusieurs morts.

Abiy visé par l'attaque ? 

Le Premier ministre éthiopien a déclaré que l'incident avait été planifié par des groupes cherchant à discréditer le rassemblement et son programme de réformes. "Les gens qui ont fait ça appartiennent à des forces opposées à la paix. Vous devez arrêter de faire ça. Vous n'avez pas réussi dans le passé et vous ne réussirez pas dans le futur", a lancé M. Abiy.

Image : Ahmed

Depuis sa prise de fonctions, après plus de deux années de manifestations antigouvernementales ayant coûté son poste à son prédécesseur Hailemariam Desalegn, M. Abiy a impulsé des changements majeurs, libérant nombre d'opposants emprisonnés et initiant une libéralisation de l'économie. Il a aussi décidé de mettre un point final au différend avec l'Érythrée et opéré un important remaniement de responsables sécuritaires.
     

Le rassemblement avait débuté dans le calme

Des spectateurs brandissaient des drapeaux du Front de libération oromo (OLF), un groupe armé rebelle, et une ancienne version du drapeau éthiopien, symbole des manifestations antigouvernementales. La police, qui par le passé arrêtait quiconque agitait de tels drapeaux, laissait cette fois faire. Dans son discours, M. Abiy a exprimé sa gratitude à la foule et a vanté les vertus de l'amour, de l'harmonie et du patriotisme. "L'Éthiopie sera à nouveau au sommet et les fondations en seront l'amour, l'unité et le rassemblement", a-t-il notamment déclaré.

Image : Ahmed

Mouvement de panique

 Après l'explosion, des dizaines de personnes ont envahi la scène dans la confusion totale, et commencé à lancer des objets divers vers la police en criant: "A bas, à bas Woyane", ou "Woyane voleur", en référence au surnom péjoratif utilisé pour qualifier le gouvernement, selon les témoins. Des échauffourées ont commencé à éclater entre spectateurs et des pierres ont été lancées en direction des journalistes, qui ont dû s'abriter. La police s'est d'abord gardée d'intervenir.


Des dizaines de milliers de personnes ont continué à chanter dans le calme et à manifester leur mécontentement à l'égard des autorités. La police est finalement intervenue en lançant des gaz lacrymogène pour disperser la foule. A la mi-journée, la place était complètement vide en dehors d'une forte présence policière, selon un journaliste de l'AFP.

Vive tension dans le pays

Le nouveau Premier ministre a pris les rênes du pays à un moment où, selon de nombreux observateurs, la coalition au pouvoir depuis 1991, et à laquelle il appartient, s'est retrouvée dos au mur.  Confrontée au plus important mouvement de protestation en 25 ans et à la mobilisation des deux principales ethnies du pays (oromo et amhara), le pouvoir a d'abord répondu par la répression (plus de 1.000 morts, un état d'urgence de 10 mois), avant de lâcher du lest, avec la démission du Premier ministre Hailemariam Desalegn en février, puis la nomination de M. Abiy.  

Et même si ce dernier, premier chef du gouvernement éthiopien issu de l'ethnie oromo, était perçu lors de sa nomination comme un rénovateur, peu d'observateurs s'attendaient au train de réformes des dernières semaines. 

Pour les analystes, la mise en oeuvre de ces mesures ne se fera cependant pas sans susciter des tensions. La promesse de M. Abiy de rétrocéder à l'Érythrée des portions de territoires frontaliers a ainsi déjà suscité en Ethiopie la réprobation des Tigréens, très influents dans les cercles du pouvoir avant sa nomination.

Source : AFP
 

Analyse de Hallelujah Lulie, expert en sécurité

 

L'attentat à la bombe dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, samedi, a été qualifié par beaucoup d'affront à la paix et à la stabilité, faisant craindre que le pays ne sombre dans la tourmente politique.

DW a parlé à Hallelujah Lulie, un analyste régional de la sécurité qui était présent sur les lieux du rassemblement peu de temps avant l'explosion.

DW: Quel pourrait être le motif derrière cette attaque ?

Hallelujah Lulie : Je pense qu'il est trop tôt pour parler du motif qui pourrait être derrière l'attaque. Nous devons attendre que les enquêtes soient terminées sur le type de bombe utilisée et sur les auteurs de l’attaque.

L'organisateur du rassemblement a déclaré que le Premier ministre Abiy Ahmed était la cible. Pourrait-il y avoir des gens qui ne sont pas satisfaits de la nouvelle façon de gouverner du Premier ministre et pourquoi?

Oui, non seulement les organisateurs mais aussi certains membres de son parti disent que c'était une tentative d’assassinat du Premier ministre. Ils essaient de faire le lien avec le type de restructuration radicale de sa  nouvelle politique, et pointent également du doigt des groupes mécontents qui pourraient être dans l'armée ou les groupes de renseignements ou politiques qui ne sont pas heureux avec le genre de changements qu'Abiy a amorcé. Mais comme je l'ai dit, il est trop tôt pour dire et pointer du doigt n'importe qui.

Peu après l'incident, le Premier ministre lui-même a appelé à la paix, à l'unité et au pardon de tous ceux qui auraient pu être à l'origine de l'attaque et a même fait un pas de plus pour envoyer des messages de condoléances aux familles des blessés. Qu'est-ce que cela nous dit sur le personnage d'Ahmed?

Je pense que son message résonne bien avec les masses qui sont venues le soutenir et les réformes qu'il entreprend.
Nous ne savons pas encore qui pourrait être derrière cette attaque mais il y a beaucoup de possibilités. Cela pourrait être al Shabaab, un individu ou une organisation. Nous ne pouvons pas dire si son message résonne bien dans le milieu des gens qui ont perpétré l'attaque parce que nous ne les connaissons pas encore.

L'Érythrée, voisine de l'Éthiopie, a condamné l'explosion. Êtes-vous surpris par ce message de soutien plutôt amical d'un pays avec lequel l'Éthiopie est en désaccord?

Pas vraiment, je pense qu'on s'attendait si vous connaissiez le genre de changements qui se produisent en Éthiopie et la décision d'accepter la reconnaissance  de la frontière commune (qui a été mise en place pour régler le conflit frontalier entre l'Éthiopie et l'Érythrée).  Il y a un changement en Éthiopie. C'était une sorte de branche d'olivier qui était très difficile à rejeter et c'était aussi le rôle des médiateurs de la région et au-delà. Ce n'est donc pas une surprise pour moi que le gouvernement d'Erythrée ait salué l'initiative de paix d'Addis Abeba.

L'Ethiopie pourrait-elle basculer dans l'anarchie?

Il est peu probable que l'Éthiopie bascule dans l'anarchie. Parce que l'Éthiopie a une très longue histoire de combat et que, même en période de crise, l'État a résisté malgré les luttes politiques et les graves divergences au sein de la coalition gouvernementale. Nous avons également vu qu'ils sont assez mûrs pour accepter par exemple l'élection du premier ministre Abiy Ahmed. Je pense donc pour l'instant qu'il est difficile d'imaginer un tel scénario.

 

Auteur : Isaac Mugabi