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Abus sexuels au Mali : la FIBA ne protège pas les témoins

Kalika Mehta
30 janvier 2023

Une des témoins dans l'affaire des abus sexuels au sein du basketball malien a décidé de porter plainte contre la Fédération internationale pour non-assitance.

Un ballon de basket dans les mains d'une femme
Saika Fofona n'a pas été la seule témoin lors de cette affaire Image : Elina Manninen/PantherMedia/IMAGO

Joueuse talentueuse et prometteuse, Siaka Fofana* a vu ses rêves brisés après avoir eu le courage de rejeter les avances sexuelles d'un ancien entraîneuret de les signaler à la Fédération malienne de basketball (FMBB).

"D'un côté, je suis fière de moi mais de l'autre, j'ai des regrets", a déclaré la jeune fille en exclusivité à la DW. "Cela m'a privé de certaines occasions, cela a détruit mon rêve".

L'adolescente vient de passer plus d'un an à attendre une réponse après avoir déposé une plainte officielle contre la Fédération internationale de basketball, la FIBA, l'accusant de ne pas l'avoir protégée contre les représailles.

Une accusation qu'elle a porté après avoir notamment été écartée de l'équipe nationale malienne U19 en août 2021. A cette époque, la meneuse de jeu se préparait à disputer la Coupe du monde des moins de 19 ans avec son pays.

Une exclusion infondée

Selon Ahmar Maïga, membre de la branche malienne de Young Players Protection in Africa, une ONG qui vise à protéger les enfants athlètes au Mali, l'exclusion de la joueuse de l'équipe est survenue seulement deux semaines après qu'elle a parlé avec la police au Mali, ce qui a conduit à l'arrestation de son ancien entraîneur. Ce dernier est actuellement en procès au Mali pour pédophilie, tentatives de viol et atteinte à la pudeur.

Pour justifier l'exclusion de Siaka Fofana, la Fédération malienne de basket-ball avait évoqué une blessure au genou, mais Ahmar Maïga affirme que les radiographies faites à l'époque ne témoignent pas de ladite blessure.

La seule voie de recours dont disposait alors Siaka Fofana pour récupérer sa place dans l'équipe et reprendre sa carrière était donc d'en appeler à l'aide de la FIBA.

En août 2021, un groupe d'avocats a déposé un appel, afin que la jeune femme retrouve sa place dans l'équipe. En vain ; la FIBA n'ayant pas donné suite à ce recours et ce malgré la parution du rapport McLaren, une enquête de 149 pages qui corrobore les propos de différents témoins.

"Je me sentais mal", se souvient Siaka. "Je ne pouvais pas vivre comme je le faisais avant. J'étais toute seule, tous les jours. Tout était difficile. Parfois, j'avais honte de sortir de chez moi parce que tout le monde était contre moi."

Des menaces constantes

A son exclusion de l'équipe s'ajoutent les menaces constantes. Depuis plus d'un an, Siaka et sa famille sont la cible d'insultes et de tentatives d'intimidation.

"Un homme a commencé à l'insulter dans la rue", a assuré à la DW M. Fofana, le père de la victime qui la soutient dans son combat. "Elle était seule à ce moment-là, et elle ne voulait pas répondre, parce que c'était un homme. Il lui a dit que si l'entraîneur allait être sanctionné, ils allaient tuer '[la personne] responsable' [de la sanction de l'entraîneur]."

Le père de famille se souvient aussi d'un autre incident.

"Récemment, elle était sur une moto avec son amie pour se rendre chez le psychologue. A un moment donné, deux types sont arrivés, également sur une moto, et ont commencé à l'intimider en faisant vrombir le moteur. Siaka et son amie ont essayé de comprendre ce qu'il se passait et sont tombées de leur moto", confesse-t-il.

"C'était sur une autoroute, donc tous les véhicules allaient vite. S'il y avait eu un véhicule juste derrière elle, c'était fini. Elle serait morte."

La FIBA ne réagit pas

Devant l'horreur qu'est devenue sa vie au Mali, Siaka Fofona a décidé de porter l'affaire devant le conseil de protection de la FIBA, un organisme consultatif créé en 2022 pour assurer la protection des joueurs et joueuses vulnérables. Elle invoque notamment l'article 98 qui stipule que les fédérations ne peuvent "commettre d'acte de représailles lié à un signalement de bonne foi".

La DW a demandé à la FIBA un commentaire sur cette affaire ainsi que sur les représailles subies par la joueuse, mais n'a reçu à ce jour aucune réponse à cette question spécifique.

La FIBA est présidé depuis 2019 par le Malien Hamane NiangImage : FIBA

Le bureau de communication de la FIBA n'a offert que des réponses vagues, citant notamment sa coopération avec Terre des Hommes, une ONG basée à Lausanne, en Suisse.

Cependant, des sources multiples, qui étaient à la fois sur le terrain au Mali et qui travaillaient avec d'autres ONG de premier plan dans le monde, ont déclaré à DW que Terre des Hommes n'offrait pas de soutien juridique ni de sécurité aux victimes qui ont offert leur témoignages. De plus, aucune littérature en français, la langue officielle du Mali, n'a été proposée aux victimes qui se sont rapprochées de l'ONG.

Cette situation ne pousse évidemment pas les victimes potentielles qui n'ont pas encore parlé à le faire. Lors de la préparation de son rapport, l'équipe McLaren a affirmé qu'un grand nombre de victimes et de témoins avaient refusé de s'exprimer par "honte" mais aussi par "peur de représailles".

La Fédération malienne aux mains d'un homme accusé

La peur que les témoignages ne soient pas pris au sérieux par la fédération malienne est aussi un enjeu majeur.

Une ancienne joueuse de l'équipe nationale, qui réside et joue maintenant en France, a affirmé à la DW qu'elle avait été victime des mêmes abus de la part d'un entraîneur plus de dix ans avant les allégations de Siaka Fofana, ce qui met encore plus en évidence la nature systématique des abus et la volonté de couvrir de tels cas par la FMBB.

La Fédération malienne de basket-ball a par ailleurs fait parler d'elle en début d'année. Le 8 janvier dernier, Jean-Claude Sidibé a été élu à la tête de la présidence, bien qu'il ait été mis en évidence dans le rapport McLaren comme étant une personne ayant elle-même fait l'objet de plusieurs allégations d'intimidation et d'abus sexuels de la part de témoins. Il avait déjà occupé ce poste de 2014 à 2017. 

La capacité de Jean-Claude Sidibé à accéder, de nouveau, à la tête de la FMBB est d'autant plus surprenante qu'il est l'avocat principal de l'ancien entraîneur actuellement en procès. La FIBA a donc ignoré les recommandations, notamment celles faites par le rapport McLaren, et n'a rien fait pour empêcher la nomination de Jean-Claude Sidibé.

"Je veux aller aux États-Unis pour poursuivre mes études"

Dans ce contexte difficile, le père de Siaka avoue ne pas avoir beaucoup d'espoir. "Je ne suis pas optimiste quant aux changements. Il n'y a pas eu de véritable réaction de la FIBA. Nous attendons depuis trop longtemps. Honnêtement, je suis déçu." 

Le père de famille a aussi vu la santé mentale de sa fille se détériorer de jour en jour. "J'avais l'impression qu'elle ne voulait plus rien", a-t-il déclaré. "Elle restait dans le salon, à ne rien faire, et elle ne sortait pas. J'ai essayé de la motiver. Elle préparait son baccalauréat en même temps, mais elle ne l'a pas obtenu. Elle était frustrée. Ses amis se moquaient d'elle à cause de ce qui s'était passé."

Malgré tout ce qu'elle a traversé, Siaka Fofana assure vouloir se battre pour continuer à jouer. Son amour pour le basket perdure. Et elle garde l'espoir qu'il existe encore, ailleurs, un moyen de poursuivre ses rêves.

"Je veux aller aux États-Unis pour poursuivre mes études", a-t-elle déclaré à DW. "Je n'ai pas l'impression d'avoir la sécurité ici [au Mali] pour poursuivre mon rêve. Je veux jouer aux États-Unis et je crois toujours en mon talent."

*Les noms des personnes qui ont témoigné dans cette affaire ont été changés pour protéger leur anonymat.

Cet article, originellement paru en anglais, a été traduit et édité par Sophie Serbini.