Elections en Allemagne : un électeur sur cinq a voté AfD
24 février 2025
99 % des personnes qui ont voté pour l'AfD (Alternative pour l'Allemagne) aux élections législatives du dimanche 23 février approuvent que le parti "veuille davantage limiter les arrivées d'étrangers et de réfugiés" en Allemagne. Le même pourcentage estime que l'AfD a compris "plus qu'aucune autre formation politique, que les gens ne se sentent plus en sécurité". C'est ce qui ressort d'un sondage Infratest Dimap réalisé à l'issue des élections législatives du dimanche 23 février, qui ont offert près de 20 % des voix à l'extrême-droite.
Aussi, 94 % des votants du parti veulent que "tous les migrants sans autorisation de séjour doivent être expulsés aussi rapidement que possible".
Ces statistiques montrent à quel point le thème de l'immigration associé à l'insécurité, principale préoccupation des électeurs pendant la campagne, a défini le vote pour l'AfD.
Et ce thème aura été plus porteur encore dans l'est de l'Allemagne. Les résultats montrent une nette division du pays, qui suit encore l'ancienne frontière entre l'est et l'ouest, lorsque l'Allemagne n'était pas encore réunifiée. Ainsi, dans les régions de l'ex-RDA, l'AfD caracole même en tête avec 32 % des voix, contre 18% dans les régions de l'ancienne Allemagne de l'Ouest.
Par ailleurs, on observe un forte progression parmi les ouvriers et les personnes au chômage. Les personnes se trouvant dans une situation économique difficile ont massivement voté pour l'AfD (39 %).
L'AfD reste isolée
Pour autant, l'AfD n'a pratiquement aucune chance de faire partie de la prochaine coalition gouvernementale.
"Notre main est tendue", a clamé Alice Weidel, la co-présidente du parti. Selon elle, "les gens veulent une coalition bleu-noire", soit une coalition entre l'union conservatrice CDU/CSU et l'extrême-droite.
D'une part, c'est faux, puisque selon les derniers sondages, seulement 17 %, tous électeurs confondus, voudraient d'une telle coalition, et chez les électeurs de l'union conservatrice, ce chiffre tombe à 9 %.
D'autre part, le chef de la CDU, Friedrich Merz, a d'ores et déjà exclu un tel partenariat, malgré la récente séquence au Parlement lors de laquelle les conservateurs s'étaient appuyés sur les voix de l'AfD pour faire passer un texte appelant à une politique d'immigration plus restrictive.
Voici l'analyse d'Hélène Miard-Delacroix, professeure d'histoire et de civilisation de l'Allemagne contemporaine à Sorbonne Université.
DW : Pourquoi les conservateurs refusent-ils de former une coalition avec l'AfD ?
Hélène Miard-Delacroix : L'AfD est un parti qui s'est construit en rejet des valeurs démocratiques sur lesquelles est fondée l'Allemagne depuis 1949, c'est à dire le pluralisme, le respect des opinions d'autrui, l'acceptation de la différence, l'égalité entre les hommes et les femmes, le respect des droits de l'homme, l'accueil des étrangers, l'égalité des Hommes quel que soient leur origine, leur couleur de peau, leur religion.
Or, l'AfD se place contre à peu près l'intégralité de ses valeurs, puisqu'il est ce qu'on appelle un parti ethno-nationaliste qui met en avant d'abord l'appartenance nationale, mais aussi l'idée que ne pourrait appartenir à la nation des Allemands que des gens qui seraient blancs de peau, n'auraient pas traversé les espaces. Pour l'AfD, l'idée même qu'on puisse devenir allemand en acquérant la nationalité par la culture, la langue et le travail est contraire à leurs représentations de la communauté.
D'ailleurs, il n'est pas un hasard que l'AfD parle plus volontiers de la communauté que de la société. Ceci est un autre point qui marque une différence fondamentale entre ce parti et les autres partis démocratiques du pays. Faire société, c'est accepter de vivre ensemble avec ses différences, en se tolérant, en se respectant, en et en obéissant aux mêmes règles. Alors que faire communauté c'est beaucoup plus identifier un groupe qui aurait des caractéristiques communes qui peuvent être raciales, culturelles, religieuses, mais qui excluraient la possibilité que d'autres entrent dans ce groupe.
DW : L'AfD a doublé son score depuis le dernier scrutin en 2021, malgré notamment des sorties très controversées de certains membres comme Björn Höcke, condamné pour avoir utilisé un slogan nazi. Est-ce que le poids de l'histoire et du passé en Allemagne, qui donne lieu à un rejet de l'extrême-droite par les autres partis, pèse de moins en moins lourd auprès des électeurs ?
Hélène Miard-Delacroix : Il y a des phénomènes de modification du rapport à l'histoire avec les générations. Il y a à la fois un phénomène de génération et aussi un phénomène régional. Il faut comprendre que les plus jeunes, qui ont d'ailleurs voté plus massivement pour l'AfD que les électeurs de plus de 45 ans, ont appris à l'école le passé nazi de l'Allemagne comme faisant partie de l'histoire, sans nécessairement bien comprendre la responsabilité que cette phrase de l'histoire allemande donne à tous les hommes et toutes les femmes qui sont nées après, qu'ils soient allemands d'ailleurs, ou qu'ils soient simplement des humains.
L'expérience d'un génocide et de la destruction des libertés de l'autre est une tâche pour l'ensemble de l'humanité qui doit prendre cette expérience comme une mise en garde pour que cela ne recommence pas.
Or, il y a un certain nombre de jeunes allemands qui n'ont pas bien compris ce message et qui interprètent l'apprentissage de l'histoire, et en particulier de ces heures très sombres de l'histoire allemandes, comme une accusation contre eux-mêmes. Alors que, par définition, ils ne sont bien sûr pas responsables de ce qu'ont fait leurs grands-parents ou leurs arrière-grands-parents. Il y a donc un problème dans la transmission des valeurs et de la conscience de cette histoire allemande.
D'autre part, il y a une dimension régionale. La partie est de l'Allemagne, l'ancienne RDA, était un pays communiste qui avait posé son existence sur l'affirmation de l'anti-fascisme. Au lieu de faire un travail de réflexion sur le passé et de d'inviter les citoyens à réfléchir sur la façon dont la tolérance disparaît, le respect des droits humains est foulé aux pieds, comme cela a pu être le cas par les nazis, la RDA a interprété le nazisme comme étant seulement un produit du capitalisme.
Du coup, la population de l'ex-RDA qui vit encore aujourd'hui et qui a eu des enfants et qui a pu transmettre à ses enfants, n'a pas intégré l'idée que de simples citoyens, en particulier quand ce sont de petites gens et des ouvriers, peuvent avoir participé à la mise en place d'une dictature. Ils ont plutôt intégré l'idée que les élites ont été responsables d'Adolf Hitler.
Ainsi, la conscience qu'on peut soi-même, comme individu et comme citoyen, être responsable de notre avenir commun en donnant sa voix éventuellement à quelqu'un qui serait autoritaire, autocratique et qui pourrait mettre en place une dictature est une conscience qui est beaucoup moins fréquente dans la partie orientale de l'Allemagne. Et c'est précisément là où l'AfD a eu le plus de voix.
DW : Est-ce que vous pensez que la digue qui empêche de s'allier à l'AfD pourrait céder un jour ? Est-ce que vous imaginez que le parti pourrait prendre une orientation moins radicale, se dédiaboliser à l'image de ce qu'on peut voir dans d'autres pays en Europe, et obtenir un tel score, qu'il serait impossible de ne pas intégrer l'extrême-droite dans une coalition ?
Hélène Miard-Delacroix : Il y a deux questions dans votre question. La première question est de savoir quelle va être l'évolution et là il est très difficile de prédire à partir de quel moment le caractère radical et extrémiste de cette offre politique va atteindre un plafond, c'est à dire ne pourra pas convaincre plus qu'un certain pourcentage de la population et n'aurait pas de chance d'arriver au pouvoir.
Si en revanche, l'AfD suivait le même chemin qu'un certain nombre d'autres partis d'inspiration ethno-nationaliste, comme le Rassemblement national en France, on peut imaginer qu'il adoucit son image, qu'il se dédiabolise, tout en menant plutôt une opération de communication.
Parce que si l'AfD transformait ses prises de parole, son vocabulaire et ses projets pour être plus acceptable dans le champ démocratique, il faudrait quasiment que le parti renie les fondements de ce qui le fait exister.
Ce parti existe précisément par le rejet des valeurs démocratiques et du socle de valeurs humanistes qui fait la culture politique de l'Allemagne fédérale. C'est un parti qui se présente comme une alternative à ce qui existe, donc on voit mal comment il pourrait rester une alternative en acceptant les valeurs qu'il rejette comme étant détestable.