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L’Afrique citadine rattrape son retard

Jean-Michel Bos
23 décembre 2022

Si le continent reste le moins urbanisé du monde, l'expansion des villes connaitra au cours des prochaines décennies un dynamisme semblable à l’Asie.

Vue aérienne de la ville de Kinshasa, perspective au coucher de soleil.
Vue aérienne de la ville de Kinshasa qui sera la seconde ville du continent en 2030.Image : Alexis Huguet/AFP/Getty Images

C'est l'histoire d'un essor annoncée, d'un progrès démographique qui ne surprend pas, si ce n'est qu'il n'ait pas eu lieu plus tôt.

En effet, en dépit des prévisions sur la hausse de la population du continent africain, qui se traduit peu à peu par l'émergence d'une classe moyenne urbaine, l'Afrique reste le continent au monde avec la plus faible part de sa population vivant dans les villes.

Loin derrière l'Amérique du Nord, la région la plus urbanisée (82%) et l'Europe (74%), l'Afrique compte toujours moins de la moitié de sa population (43%) qu'on peut définir comme citadine.

La moyenne mondiale est de 55% et d'ici 2050, selon les prévisions des Nations unies, plus des deux tiers de l'humanité vivra dans une zone urbaine.

Mais l'Afrique, au même titre que l'Asie, va soutenir en grande partie cette progression. Deux milliards et demi d'êtres humains seront ajoutés, d'ici 2050, à la population urbaine mondiale et 90% d'entre eux seront des Africains et des Asiatiques.

En effet, ce sont sur ces deux continents que les taux de croissance seront les plus importants. Si on réunissait aujourd'hui 100 citadins dans une pièce, il y aurait parmi eux 13 Africains. Si on réitérait l'expérience dans trois décennies, il y aurait cette fois 22 Africains dans la pièce.

La croissance exponentielle des citadins en Afrique.

Bien entendu, cette évolution est inégale sur le continent. Certains pays comme le Niger, le Burundi, le Rwanda et le Malawi restent largement ruraux avec seulement un citadin en moyenne pour cinq habitants. 

En dépit de ses mégalopoles et d'un solide taux d'urbanisation, le Nigeria compte la plus grande population rurale du continent (95 millions) suivi de près par l'Ethiopie (85 millions).

Mais globalement la tendance est là et elle parait irréversible. La bascule devrait s'opérer selon toutes vraisemblances aux alentours de 2033 : à partir de cette date, le continent africain s'alignera sur les autres avec une population des villes supérieure à celle des campagnes. En 2050, on approchera même de 60% d'habitants urbains.

La bascule va s'opérer au milieu des années 2030.

 

La RDC, le Cameroun et la Côte d'Ivoire constituent le trio de tête.

Constructions anarchiques et risques climatiques

L'Afrique francophone va suivre cette évolution sans véritablement de différence. L'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale sont deux zones déjà fortement urbanisées dont le taux va dépasser à terme celui de l'Afrique du Nord.

A lui seul, le géant congolais, la République démocratique du Congo, va représenter d'ici 2050 une population citadine de 126 millions d'habitants.

Dès lors se pose la question du contrôle de l'expansion urbaine. Les inondations récurrentes et meurtrières que subissent des villes comme Kinshasa, Niamey, N'Djamena ou encore Abidjan rappellent chaque année, durant la saison des précipitations, les dangers que font peser sur les populations les constructions anarchiques et les quartiers dressés dans des zones inondables.

Selon le African Research Consortium, en Afrique subsaharienne, environ 60 % de la population urbaine réside dans des établissements informels. "Ce sont ces zones qui ont connu la croissance la plus rapide de la vulnérabilité urbaine au changement climatique au cours des dernières années. Elles sont plus exposées aux risques climatiques, tout en ayant une capacité d'adaptation plus faible.”

C'est dans ce contexte que l'attraction des métropoles et l'explosion démographique annoncée de certaines grandes villes africaines peuvent être jugées comme problématiques.

Le Caire, Kinshasa et Lagos sont aujourd'hui les seules villes du continent abritant plus de dix millions d'habitants mais elles seront ralliées, d'ici 2030, par Luanda et Dar es Salam. 

A cette date, Kinshasa aura d'ailleurs quasiment rejoint Le Caire en termes de population, surclassant ainsi Lagos.

Kinshasa sera la deuxième ville d'Afrique en 2030.

Mais se concentrer sur les grandes villes offre une vision imparfaite d'un continent où plus de 90% des villes comptent moins de 100.000 habitants.

Car c'est à ce niveau inférieur que se crée le tissu urbain, que la ville pénètre, rue après rue, dans les zones rurales, en agglomérant peu à peu des communautés reliées jusque-là par une route ou un simple cours d'eau.

L'avenir se joue dans les villes moyennes

Rappelée par le site Africapolis, une image résume à elle seule cette expansion rampante, la manière assurée dont la ville africaine gagne sur les campagnes : en 1950, la distance moyenne entre les agglomérations était de 61 kilomètres. En 2015, cette mesure a été réduite de 40 kilomètres.

Les Nations unies se limitent à prendre en compte, dans leurs statistiques, les villes de moins de 500.000 habitants. Celles-ci accueillent, sur le continent africain, 55% de la population urbaine totale, soit plus que la moyenne mondiale (48%). 

L'Afrique compte désormais près de 8.000 villes.

Mais c'est sur un autre point qu'Africapolis insiste : 91% des villes africaines comptent moins de 100.000 habitants pour une population cumulée de 185 millions, soit un citadin sur trois. C'est à cette échelle que se joue aussi et peut-être avant tout l'avenir urbain de l'Afrique.

"Les petites agglomérations sont le principal lien entre les zones rurales et urbaines”, poursuit Africapolis dans l'une de ses études, insistant sur le fait que ces communes modestes offrent aux populations rurales l'occasion de vendre leurs produits sur les marchés, d'avoir accès aux services de santé, aux services publics ou encore de trouver un emploi.

Avec près de 8.000 villes recensées sur le continent, dont neuf sur dix sont des villes petites et moyennes, il est clair que la focalisation sur les géants que sont Le Caire, Kinshasa ou Lagos offre une vision déformée de la réalité africaine.

Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos
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