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Aide au développement: la fin de l'arrosoir

Peter Hille | Anne Le Touzé
6 mai 2020

Jusqu'ici, l'Allemagne soutient le développement des pays pauvres à travers le monde par une multitude de projets. Le ministre Gerd Müller veut se concentrer sur un nombre restreint de pays mais son plan fait débat.

Le ministre allemand de la Coopération veut réformer l'aide allemande au développement
Le ministre allemand de la Coopération veut réformer l'aide allemande au développementImage : picture-alliance/dpa/K. Nietfeld

Des rendements plus élevés pour les producteurs de noix de cajou, davantage d'agents de santé dans la lutte contre le choléra ou encore des formations pour les jeunes en milieu rural.

Ces trois exemples font partie des nombreux projets que l'Allemagne mène actuellement en Sierra Leone, un de ses pays partenaires. Des objectifs qui vont probablement être abandonnés.

Certains craignent que la Chine s'engouffre dans les pays où d'autres bailleurs se seront retirésImage : imago images/X. Zheng

Le ministre allemand de la Coopération et du Développement, Gerd Müller, veut en effet restructurer l'aide allemande au développement.

La Sierra Leone, mais aussi 24 autres pays, ne devraient plus recevoir d'aide directe de la part de l'Etat allemand. Parmi les perdants de la réforme figurent notamment le Népal et Myanmar, en Asie, ou encore le Guatemala et le Nicaragua, en Amérique latine.

"Notre problème est qu'on ne peut pas tout faire partout", a justifié Gerd Müller dans une interview à la DW. Le ministère fédéral de la Coopération et du Développement (BMZ), dont il a la charge, dispose à l'heure actuelle d'un budget de 10,8 milliards d'euros.

"Cela représente beaucoup d'argent", reconnaît le ministre issu du parti conservateur bavarois. Mais avec 85 pays partenaires, "c'est comme se promener dans un grand jardin avec un arrosoir. C'est pour cela que nous devons nous concentrer."

"Injuste envers notre pays"

Selon la stratégie de Gerd Müller, l'Allemagne soutiendra des pays - une soixantaine au total - qui montrent leur volonté de réforme. "Nous devons soutenir davantage nos partenaires pour qu'ils apportent leur propre contribution", explique-t-il.

"En particulier dans le domaine de la lutte contre la corruption car c'est la condition préalable aux investissements privés. Il est donc nécessaire que les partenaires combattent la corruption, mettent en pratique la bonne gouvernance et respectent les droits de l'homme. Et nos pays partenaires doivent comprendre ce signal."

La coopération allemande est présente depuis 1975 en TanzanieImage : picture-alliance/dpa/M. Kappeler

Dans certains des pays partenaires, ces projets sont sources d'irritation. "Je ne peux pas vraiment dire sur quoi les Allemands fondent leur décision", confie Francis Ben Kaifala à la DW. Cela fait deux ans qu'il dirige la commission anti-corruption en Sierra Leone. "Je m'oppose fermement à ceux qui prétendent que nous faisons du mauvais travail dans la lutte contre la corruption", affirme-t-il.

L'an dernier, la Sierra Leone a gagné dix places dans l'index de perception de la corruption de Transparency International et occupe désormais le 119e au lieu du 129e rang.

"Ce serait injuste envers notre pays de dire qu'il n'y a pas de mesure ni de progrès contre la corruption", estime Francis Ben Kaifala.

Le champ libre aux coopérations privées?

Mais le retrait envisagé des acteurs de l'aide au développement public n'est pas seulement lié au fait qu'un gouvernement soit corrompu ou peu disposé à se réformer. Même des pays comme la Mongolie, qui ont réussi à atteindre un essor économique, ne devraient à l'avenir plus recevoir d'aide publique allemande.

L'Allemagne veut en outre laisser le champ libre dans certains pays cibles à d'autres donateurs comme la France et le Royaume-Uni ou l'Union européenne. Un des objectifs du plan "BMZ 2030" de Gerd Müller vise à mettre fin à la confusion entre les différents bailleurs et leurs nombreuses organisations.

Là où l'aide publique fera défaut, les coopérants des ONG allemandes pourraient jouer un rôle plus important.

Heike Spielmans, la directrice générale de VENRO, représente les intérêts d'environ 120 organisations allemandes. Elle salue le fait que la lutte contre la corruption et la défense des droits de l'homme soient davantage mis en avant.

Heike Spielmans, directrice générale de VENROImage : VENRO

"Nous trouvons toutefois problématique que l'Etat se désengage complètement de la coopération au développement car la société civile a elle aussi un besoin urgent d'interlocuteurs dans les pays", explique-t-elle à la DW.

Si le ministère du Développement se retire, le dialogue politique pourrait s'endormir, ce qui laisserait moins de marge de manœuvre aux organisations non gouvernementales. 

De l'aide en cas d'urgence

Heike Spielmans juge positif le fait que l'aide publique au développement veille à l'avenir à ce que tous ses projets tiennent compte des questions environnementales et de l'égalité des genres.

Elle préconise toutefois la prudence face à la tentation de se concentrer sur des thèmes trop restreints. "L'arrosoir a une connotation négative mais il n'est pas si mauvais. Certains projets particuliers, spécifiques peuvent faire sens. On ne peut pas se contenter de gros morceaux."

Heike Spielmans s'inquiète aussi de voir des pays abandonnés alors qu'ils auraient particulièrement besoin de soutien. "Le nombre de pays les moins avancés a baissé dans la liste générale des pays. Je pense qu'il est important que le ministère ne renonce pas à coopérer avec des pays avec lesquels le dialogue est devenu plus difficile."

Le retrait de l'Allemagne de projets de développement et de partenariats va certainement être encore discuté. "Cela ne veut toutefois pas dire que nous abandonnons des pays quand il s'agit d'urgence, de faim et de pauvreté", souligne Gerd Müller. "Tous les pays du monde ont l'Allemagne à leur côté en ce qui concerne la lutte contre la faim et la pauvreté."

L'aide d'urgence continuera à être fournie, même dans les pays où l'Allemagne ne soutient pas de projets de développement à long terme. Ce qui pourrait s'avérer nécessaire suite à la pandémie de coronavirus.