Angola : l'héritage politique de dos Santos disputé
18 juillet 2022Pendant 38 ans, de 1979 à 2017, José Eduardo dos Santos a dirigé l'Angola d'une main de fer.
Pendant toutes ces années, il a contrôlé son parti, l'ancien mouvement de libération MPLA, mais aussi l'appareil d'Etat, les revenus du pétrole et de la vente de diamants, l'armée et, surtout, ses citoyens.
Il a gratifié ses amis et ses proches d'argent, de pouvoir et de postes. Il a fait poursuivre et punir ses opposants. En 2017, il s'est retiré de la politique et a transmis le pouvoir à son ancien ministre de la Défense, João Lourenço, qu'il a lui-même choisi pour lui succéder.
Dos Santos est décédé à l'âge de 79 ans après un long séjour dans une clinique de Barcelone. Mais une guerre s'est désormais engagée autour de l'héritage politique de l'autocrate.
Alors que le président Lourenço souhaite exploiter politiquement la mort de son prédécesseur, six semaines avant les prochaines élections, la famille proche de José Eduardo dos Santos lance de graves accusations contre Lourenço et le MPLA : le régime actuel n'aurait aucun droit sur l'héritage politique de José Eduardo dos Santos.
Au contraire, le régime serait même coresponsable de la mort de José Eduardo dos Santos, affirment-ils, et tente par tous les moyens d'empêcher le rapatriement du corps en Angola.
Funérailles nationales à Luanda ?
A peine la mort de José Eduardo dos Santos annoncée, João Lourenço s'est empressé de décréter un deuil national d'une semaine. Lourenço n'a laissé planer aucun doute sur le droit de son gouvernement et de son parti à organiser des funérailles nationales, pour lesquelles il a mis en place une commission de douze personnes.
Bataille de boue : les membres de la famille veulent empêcher le rapatriement du corps.
Mais le chef de l'Etat angolais a fait les comptes sans les enfants du défunt ex-président : c'est surtout la deuxième fille, Tchizé dos Santos, ancienne députée du MPLA, entrepreneuse et actuellement influenceuse sur Internet résidant en Grande-Bretagne - qui tente de mettre des bâtons dans les roues de Lourenço.
Tchizé dos Santos ne veut pas que le corps de son père soit transféré à Luanda tant que Lourenço est au pouvoir. "C'était la demande expresse de mon père", explique-t-elle dans une déclaration de près de 80 minutes sur Instagram.
"Notre père était gravement déçu par son successeur. Il ne voulait pas entendre parler de Lourenço. Il m'a même dit qu'il préférerait que le leader de l'opposition Adalberto Costa Júnior de l'UNITA remporte les prochaines élections", poursuit Tchizé dos Santos.
Selon elle, elle est soutenue par sa sœur aînée et entrepreneuse Isabel dos Santos, qui réside actuellement officiellement aux Pays-Bas, et par quelques frères, qui restent toutefois discrets en public.
Des enquêtes sur le clan dos Santos
En fait, depuis 2017, beaucoup de choses ont changé en Angola pour la famille dos Santos : Les membres de la famille qui occupaient des postes publics dans les entreprises d'État et les administrations ont perdu leur poste.
Isabel dos Santos a dû quitter la direction de l'entreprise pétrolière nationale Sonangol, et son fils José Filomeno dos Santos celle du fonds pétrolier national.
En 2020, un tribunal l'a condamné à cinq ans de prison pour détournement de fonds.
Tchizé qualifie les procédures et les enquêtes menées par l'Angola à son encontre et à l'encontre de membres de sa famille de "chasse aux sorcières comme on en trouve dans les livres."
Ce que le régime de Lourenço organise est un "manque de respect" envers un homme - son père - et sa famille, qui se serait sacrifiée pendant des décennies pour la nation angolaise.
Avec l'aide d'une avocate de renom, la fille a obtenu l'autopsie du corps. Tchizé dos Santos veut empêcher durablement le transfert de son père à Luanda par le biais d'une ordonnance de référé.
Conséquences pour les élections en Angola ?
La mort de l'ancien président José Eduardo dos Santos intervient à un moment où l'Angola se prépare aux prochaines élections législatives du 24 août, qui seront également décisives pour la présidence. Le débat actuel autour de la mort de l'ex-président, autrefois si détesté et dont les réalisations sont aujourd'hui glorifiées par beaucoup, pourrait avoir une influence décisive sur le scrutin, estiment les observateurs politiques.
Qui peut tirer un bénéfice politique du conflit autour du corps de l'ex-président ? Le président Lourenço, du MPLA, ou Adalberto Costa Júnior, le challenger du parti d'opposition UNITA ?
"Dans la situation confuse actuelle, c'est la question à un million de dollars. Si le gouvernement de João Lourenço parvient à rapatrier réellement le corps de l'ex-président à Luanda, Lourenço pourrait sortir renforcé de ce conflit", estime Orlando Ferraz, politologue angolais et cofondateur de l'institut de recherche électorale "AngoBarometro".
Beaucoup d'éléments en faveur du président angolais
En effet, il est probable que les autorités espagnoles accèdent tôt ou tard à sa demande de remise du corps à l'Angola.
Les relations politiques et économiques entre les deux pays sont étroites et l'Espagne ne souhaite certainement pas les mettre en péril.
"La délégation gouvernementale angolaise qui se trouve actuellement à Barcelone ne reviendra certainement pas les mains vides en Angola. On peut le supposer", déclare Ferraz dans un entretien avec la DW.
Et comment se comporte l'opposition ? "L'UNITA essaie de garder une certaine distance avec les deux parties, c'est-à-dire aussi bien avec les proches qu'avec Lourenço et le gouvernement", explique le politologue.
"Le leader de l'opposition Adalberto da Costa Júnior observe tout ce spectacle à distance, et espère de son côté que le camp du MPLA s'entredéchire, afin que son parti puisse en tirer un capital politique lors des élections du 24 août".