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La lutte anti-corruption piétine au Cameroun

Elisabeth Asen
3 août 2022

La libération d'un ancien ministre questionne la crédibilité de l'opération Épervier lancée il y a 16 ans pour lutter contre la corruption au plus haut niveau.

Des forces de sécurité déployés à la prison de Kondengui au Cameroun
Plusieurs personnalités sont toujours en détention pour malversations financièresImage : cc by M. E. Kindzeka (VOA)

Au Cameroun, la polémique se poursuit après la libération de Basile Atangana Kouna, l'ex-ministre de l'Eau et de l'Energie.

Arrêté dans le cadre de l'opération Épervier en mars 2018 pour détournement de fonds publics, le tribunal criminel spécial a ordonné la remise en liberté de l'ancien ministre le 29 juillet dernier. C’est le président de la République, Paul Biya, qui a adressé cette demande de libération au ministre de la Justice. 

16 ans déjà

Lancée il y a 16 ans, l'opération Épervier, qui avait pour but de lutter contre la corruption au plus haut niveau, semble avoir perdu sa crédibilité. C'est du moins ce que pense Denis Emilien Atangana, président du Front des démocrates camerounais, au lendemain de la libération sur demande de la présidence de la République de l'ancien ministre Basile Atangana Kouna.

"C'est une libération qui questionne d'abord la pertinence de l'opération Épervier, qui ensuite écorne gravement l'image de la justice camerounaise qui semble être au pas du pouvoir exécutif. Enfin, c'est une libération qui consacre une injustice incroyable vis à vis de tous ceux qui sont encore embastillés dans le cadre de l'opération Épervier", estime Denis Emilien Atangana.

La corruption gangrène de nombreux pays sur le continent africainImage : Blaise Eyong

L'opération Épervier a été lancée en 2006 par le gouvernement camerounais avec pour objectif d'assainir la gouvernance publique en emprisonnant les responsables politiques ou médiatiques corrompus, mais également en récupérant les fonds détournés. 

Mais ce projet d'assainissement ne semble pas s'appliquer à tous, explique Hamadou Habibou, président régional de la Confédération des associations des jeunes solidaires dans l'extrême-nord du pays.

"On dit que Marafa (Marafa Amidou Yaya, l’ancien ministre de l’Administration territoriale, ndlr) est accusé de complicité intellectuelle alors quelles sont les modalités de la restitution de la complicité intellectuelle ? Une rhétorique... Combien de fois a-t-on renvoyé le procès de Amadou Vamoulké (l’ancien directeur de la radio-télévision publique camerounaise, ndlr) ? Jusqu'à présent il n'a pas été jugé ! De quoi est-il accusé ? Nous sommes plus que jamais prêts à aller jusqu'au bout parce que nous avons compris que les procédures judiciaires ne marchent jamais dans ce pays", s'indigne Hamadou Habibou.

Hamadou Habibou fait partie des jeunes qui réclament la libération des victimes de l'opération Épervier originaires des régions du Nord et Extrême-Nord.  

Paul Biya entend lutter contre les malversations financières à travers l'opération ÉpervierImage : MOHAMED ABD EL GHANY/REUTERS

Mais, le président de la Confédération des jeunes solidaires du Cameroun, Mohamadou Bouba, a été arrêté ce lundi (1er août) pour avoir déclaré la tenue d’une manifestation aux autorités, le 12 août prochain. 

"La loi a été appliquée"

Cependant, Claude Assira Engoute, avocat au barreau du Cameroun, affirme que la loi a été appliquée dans le cas de la libération de l'ancien ministre Atangana Kouna. 

"Dans d'autres affaires vous n'aviez même pas les mêmes enjeux, les mêmes amitiés, les mêmes copinages. En d'autres termes, deux personnes peuvent avoir payé la même somme. L'une peut même avoir payé une somme plus importante. Le ministre de la Justice est dans l'application de la loi, d'accorder la remise en liberté pour l'un, celui qui a payé le moins, et pas pour l'autre. C'est la loi qui provoque cette immixtion et qui provoque cette injustice, donc s'il y a quelque chose à revoir, ça ne peut pas être là décision des juges qui, elle, s'appuie sur la loi mais c'est la loi en elle-même", dit Claude Assira Engoute.

Pendant que certains Camerounais se demandent encore comment Basile Atangana Kouna a réussi à convaincre le président Paul Biyad’accepter le remboursement du délit contre sa remise en liberté immédiate, là où les autres justiciables ont échoué, d'autres en revanche voient dans cette décision un règlement de compte ou l'appareil judiciaire est pris en otage par l'exécutif.