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Deux ex-proches de Patrice Talon devant la justice au Bénin

21 janvier 2025

Interview avec le journaliste politique béninois Moïse Dossoumou à l'occasion du report du procès devant la Criet de Olivier Boko Oswald Homéky, au Bénin. Le procès doit reprendre mercredi.

Satue de Justicia, symbole de la justice, avec un glaive dans une main et une balance dans l'autre (illustration)
Des tensions politiques qui ressurgissent devant la justice, au BéninImage : Andreas Pulwey/picture alliance

Au Bénin, le procès d'Olivier Boko et de ses coprévenus s'est ouvert aujourd'hui devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet). Ils sont accusés d'avoir fomenté un coup d'Etat pour renverser le président Talon.

Mais la séance a été de courte durée: les avocats ont critiqué la composition de la Cour et la présence de trois juges seulement, au lieu de cinq habituellement, et ont décidé de se desssaisir du dossier.

Le procès de l'homme d'affaires Olivier Boko est censé reprendre demain [22.01.25, entre-temps l'audience a été repoussée au 23 janvier]. Egalement sur le banc des accusés se trouve Oswald Homéky, l'ex-ministre de la Jeunesse et des Sports.

Les deux hommes sont d'anciens proches du président Patrice Talon. D'où l'engouement public, au Bénin, pour ce procès, à un an des élections générales de 2026 et dans un contexte politique tendu.

C'est ce qu'explique le directeur de publication du quotidien béninois Fraternité: Moïse Dossoumou.

Ecoutez ci-contre l'entretien avec Moïse Dossoumou

 

Interview avec Moïse Dossoumou, le directeur de publication du quotidien béninois Fraternité

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Monsieur Dossoumou. Ce matin, s'est donc ouvert un procès devant la Criet, qui était très attendu au Bénin. Finalement, il a été repoussé à demain parce que les avocats de la défense se sont dessaisis du dossier. Ils reprochent à la Criet de n'avoir chargé du dossier que trois juges au lieu de cinq, comme habituellement. Mais pourquoi est ce que ce procès d'Olivier Boko et de ses coaccusés est tellement suivi au Bénin ? Pourquoi a-t-il fait tellement de bruit ?

Olivier Boko est un intime du chef de l'Etat. C'est quand même 35 années d'amitié qui lient les deux hommes. Ce sont d'abord des partenaires d'affaires, ensuite des amis. Ils ont conquis le pouvoir ensemble, et jusqu'à la date d'arrestation d'Olivier Boko, les deux géraient pratiquement le pouvoir ensemble.

Quant à Oswald Homéky, c'est, l'ancien ministre de la Jeunesse et des Sports du président Patrice Talon, et beaucoup, dans les cercles présidentiels, le considérait comme le fils adoptif du chef de l'Etat qui bénéficiait de faveurs de la part du couple présidentiel.

Donc je pense que c'est compte tenu de la nature de ces deux accusés que le procès suscite autant d'attention.

 

Ce qui est étonnant, c'est que ces deux personnes, on leur reproche d'avoir préparé un coup d'État, justement pour renverser Patrice Talon, le président, alors qu'ils étaient si proches du chef de l'Etat.

Il faut dire que depuis deux ans maintenant, Olivier Boko, enfin pas lui précisément mais certaines personnes, ne cachaient pas leur intention de le voir remplacer Patrice Talon à la tête de l'Etat.

Beaucoup de mouvements de soutien ont été créés pour lui Olivier Boko.

Et certainement que le chef de l'Etat en place ne voyait pas tout ça d'un bon oeil.

Dans un communiqué, alors qu'il était ministre, Oswald Homéky a pris ouvertement fait et cause pour lui, en faveur de sa probable candidature à la présidentielle, et cela lui a valu d'être éjecté du gouvernement.

 

Au Bénin, on va voter l'année prochaine en 2026, notamment pour la présidentielle. Patrice Talon arrivera au terme de son second mandat, donc normalement, il ne peut pas en briguer de troisième. Pourquoi tenter de le renverser plutôt que d'attendre la fin du mandat ?

Pour l'instant, il faut prendre avec beaucoup de pincettes les accusations de tentative de coup d'État, de corruption d'agents publics.

Et les deux hommes bénéficient toujours de la présomption d'innocence.

Patrice Talon, président du Bénin, tente de réformer le paysage politique du pays. Quitte à régler ses comptes par la voie judiciaire ?Image : Bertrand Guay/AFP/Getty Images

Bien sûr, mais quel aurait été leur intérêt si, de toute façon, la voie était "libre" à partir de 2026 ?

Oui, bien entendu, la voie était libre. C'est la question que beaucoup de gens se posent.

Parce que quand on voit le profil des deux hommes, quand on voit leur proximité avec le chef de l'Etat, on se demande mais pourquoi cette histoire surgit maintenant ? A quoi ça sert ?

Donc on se pose beaucoup de questions et on se demande où tout cela va nous mener.

Quand on prend l'affaire dans tous les sens, la logique n'y est pas vraiment.

Puisqu'il s'agit, comme le disent les Béninois, d'une affaire entre gens de pouvoir, alors on préfère se taire, observer, voir l'issue de cette affaire là.

 

D'autant qu'il y a eu d'autres procès qui ont fait grand bruit au Bénin. Je pense notamment à la procédure qui impliquait Joël Aïvo ou Reckya Madougou, où on a soupçonné le chef de l'Etat de vouloir peut-être régler ses comptes politiques par le biais judiciaire. Il y a ce contexte de tensions entre les différents camps politiques béninois.

Oui, c'est vrai. La tension existe parce que les deux noms que vous venez de citer ne sont même pas de la famille politique du président ; c'était des opposants plus ou moins déclarés au chef de l'Etat qui voulaient briguer également la magistrature suprême, mais qui n'ont pas pu et qui se retrouvent derrière les barreaux aujourd'hui pour diverses raisons.

C'est vrai qu'en son temps, cela avait suscité beaucoup de bruit.

L'opinion estimaient selon les camps [politiques], qu'il ne fallait pas aller plus loin que ça et que c'était normal que les uns et les autres manifestent leur ambition de diriger le pays.

Mais de là à avoir des proches du chef de l'Etat dans cette galère-là, on se pose beaucoup de questions : qu'est ce qui n'a pas marché ? Est ce toujours la réforme du système partisan ? Est ce qu'il y avait des embrouilles cachées ? Est ce que les faits qui leur sont reprochés sont avérés ?

L'opinion n'étant pas justement dans le secret des dieux, on observe et on attend de voir l'issue [de ce procès].

Au Bénin, des associations promeuvent le vivre-ensemble

02:44

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Pourriez-vous juste dire deux mots pour expliquer cette réforme du système partisan ?

Depuis que la démocratie a été instaurée en 1990, à la suite du succès de la Conférence nationale, aucun parti n'avait réussi jusque-là à faire élire un chef d'Etat. Tous les chefs d'Etat qui ont été élus l'ont été sans les partis politiques, ça a toujours été des individus pris individuellement, des indépendants qui ont toujours ravi la vedette aux partis politiques.

Alors Patrice Talon, [lorsqu'il était] candidat, a estimé que s'il était élu, il ferait en sorte que les partis politiques soient beaucoup plus forts, beaucoup plus représentatifs, et que désormais les candidats à la présidentielle soient des militants des partis politiques et non des indépendants.

Alors on s'étonne que ce soit des gens avec qui il a pensé cette réforme - certainement des gens avec qui il a mis en œuvre cette réforme -  qui aujourd'hui se retrouvent en porte à faux avec cela.

Alors on se demande encore ce qui n'a pas marché pour que cela se passe ainsi.

Est-ce que c'est ce procès Boko intéresse réellement les citoyens ? Ou est-ce que ce sont des choses qui intéressent les sphères politiques, universitaires, mais pas forcément la population?

Au départ, quand l'arrestation des deux hommes a été rendue publique, beaucoup ont douté et dans le même temps, quand ça a été confirmé, très peu de personnes ont osé en parler parce qu'on estimait que c'était une affaire entre les gens proches du chef de l'Etat et qu'il ne fallait pas s'en mêler, que c'était une affaire entre eux, une affaire de famille comme beaucoup se plaisent à le dire.

Et sur la place publique, très peu de personnes osent aborder ces sujets-là.

Les gens sont très intéressés, mais ils préfèrent observer et se taire au lieu d'en parler.

Y compris dans l'optique des élections de l'année prochaine?

Bien entendu, ça, ça va jouer forcément un rôle.

Si les deux hommes étaient reconnus coupables ce ce dont ils étaient accusés, est-ce que ça suffira pour étouffer dans l'œuf toute velléité, disons, de rébellion ? On n'en sait encore rien.

Mais dans l'un, dans l'un ou l'autre des cas, forcément, ce procès aura des répercussions sur les élections générales de 2026. Parce que l'année prochaine, ce sera trois élections au lieu d'une seule : les élections communales, les élections législatives et l'élection présidentielle.

 

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