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Boko Haram : dix ans après la radicalisation

Antonio Cascais | Nafissa Amadou
27 juillet 2019

La mort du fondateur de Boko Haram, Mohammed Yusuf, il y a dix ans, a marqué un tournant au Nigéria. L'organisation est passée d'une secte islamiste à une organisation terroriste meurtrière.

Mutmaßlicher Boko-Haram-Angriff in Nigeria
Image : picture-alliance/AP/Jossy Ola

"Ceci est un message au Président Goodluck Jonathan et à tous les autres chrétiens. Nous appelons à la guerre sainte ! Nous combattrons les chrétiens parce que tout le monde sait ce qu'ils ont fait aux musulmans", avait lancé le leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, pour justifier les actes de Boko Haram.

Tout a commencé il y une décennie, à Maiduguri, la capitale de l'Etat de Borno. Après la démocratisation du Nigéria, la population espérait la fin de la corruption omniprésente et une répartition plus équitable des richesses.

C'est à ce moment qu'apparaît un jeune prédicateur nommé Mohammed Yusuf. Il appelle à l'application de la Charia et à l'abandon du mode de vie occidental. Son slogan : "Les enseignements occidentaux sont un péché." "Nous voulons répandre l'islam. Chacun a le droit d'entendre le message de l'islam", prêche Yusuf. 

Il ajoute : "Je vous le dis : les non-croyants sont des menteurs. Ils font tout pour arriver au pouvoir. Ils promettent beaucoup et parlent de paix, mais en vérité ils sont impitoyables."

Le mouvement de Yusuf gagne en popularité, en particulier dans les états du nord-est : Borno, Adamawa et Yobe. Début 2009, les affrontements éclatent avec les forces de sécurité lors de manifestations dans toutes les grandes villes du pays. Yusuf devient ainsi une menace pour l'Etat nigérian.

La mort du fondateur de Boko Haram

Suite à l'interdiction d'une manifestation de Boko Haram, des heurts éclatent dans la ville de Bauchi fin juillet 2009, s'étendant à Yobe, Borno et d'autres régions du Nigeria. Rien qu'à Maiduguri, la capitale de Borno, au moins 300 personnes meurent dans des affrontements en cinq jours.

Mohammed Shekau, le successeur du fondateur de Boko Haram Image : picture-alliance/AP Photo

Le gouvernement nigérian réagit par une opération policière de grande envergure au cours de laquelle le chef de la secte islamiste est arrêté. Le 30 juillet 2009, selon un porte-parole de la police, Mohammed Yusuf est abattu lors d'une tentative d'évasion. Mais plusieurs rapports font état d'exécution illégale.

A cette époque, Mohammed Yusuf avait déjà nommé un successeur : Mohammed Shekau. Sous sa direction, Boko Haram entame une "guerre sainte" implacable contre l'Etat nigérian. C'est le début d'une nouvelle dimension de la terreur, avec de nombreux attentats-suicides, notamment contre le quartier général de la police dans la capitale Abuja.

Les attaques de Boko Haram deviennent brutales et visent de plus en plus de civils. En dix ans, environ 32 000 personnes sont tuées et des millions d'autres contraintes à l'exode.

Des jeunes de Maiduguri mettent en place une milice 

Un climat de terreur et de peur se répand alors dans les vastes régions du nord-est du Nigeria. Une grande partie de la société civile accuse le gouvernement et l'armée d'être incapables d'assurer la sécurité de la population.

Opération de contrôle organisée par la force opérationnelle interarmées civile Image : AFP/Getty Images/F. Plaucheur

A partir de 2013, un groupe de jeunes de Maiduguri décide de prendre en main la protection des populations. Il fonde la "Force opérationnelle interarmées civile ", (Civilian Joint Task Force, CJTF).  Le but est d'expulser les combattants islamistes de leurs villes. Les jeunes s'arment de fusils, mais aussi de poignards, de machettes, de bâtons et de tiges de fer.

Les femmes sont également les bienvenues comme Altine Abdullahi. "J'ai décidé de rejoindre le groupe parce que mon mari, un policier, a été brutalement tué par Boko Haram et m'a laissé avec cinq enfants", explique la jeune femme, membre fondatrice de la Force opérationnelle interarmées civile.

Selon certains observateurs, le groupe compte aujourd'hui plus de 26.000 membres, dont 1 800 reçoivent un salaire d'environ 50 dollars par mois. Depuis leur création, les CJTF ont pleuré envrion 600 victimes. Mais ils ont largement réussi à chasser Boko Haram de la métropole, Maiduguri, ainsi que d'autres grandes villes. Toutefois, la CJTF a aussi été accusé à plusieurs reprises de violations des droits de l'Homme, de mauvais traitements et d'assassinats arbitraires de combattants présumés ou réels de Boko Haram.

Malgré toutes les critiques, les experts en sécurité sont unanimes sur le succès de la Force opérationnelle interarmées civile.

"L'engagement des jeunes a porté ses fruits, les gens peuvent maintenant se déplacer d'un point à un autre, sans crainte, dans la plupart des villes. Les jeunes connaissent tout simplement mieux le terrain que les soldats de l'armée nigériane, dont la plupart ont été déployés dans d'autres pays", estime Elizabeth Ame, une résidente de Maiduguri.

L’offensive militaire de Muhammadu Buhari

En 2015, Muhammadu Buhari, ancien général des forces armées nigérianes, remporte l'élection présidentielle contre Goodluck Jonathan et promet de vaincre l'organisation terroriste en deux ans.

Ainsi, l'armée nigériane, avec l'aide d'organisations internationales et des troupes des pays voisins dont le Tchad, le Niger et le Cameroun, lance une offensive contre Boko Haram. Une grande partie de l'Etat de Borno, encore sous contrôle djihadiste début 2015, est libérée.

Mais, des experts en sécurité restent sceptiques face à l'annonce de Buhari : "Annoncer la fin de Boko Haram est facile, les succès concrets sont beaucoup plus difficiles à obtenir", déclare Yome Dare, un ancien officier de l'armée nigériane qui parle par ailleurs d'une "guerre très cruelle."

Ces derniers mois, Boko Haram semble avoir repris des forces et du terrain. Les combattants de la secte ont renouvelé leur arsenal de guerre. Selon les observateurs, les armes proviennent principalement de Libye et d'anciens bastions de l'organisation "Etat islamique".

Le 27 décembre 2018, Boko Haram fait preuve d'une force militaire impressionnante lorsque le groupe réussit à maîtriser rapidement la ville de Baga, après avoir fait fuir 500 soldats de la coalition régionale antiterroriste, composée de soldats du Nigeria, du Niger, du Tchad et du Cameroun.

Une armée démoralisée

Ces derniers mois, la situation sécuritaire au Nigeria s'est détériorée, confirme Yome Dare: "Le moral des troupes est bas. Les soldats ont atteint leurs limites. Je pense qu'il est grand temps que le gouvernement et les chefs militaires s'assurent que l'équipement destiné aux soldats au front leur arrive réellement", dit-il.

L'année dernière, les médias nigérians ont fait état de plusieurs mouvements d'humeur de soldats nigérians frustrés : en août 2018, des centaines d'hommes auraient tiré en l'air à Maiduguri, sur la piste de l'aéroport, pour exprimer leur épuisement après quatre ans passés au front. "Pendant des années, nous avons été loin de nos familles et pourtant nous faisons peu de progrès dans la lutte contre les djihadistes ", ont-ils dénoncé.