Burkina Faso : la loi sur l'homosexualité préoccupe Amnesty
3 septembre 2025
L'Assemblée législative de transition du Burkina Faso a adopté, le lundi premier septembre, un texte prévoyant jusqu'à cinq ans de prison pour les auteurs de "pratiques homosexuelles".
Amnesty se dit "alarmée et profondément préoccupée" et appelle le capitaine Ibrahim Traoré, le chef du pouvoir militaire à la tête de l'Etat depuis 2022, à renvoyer la loi pour révision.
Et pour en parler, notre invité de la semaine est Ousmane Ali Diallo, chercheur sur le Sahel au Bureau régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et centrale.
Ecoutez ou lisez l'interview de la DW avec Ousmane Diallo.
DW : Ousmane Diallo, bonjour, quelle est votre réaction après l'adoption de la loi pénalisant l'homosexualité au Burkina Faso ?
Oui, l'assemblée législative de la transition du Burkina Faso a adopté un nouveau code des personnes et des familles qui a des dispositions assez intéressantes et assez progressistes, notamment sur le relèvement de l'âge du mariage de jeune fille à 18 ans et en enlevant les dispositions discriminatoires, notamment sur l'héritage.
Mais malheureusement, il y a une disposition qui criminalise les relations sexuelles entre adultes du même sexe et qui sont consentantes, ce qui constitue une tâche dans un nouveau code des personnes et des familles qui reflétait en quelque sorte beaucoup les campagnes qui avaient été menées par les organisations de la société civile, notamment sur les questions de discrimination basées sur le genre.
DW : Quelles conséquences cette loi pourrait-elle avoir sur la vie quotidienne des personnes LGBTQ+ au Burkina Faso ?
Malgré que les relations sexuelles entre personnes adultes consentantes n'étaient pas criminalisées auparavant, il y avait quand même un fort sentiment de stigmatisation.
Maintenant, ce qui change avec la loi, c'est la possibilité d'être traduit en prison, d'être victime d'une amende.Donc là on parle de peine de prison allant de 2 ans à 5 ans.
DW : Et comment cette mesure risque t-elle d'affecter la sécurité, la santé et le bien-être psychologique des communautés concernées ?
Oui, il y aura sans doute un renfermement encore plus possible que ce qui existe à l'heure actuelle, donc une stigmatisation encore plus forte.
DW : justement, le gouvernement burkinabé justifie cette criminalisation au nom d'une politique souverainiste et d'un rejet des valeurs occidentales.Que pensez-vous de cet argumentaire ?
Oui, c'est l'argument qui est un petit peu porté dans tous les pays de la sous-région, notamment sur les relations entre personnes adultes consentantes du même sexe.Donc on a vu au Mali l'année dernière lorsque le nouveau code de la famille a été voté et promulgué.
Il y a au Burkina Faso et dans plusieurs pays du Sahelun fort sentiment souverainiste, donc avec la montée des régimes militaires, le rejet des partenaires internationaux, notamment la France et les autres acteurs, et une volonté de vraiment de se déconnecter de l'architecture institutionnelle qui existait et qui gouvernait notamment dans les partenariats militaires et les partenariats de défense. Donc cela se reflète maintenant sur les uses et coutumes de la société burkinabè où on utilise ce sentiment souverainiste là pour poser des mesures discriminatoires et potentiellement attentatoires à l'égalité des personnes devant la loi et pour criminaliser l'homosexualité et notamment sur la base de valeurs traditionnelles qui sont proclamées.
DW : Et comment la communauté internationale, en particulier l'Union africaine et l'ONU, devrait-elle réagir ?
Bon, ça, c'est aux acteurs internationaux de définir les modalités de leurs réactions.Je pense que leur relation avec le Burkina Faso va au-delà de cette question-là.
Mais il va falloir sans doute réagir et se positionner sur ces questions-là parce qu'on note une vague de front qui risque d'avoir des effets notamment sur les discriminations et notamment sur les violences contre des personnes sur la base de leur orientation sexuelle.
DW : Existe-t-il des mécanismes juridiques ou diplomatiques pour contester ou freiner l'application de cette loi ?
Il y a des dispositions comme la Charte africaine des droits de l'homme ou bien le pacte international sur les droits civils et politiques qui peuvent servir de base notamment à la contestation de de cette disposition-là qui a été mise en place par les autorités burkinabè.
DW : Ousmane Ali, pensez-vous que cette loi sera appliquée de manière systématique ou qu'elle servira surtout d'instruments ou de menaces et de contrôle ?
Écoutez, je ne saurais dire comment cette loi sera appliquée, mais le fait simplement que ces dispositions existantes constituent une menace pour les membres de la communauté LGBTQ+ et contribuent à un climat de stigmatisation. et de discrimination au Burkina Faso.
DW : Comment les ONG locales et internationales peuvent elles soutenir les personnes LGBTQ+ plus du Burkina Faso sans aggraver leur vulnérabilité ?
Ce que cette loi fait, ce qu'elle va les renvoyer encore davantage dans l'ombre d'une certaine manière, si je peux parler ainsi et éviter de se déclarer publiquement, ce qui constitue un potentiel danger pour eux parce que les possibilités de violence et de discrimination ne feront qu'augmenter avec la mise en place de cette disposition dans le nouveau code des personnes et les familles.
DW : Ousmane Ali Diallo, merci d'avoir accepté notre invitation.
Merci à vous et très bonne journée.