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Qui se cache derrière la huitième candidature de Paul Biya ?

15 juillet 2025

Plus qu’un homme, la nouvelle candidature du président Paul Biya est portée par un système attaché à ses privilèges. Tant qu’il reste en place, le statu quo protège le pouvoir de l’ombre.

Le président Paul Biya en compagnie de la Première dame Chantal Biya.
Le président Paul Biya en compagnie de la Première dame Chantal Biya. Beaucoup estiment qu’elle aurait les moyens de convaincre son mari de se retirer, mais qu’elle soutient sa présence au pouvoir pour préserver son propre poids politique et les intérêts du clan familial.Image : MOHAMED ABD EL GHANY/REUTERS

À 93 ans, Paul Biya s’apprête à briguer un huitième mandat à la tête du Cameroun, un pays qu’il dirige officiellement depuis 1982.

Et cette candidature pour un huitième mandat passe mal au Cameroun. Pour bon nombre d’observateurs, même si c’est étonnant, ce n’est pas une surprise et ils estiment que le président nonagénaire ne sert que de paravent.

Le cercle restreint

Selon l’analyste politique et défenseur des droits humains, Philippe Nanga, le pouvoir réel ne se trouve plus entre les mains du président, mais entre celles d’un cercle restreint d’acteurs, au premier rang desquels figure le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh.

"Le secrétaire général signe aujourd’hui presque tous les documents censés émaner du président. Il est omniprésent sur le terrain, mène des missions politiques et règle des conflits internes au parti. Ce sont là des tâches qui relèvent normalement du chef de l’État", affirme M. Nanga.

Il explique que "Si Paul Biya était pleinement aux commandes, on ne comprendrait pas pourquoi son secrétaire général signerait presque tous les actes du pays. Cela traduit une chose simple : le président est indisponible. "

Le président Paul Biya et des barons du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais). Le parti au pouvoir reste profondément dépendant de la figure de Paul Biya pour sa cohésion.Image : Kepseu/Xinhua/picture alliance

Une gouvernance par procuration

Le système actuel de gouvernance au Cameroun reposerait donc sur une mise en scène du pouvoir, où l’image du président est utilisée comme paravent pour légitimer les décisions prises par d’autres.

Pour Philippe Nanga, c’est une "mascarade politique orchestrée par une poignée de personnalités : le secrétaire général, certains hauts gradés de l’armée, des ministres-clés… et certainement même la première dame, Chantal Biya."

Il ne serait pas étonnant que la première dame fasse partie du dispositif. Si elle voulait réellement protéger son époux, elle l’aurait convaincu de se retirer. Mais elle y trouve probablement un intérêt personnel."

Toujours selon Philippe Nanga, Chantal Biya resterait volontairement dans l’ombre pour ne pas exposer son rôle. Elle bénéficie ainsi d’une position stratégique, sans devoir assumer le poids politique et juridique d’un rôle officiel.

Pourquoi ne se présentent-ils pas eux-mêmes ?

La question est centrale : si ces individus détiennent le pouvoir réel, pourquoi ne pas sortir de l’ombre ? Pourquoi continuer à gouverner à travers un homme nonagénaire affaibli ? 

La réponse, selon l'analyste, réside dans l’absence de consensus au sein du parti au pouvoir (RDPC) mais aussi à cause de la peur.

"Paul Biya reste la seule figure capable de maintenir l’unité du parti, malgré son état. Le jour où une autre personnalité se mettra officiellement en avant, le parti se fracturera. Il y a déjà des divisions internes profondes. Certains cadres sont opposés à une nouvelle candidature du président, mais ils n’osent pas le dire par peur des représailles."

Depuis plusieurs années, le président Paul Biya est rarement apparu en public. Lorsqu’il s’exprime, c’est à travers de brefs communiqués ou des vidéos enregistrées. À défaut d’un président actif, les regards se tournent vers le secrétaire général de la présidence.Image : Charles Platiau/REUTERS

La gouvernance par la peur

C’est là un autre point crucial : le régime actuel fonctionne sur la peur. Et celui qui ose claquer la porte, rappelle l’analyste politique Ernesto Yene, est vite marginalisé.

"Il y a un élu local du nom de Taylor Nana qui a publiquement déclaré que Paul Biya n’est même plus, selon les textes, le président légitime du parti. Il a même annoncé sa propre candidature et a porté l’affaire devant la justice. Mais aucune suite n’a été donnée à sa requête. En réalité, tous se réfugient derrière la candidature de Paul Biya, car elle garantit à chacun le maintien de ses privilèges au sein de l’appareil du pouvoir. Si une autre candidature venait à émerger, le parti risquerait l’implosion."

Le Cameroun, rappelle de son côté le défenseur des droits humains, Phillipe Nanga, est un État répressif où toute dissidence interne peut coûter cher, politiquement et personnellement.

Quelques rares personnalités, comme le ministre de la Justice, à certaines occasions, ont osé désobéir à des instructions dites "présidentielles", émanant en réalité du secrétaire général de la présidence. Mais la majorité préfère le silence.