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Etat de droitCameroun

Le retour au Cameroun de Marcel Niat Njifenji

13 mars 2024

Au Cameroun, le président du Sénat revient au pays après plusieurs mois d'absence pour cause de maladie. Mais ce retour pourrait n'être que provisoire, le temps d'être réélu.

Marcel Niat Njifenji, président du Sénat camerounais (illustration de 2022)
Marcel Niat Njifenji, président du Sénat camerounais, va sur ses 90 ans et il serait très maladeImage : Daniel Beloumou Olomo/AFP/Getty Images

Au Cameroun, le président du Sénat a refait son apparition. Marcel Niat Njifenji est rentré au pays après avoir "disparu des radars" depuis novembre 2023. Sa longue absence a alimenté les rumeurs et inquiétudes sur l'exercice du pouvoir au sommet de l'Etat, étant donné que Marcel Niat Njifeni est le n°2 de l'appareil étatique.

D'autant que son retour, très affaibli par la maladie, coïncide avec le renouvellement du bureau des deux chambres parlementaires et pourrait n'être que provisoire.

Interview de Jean-Marc Bikoko, Tournons la page Cameroun

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Le numéro 2 de l'Etat camerounais

Un "dinosaure en voie d’extinction" C’est ainsi que, dans un article paru début mars 2024, l’hebdomadaire Jeune Afrique qualifiait Marcel Niat Njifenji. 

Président du Sénat camerounais depuis sa création en 2013, Marcel Niat Njifenji aura 90 ans en octobre prochain.

C’est un proche du président de la République, Paul Biya. Les deux hommes se seraient rencontrés au lycée. 

Jean-Marc Bikoko, président de la Centrale syndicale du secteur public et coordinateur de la Coalition Tournons la page Cameroun, rappelle qu'à ce titre, Marcel Niat Njifenji est "de façon institutionnelle, [...] la personne qui doit assurer l’intérim en cas de vacance du pouvoir."

Dernière apparition publique en 2023

La dernière apparition publique de Marcel Niat Njifenji remontait au 23 novembre 2023, lors de la rentrée solennelle du Sénat. 

Paul Biya dirige le Cameroun depuis plus de quarante ansImage : Stephane Lemouton/abaca/picture alliance

Quelques jours plus tard, des images de lui ont circulé pendant une fête de famille. 
Mais depuis lors, plus rien, jusqu’à l’annonce de son retour hier soir, pour assister à l’élection du bureau des deux chambres parlementaires.

Le député Koupit Adamou, membre de l’UDPC, parti d’opposition, et secrétaire du groupe d’amitié parlementaire Allemagne-Cameroun, s’en souvient : "Lorsqu’on l’a vu le 9 décembre à la clôture de ladite session, tout le monde apercevait des signes de fatigue avancée, des signes d’incapacité physique."

Même sur les réseaux sociaux, Marcel Niat Njifenji, qui communiquait volontiers sur ses déplacements, s’était tu.

Une absence qui bloque le Parlement

Le président du Sénat avait aussi manqué deux rendez-vous importants : la cérémonie des vœux au président en janvier et l’ouverture de la session parlementaire, le 6 mars.

Le député Koupit Adamou explique pourquoi rien ne peut se passer tant que le président du Sénat n’est pas là pour présider la session: "La première session de l’année législative 2024 au Cameroun s’est ouverte le mardi 5 mars dernier et nous sommes aujourd’hui plus d’une semaine plus tard. Il n’y a eu aucune activité au Parlement du Cameroun depuis cette ouverture. Pourtant, la durée d’une session du Parlement est de trente jours. Mais qu’est-ce qui justifie cela ? C’est que l’enjeu capital, c’est le renouvellement du bureau des deux chambres."

Koupit Adamou poursuit : "La Constitution du Cameroun voudrait que ce soit chaque année, à la première session, que le bureau de ces deux chambres soient renouvelées. Or il se trouve que le président sortant du Sénat, Marcel Niat Njifenji, n’était pas en capacité d’être présent. Et comme tout semble indiquer que son parti politique, largement majoritaire au Parlement, qui est au pouvoir au Cameroun et celui du chef de l’Etat, aimerait renouveler sa confiance à M. Niat Njifenji. Comme il faut la présence du candidat au perchoir, on comprend le retard pris par rapport au démarrage de l’activité parlementaire."

Intervention de Paul Chouta, journaliste camerounais

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Hospitalisation payée par le contribuable ?

Son absence s’expliquerait par une hospitalisation en urgence en France, le 31 décembre, aux frais du contribuable camerounais, d’après l’hebdomadaire Jeune Afrique.

Le syndicaliste Jean-Marc Bikoko souligne que les responsables politiques qui se font soigner à l’étranger est une pratique habituelle.  "Les maladies des autorités en poste au Cameroun sont discrètes, remarque-t-il. On n’a pas d’information officielle sur ce qu’il en est de l’état du président du Sénat camerounais : est-il malade ? est-il décédé ? est-il hospitalisé ? Personne n’en sait grand-chose. Tout cela relève de simples rumeurs. Mais c’est une vérité de La Palisse : chez nous, au Cameroun, tous les pontes du régime, toutes les personnes qui contribuent à la consolidation du pouvoir, sont immédiatement déférées dans les grands hôpitaux à l’extérieur, aux frais du contribuable camerounais.[…] Des instructions du chef de l’Etat pour sa prise en charge par l’Etat ne surprendraient personne. Ce sont des pratiques courantes."

Cette situation est d'autant plus choquante selon lui que "les hôpitaux en place au Cameroun sont juste pour la forme : pas de plateau technique, pas de médecins. Et les Camerounais sont tous exposés à la mort car être malade et aller à l’hôpital, cela n’améliore pas ta situation."

Niat dans un état critique

Le journaliste et lanceur d’alerte Paul Chouta affirme avoir eu des contacts avec des proches de Marcel Niat Njifenji qui auraient confirmé qu’il était dans un état critique, "placé par intermittence sous assistance respiratoire" : "Des sources familiales nous ont rapporté que [...] son état de santé est très critique. Ces sources indiquent (-...) qu’il ne parvient même plus à reconnaître les gens, qu’il ne parvient plus à parler et qu’il y a des doutes qu’il se remette debout."

Une autre source explique que : "Ils ont tout fait pour qu'il revienne, qu'on le fasse tenir le temps de lui renouveler son mandat de président et qu’on le ramène" à Paris.

Pas de retraite sans l'accord de la présidence

Alors pourquoi ne pas se retirer ? Des proches affirment que Marcel Niat Njifenji entend de nouveau faire part à Paul Biya de son épuisement. Mais celui-ci ne l’a pas démis de ses fonctions.

Jean-Marc Bikoko explique ainsi l’inertie du pouvoir : "Les postes sont des propriétés individuelles avec un titre foncier. Quand on vous a nommé à un poste, tant que celui qui vous y a nommé ne vous retire pas de ces fonctions, vous y êtes ad vitam aeternam."

Après l’élection présidentielle de 2018, Paul Biya a par ailleurs procédé à une "délégation permanente de signature" en faveur du secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, considéré par certains comme le "président de fait du Cameroun". 

Or, selon Paul Chouta, Ferdinand Ngoh Ngoh ferait tout pour que Marcel Niat Njifenji reste en fonctions malgré son état de santé.

Le maintien en fonctions de Marcel Niat Njifenji  "dont on sait bien qu’il ne pourra jamais faire le travail qu’on attend d‘un président du Sénat" relèverait d’une "mise en scène", selon Koupit Adamou. Mais voilà, Marcel Niat Njifenji fait partie des sénateurs nommés par le chef de l’Etat, pas de ceux qui sont élus.

Au Cameroun, la précarité touche aussi le troisième âge

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La redistribution des postes

S’il était remplacé, cela risquerait de bouleverser l’échiquier politique camerounais, et la distribution des postes en fonction des zones géographiques d’origine des dirigeants.

"Pour le moment, Marcel Niat Njifenji n’est pas là. S’il est absent, que se passera-t-il ? Des débats évoquent une redistribution des cartes […] parce que Paul Biya a toujours voulu organiser les postes en fonction des zones géographiques.

La primature revient toujours à la région anglophone, le Sénat à la région de Ouest et l’Assemblée nationale au Grand-Nord."

Au-delà même de la personne de Marcel Niat Njifenji, l’âge avancé de nombreux responsables politiques commence à créer des remous dans l’opinion publique. 

Place aux jeunes ?

Le président Paul Biya a 91 ans et est le plus vieux président en fonction au monde. Mais il n’est pas le seul de sa génération dans l’appareil d’Etat du Cameroun. Pour Paul Chouta, le Cameroun est "pris en otage par la gérontocratie".

"Il y a quelqu’un qui est l’aîné de Paul Biya, énumère le journaliste : c’est le patron de la police camerounaise qui est né en 1932. Paul Biya est né en 1933, Marcel Niat Njifenji, lui, est né en 1934. On a également le président de l’Assemblée nationale qui est âgé de 84 ans. On a le président du Conseil constitutionnel qui est âgé officiellement de 88 ans. [Et il y a aussi le président du Conseil économique et social qui est âgé de 78 ans."

Le député Koupit Adamou s’en offusque :  "C’est quelque chose qui crée des problèmes au Cameroun. Qui plombe toute possibilité, toute potentialité de développement. […] Il faut comprendre que pour faire avancer [le pays], on n’a pas besoin que de compétences et d’expérience, mais aussi des ressources physiques de ceux qui sont au front pour pouvoir faire face à tout". 

Koupit Adamou poursuit : "Je crois que ceux qui dirigent la plupart des institutions importantes n’ont plus cette exigence d’énergie physique pour apporter ce que la nation est en droit d’attendre d’eux […] A un moment donné, on mérite de se reposer et de jouir de tous les efforts qu’on a déployés pour être actif dans la construction de l’Etat. Il n’y a pas un seul domaine dans notre pays où on ne trouve pas de ressources humaines pleines d’expérience, d’énergie, de connaissances."

Le prix du carburant grimpe, le pouvoir d'achat baisse, alimentant le mécontentement populaireImage : Ludovic Marin/AFP/Getty Images

Un mécontentement grandissant

L’exercice obscur du pouvoir par un groupe d’hommes très âgés mécontente de plus en plus de Camerounais, confrontés à de véritables difficultés économiques au quotidien. 

Depuis la baisse des salaires des fonctionnaires de 70% en 1993, le coût de la vie n’a cessé de régresser, explique Jean-Marc Bikoko.

"Dernièrement, il y a eu, pour la deuxième fois successive, une hausse du prix du carburant qui vaut aujourd’hui 840 francs CFA le litre, tandis que le pouvoir d’achat des populations est presque nul. Donc tous les Camerounais, en-dehors des profiteurs du régime qui se sucrent au niveau de la tête de l’Etat, tous les Camerounais sont dans un mauvais état."

Et selon le syndicaliste, les électeurs ont perdu confiance en leur système politique. "A quoi servent les élections quand on sait ce qu’il en a toujours été ainsi depuis qu’on fait des élections au Cameroun ?, soupire-t-il. Nous ne savons plus où aller. On parle de plus en plus des élections de 2025, alors qu’il y a des problèmes. On voit des leaders d’opposition qui, aujourd’hui, nous présentent les alliances politiques et il faudrait choisir un représentant de l’opposition alors que les vrais problèmes sont là ?"

Dans les prochains mois, le Cameroun devra choisir s'il veut revenir sur des rails plus démocratiques, ou risquer d’exacerber le mécontentement populaire en cas de tentative de maintien des clans au pouvoir, dans une succession de type quasi monarchique.