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De l’herbe et des médicaments

Jean-Michel Bos
19 juin 2021

La consommation de cannabis et de tramadol a augmenté depuis une dizaine d’années en Afrique de l’Ouest, au point de devenir un enjeu sanitaire.

Le Cepiad, ouvert en 2014 à Dakar, est la première clinique pour toxicomanes en Afrique de l'Ouest.
Le Cepiad, ouvert en 2014 à Dakar, est la première clinique pour toxicomanes en Afrique de l'Ouest.Image : DW/E. Landais

Nous publions aujourd’hui la troisième et dernière partie d’une enquête consacrée au trafic de drogues en Afrique. 

 

Dans les épisodes un et deux de cette série consacrée au trafic de drogues en Afrique, nous avons montré comment le continent est une zone de transit pour la cocaïne et l'héroïne. Ces drogues ne font donc que passer, elles sont encore relativement peu consommées sur place.

Ainsi, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) estime que le continent compte à peine 1,9 millions de consommateurs de cocaïne pour 45 millions de consommateurs de cannabis.

L'habitude de fumer du cannabis s'est établie encore plus solidement en Afrique de l'Ouest ou encore au Cameroun où, selon notre correspondante Elisabeth Asen, cette pratique est entrée dans les écoles.

Les statistiques du Comité national de lutte contre la drogue sont ainsi préoccupantes puisqu'elles affirment que 21% de la population camerounaise en âge scolaire aurait déjà consommé des stupéfiants : essentiellement fumé du cannabis ou bien avalé du tramadol, cet opioïde dont la consommation non médicale a explosé depuis une dizaine d'années.

Près d'une personne sur dix en Afrique de l'Ouest a déjà fumé du cannabis.

Au Nigeria, les estimations avancent le chiffre d'une personne sur dix ayant déjà fumé du cannabis. Une proportion sensiblement égale à celle enregistrée dans toute l'Afrique de l'Ouest.

Cette région se classe d'ailleurs parmi les premières au monde pour ce qui concerne la consommation de cannabis, tandis que l'Afrique dans son ensemble reste un centre mondial du trafic de cette drogue.

La crise sanitaire du tramadol

Mais la tendance est plus inquiétante en ce qui concerne le tramadol dont la consommation induit un effet addictif plus fort que celui du cannabis.

Les études sont encore rares en la matière. L'UNODC estime que près de 7,5 millions d'Africains consomment des opioïdes, essentiellement du tramadol.

Le seul pays africain à avoir conduit une étude assez large sur le tramadol est le Nigeria et les conclusions ne sont pas bonnes : sur une tranche d'âge de 15 à 64 ans, trois millions d'hommes (6% de la population) et 1,6 millions de femmes (3,3%) ont admis un usage non médical du tramadol.

Cette étude a aussi montré que le coût du tramadol est moins élevé que celui de l'héroïne (moins de quatre dollars américains par jour contre dix dollars) mais cela représente toujours une charge considérable dans un pays où le salaire moyen d'un employé à plein temps est de 57 dollars par mois, rapporte l'étude.

Le cannabis et le tramadol arrivent largement en tête des drogues consommées en Afrique.

Soins psychiatriques

L'UNODC souligne, dans son rapport 2020 sur les drogues, que la consommation de tramadol, comme celle de cannabis, ont des impacts sanitaires graves.

"Le nombre de personnes soignées pour leur addiction au tramadol a augmenté au cours des dernières années en Afrique de l'Ouest, notamment au Bénin, Mali, Niger, Nigeria, Sierra Leone et Togo", poursuit le rapport.

Les jeunes sont-ils plus touchés que les autres tranches de la population ? Pas forcément, si on se base sur l'étude menée au Nigeria. Mais une autre enquête, conduite sur seulement 300 jeunes dans l'ouest du Ghana, indique que plus de la moitié d'entre eux a déjà consommé du tramadol pour un usage récréatif. Ce qui est une proportion considérable.

"La classe moyenne consomme du tramadol et cet usage a encore augmenté durant la pandémie de Covid-19", explique Amado Philip de Andrés, le nouveau directeur régional pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale de l'UNODC. 

Cette irruption du tramadol est en train de modifier le profil des Africains qui suivent un traitement pour soigner leur toxicomanie. L'UNODC rappelle ainsi que jusqu'en 2017, 70% d'entre eux étaient des consommateurs de cannabis. 

Désormais cette part s'est réduite à 50%, suivie par les consommateurs de tramadol : près de quatre millions d'entre eux seraient en traitement en Afrique de l'Ouest.

Mais leur prise en charge reste problématique. Les Nations unies estiment que dans le monde, seulement une personne sur six nécessitant une cure de désintoxication y a accès. Ce chiffre serait trois fois plus faible en Afrique.

Souvent pris en charge par le système psychiatrique, les toxicomanes ne bénéficient pas toujours de soins adaptés. Mais l'ouverture en 2014 du Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar (Cepiad), le premier centre de soins à destination des toxicomanes en Afrique de l'Ouest, représente un espoir dans cette région.

L'UNODC a soutenu cette initiative. "Ce que nous sommes en train de faire avec le Sénégal devrait être copié dans d'autres pays", ajoute Amado Philip de Andrés de l'UNODC. 

Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos
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