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COP14 à New Delhi : le plaidoyer d'Ibrahim Thiaw

Ibrahim Thiaw
3 septembre 2019

Le sous-secrétaire général de l'ONU et secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification s'alarme de la dégradation des terres. Le sujet est au menu de la COP14 à New Delhi.

Kommentatorenbild | Ibrahim Thiaw
Image : picture-alliance/dpa/R. Jensen

Tribune

Les incendies de forêts font rage en Afrique centrale, en Amazonie, en Europe. Et même les forêts boréales de l'hémisphère nord ne sont pas à l’abri. De graves sécheresses ont dévasté les moyens de subsistance, en particulier en Afrique australe et dans les Amériques.

Des ouragans et des cyclones de plus en plus fréquents et de haute intensité dans les tropiques, entraînent des phénomènes météorologiques extrêmes, provoquant des inondations soudaines, de graves dégâts et de nombreuses pertes en vies humaines, plus récemment en Asie du Sud-Est et dans les Caraïbes.

Selon les recherches scientifiques, il existe un lien très étroit entre le réchauffement de la planète et les variations météorologiques. Les effets du réchauffement sont par ailleurs davantage resentis dans les zones où les terres sont plus exploitées.

 

Image : Reuters/B. Kelly

Ces tendances inhabituelles inquiètent les populations. Celles-ci prennent conscience de plus en plus car l'ignorance n'est plus excusable. Mais l'action politique semble trop lente. La communauté internationale a beaucoup d'occasions, au cours des deux prochaines années, pour prendre des mesures adéquates en vue de renforcer la résilience des communautés et des écosystèmes et aller dans la direction souhaitée par les populations.

La première occasion est la 14ème session de la Conférence des Parties à la Convention des Nations unies pour la lutte contre la désertification, qui se tient à New Delhi, en Inde, jusqu’au 13 septembre 2019.

La Conférence est l’instance décisionnelle la plus puissante au monde sur la lutte contre la désertification, la dégradation des sols et la sécheresse. Elle a deux mandats complémentaires. Elle oriente les actions visant à éviter ou à réduire la dégradation des terres qui est la source principale de notre vulnérabilité aux catastrophes. Elle soutient également les actions visant à récupérer les terres dégradées et à atténuer les effets de la sécheresse.

 

Image : picture-alliance/dpa/Keystone/P. Klaunzer

La volonté politique d’agir sera mise à l’épreuve et examinée lors de la conférence, moins d’un mois après la publication du premier rapport faisant autorité sur les changements climatiques et les terres, présenté par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le Giec.

Elle intervient également à peine trois mois après la publication d’un rapport tout aussi important sur l’état de la biodiversité et des services écosystémiques réalisé par la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). 

Les deux et trois autres évaluations scientifiques récentes sont parfaitement claires. Nous avons considérablement transformé notre planète et nous testons les limites de ses capacités.

 

Image : Imago/Xinhua

Environ 75% des terres ont été transformées par rapport à leur état naturel, souvent sans respect des normes environnementales. En 50 ans à peine, nous avons appauvri 23% des terres auparavant productives.

Notre utilisation insatiable des ressources terrestres, y compris la nourriture, l'eau et l'énergie, peut contribuer à l’émission de jusqu'à 37% (ou un tiers) des gaz à effet de serre qui réchauffent la planète. De plus, lorsque les 14 facteurs de dégradation des terres sont placés sur la cartographie terrestre, on aperçoit un chevauchement entre eux.

En conséquence, 1,3 milliard de personnes vivent actuellement sur des terres dégradées. Près d'un million d'espèces sont menacées d'extinction. Mais les impacts vont bien au-delà. Plus de 3,2 milliards de personnes – près de la moitié de la population mondiale - sont touchées par la dégradation des sols.

 

Image : picture-alliance/dpa/T. Schwarz

Attendre d’une conférence de deux semaines qu’elle aide à trouver une solution miracle à ces problèmes peut sembler irréaliste. Et pourtant, j'ai de l'espoir.

Espoir en raison de la mise en œuvre rapide par les gouvernements des grandes décisions prises au cours des quatre dernières années en matière de lutte contre la sécheresse et la dégradation des terres. Il y a cinq ans, seuls trois pays dans le monde avaient des plans nationaux pour gérer efficacement les sécheresses. Aujourd'hui, 70 pays ont mis en place des plans comparables.

De même, sur les 169 pays qui se sont déclarés affectés en 2013 par la dégradation des sols, la désertification ou la sécheresse, 122 se sont fixés ou sont sur le point de fixer des objectifs nationaux volontaires pour faire en sorte que la dégradation des sols soit maîtrisée d'ici 2030.

 

Image : Getty Images/M. Aim

J'espère également que les décideurs mandatés pour prendre des mesures se sont montrés disposés à travailler de manière approfondie et scientifique sur les problèmes émergents, afin que des mesures appropriées soient prises rapidement.

Notamment, les facteurs incitatifs à des migrations de masse dans la région africaine du Sahel, responsables de beaucoup de pertes de vies en Méditerranée, ne sont pas clarifiés. Lors de la dernière conférence, les décideurs s’étaient mis d’accord pour examiner la question. Le rapport, ainsi que les résultats scientifiques des autres problèmes émergents qu’ils ont eu à explorer, seront présentés à New Delhi pour définir les actions à venir.

La semaine prochaine, environ 80 ministres, deux Premiers ministres et le vice-secrétaire général des Nations unies participeront à la conférence pour examiner, entre autres, les questions émergentes susceptibles de nuire à notre avenir. Ils examineront, par exemple, les mesures à prendre pour résoudre certains problèmes identifiés dans les récents rapports du GIEC et des évaluations sur la biodiversité et des écosystèmes.

 

Image : DW/K. Tiassou

Par exemple, des actions par rapport aux biens produits au mépris des règles environnementales dans une partie du monde et consommés dans d’autres pays par des acheteurs ignorants. Des maladies et autres problèmes de santé liés à la désertification seront au menu des discussions. Et également, les projets de villes futures visant à garantir que l'Afrique et l'Asie ne perdent pas jusqu'à 80% de leurs terres productives du fait de l'urbanisation.

Je suis aussi optimiste parce que l'ordre du jour de la conférence montre que les gouvernements sont disposés à trouver des solutions aux problèmes épineux. Certains problèmes handicapent leurs politiques depuis longtemps.

Par exemple, des thèmes tels que le régime foncier, le développement des chaînes d'approvisionnement alimentaires éthiques, la restauration des écosystèmes et les bonnes pratiques de gestion des terres pour accroître l'accès à l’eau et la résilience des terres à la sécheresse figurent à l'ordre du jour de la COP14.

 

Image : AFP/B.R. Smith

Les craintes des populations et les manifestations en faveur de l’écologie telle que le mouvement « Friday for future » organisé par les jeunes dans le monde entier, témoignent d'une impatience croissante face à l'inaction. Chaque jour d'action ou d'inaction compte pour notre survie.

Les ministres qui veulent garantir l'utilisation optimale des terres se retrouveront à New Delhi. C’est une force épique de changement qui peut élever la barre en matière d’utilisation et de gestion des terres et donner le ton aux actions connexes à venir sur le changement climatique et la biodiversité.

Par Ibrahim Thiaw

(Ibrahim Thiaw est Secrétaire général adjoint des Nations unies et Secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD). Précédemment, Conseiller spécial pour le Sahel du SG de l’Onu.)