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Crise Ukraine-Russie : Berlin suspend Nord Stream 2

Sandrine Blanchard | Avec agences | Thomas Kohlmann
22 février 2022

Le gouvernement allemand suspend la certification du gazoduc controversé Nord Stream 2. Une première sanction contre la Russie de Vladimir Poutine.

Le chancelier allemand Olaf Scholz espère encore une solution diplomatique à la crise ukrainienne
Le chancelier allemand Olaf Scholz espère encore une solution diplomatique à la crise ukrainienneImage : picture alliance/dpa

"Sans cette certification, Nord Stream 2 ne peut pas être mis en service”, a déclaré le chancelier allemand Olaf Scholz qui a ainsi justifié sa décision : 

"La décision du président russe de reconnaître les soi-disant républiques populaires de Lougansk et de Donetsk lundi est une grave violation du droit international. Le président Poutine ne rompt pas seulement l'accord de Minsk qu'il a lui-même signé en 2014-2015. Il rompt également avec les principes fondamentaux tels qu`inscrits dans la Charte des Nations unies sur la coexistence pacifique des peuples." 

Son vice-chancelier, l'écologiste Robert Habeck qui est aussi le ministre de l'Economie, a donné la consigne à l'agence allemande de régulation de l'énergie de retirer l'autorisation délivrée en octobre 2021 qui aurait permis au gazoduc controversé de commencer à acheminer le gaz russe vers l'Europe, et principalement l'Allemagne.

>>> Lire aussi : Nord-Stream 2 ou l'objet de la discorde

Nord Stream 2 relie les deux pays via un gazoduc de 1.230 kilomètres sous la mer Baltique. Il dispose d'une capacité de 55 milliards de m3 de gaz par an, sur le même parcours que le gazoduc Nord Stream 1, opérationnel depuis 2012. 

La construction du gazoduc s'est achevée à l'automne 2021 mais Nord Stream 2 n'avait pas pu être mis en service, faute de respecter toutes les normes allemandes et européennes.

Berlin avait émis fin octobre un avis politique favorable puisque le projet ne présentait pas de risque de "sécurité" nationale et c'est cet avis qui vient d'être retiré au gazoduc par le chef du gouvernement allemand.

Le projet va faire l'objet d'une "réévaluation" politique par le ministère de l'Economie en raison de la "situation géopolitique".

Le porte-parole de la présidence russe déclare que le Kremlin espère que la suspension de la certification du projet est "temporaire".

Pendant des années, Nord Stream 2 avait alimenté des tensions entre l'Allemagne (bénéficaire) et les Etats-Unis, mais aussi entre l'Ukraine et la Russie, cette dernière voulant contourner l'Ukraine par la mer. 

Nord Stream 2 en construction, à l'été 2020Image : Stefan Sauer/dpa/picture alliance

Refus de la main tendue

Cette décision de Berlin est une réponse à la reconnaissance, par Vladimir Poutine, de l'indépendance autoproclamée des séparatistes pro-russes du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, où le président russe a ordonné l'envoi de troupes pour "maintenir la paix”.

Berlin estime que le Kremlin a refusé toutes les "mains tendues” et, par son "agression” de l'Ukraine, violé à la fois les accords de paix de Minsk de 2015, mais aussi la Charte des Nations unies et le droit international.

>>> Lire aussi : Le poids de l'Allemagne dans la résolution de la crise ukrainienne

Plus tôt dans la matinée [22.02.22], le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait exigé l'arrêt "immédiat" du gazoduc russo-allemand. Il avait aussi envisagé une rupture des relations diplomatiques avec la Russie.

A Donetsk, des séparatistes pro-russes, heureux de la reconnaissance par Vladimir Poutine, le 21 février 2022Image : Taisiya Vorontsova/TASS/dpa/picture alliance

L'Allemagne annonce que d'”autres sanctions” pourraient suivre si la situation continue de se dégrader en Ukraine.

Le porte-monnaie, les banques, le foot

Les Européens et les Américains discutent actuellement de sanctions supplémentaires contre la Russie. L'Allemagne espère que ces sanctions seront ”robustes”.

Après avoir salué la décision de Berlin, les Etats-Unis ont annoncé qu'ils prendraient leurs propres "mesures" de rétorsion contre la Russie.

Le Royaume-Uni a déjà annoncé cibler cinq banques et trois oligarques russes (voir document ci-dessous). Le Premier ministre britannique avait prévenu que les sanctions contre les Russie cibleraient les "intérêts économiques russes qui soutiennent la machine de guerre russe".  Elles "vont frapper la Russie très fort et nous ferons bien plus en cas d'invasion", avait ajouté Boris Johnson qui annonce maintenant aussi qu'il s'oppose aux compétitions internationales de football organisées en Russie. Ce qui pourrait remettre en cause la finale de la Ligue des champions prévue le 28 mai au Gazprom Arena de Saint-Pétersbourg.

Vue du stade Gazprom Arena, pendant l'Euro 2020Image : Anton Vaganov/AP/picture alliance

Les ministres des Affaires étrangères européens doivent se réunir dans la journée à Paris. Ces sanctions devraient être avant tout être destinées à isoler la Russie des marchés financiers -  sont envisagés par exemple le gel des avoirs bancaires de plusieurs centaines de personnes et entreprises en lien avec le Kremlin ainsi que l'interdiction des transactions sur les oblogations d’Etat russes.

Selon la Commission européenne, les banques qui participent au financement des mouvements séparatistes pro-russes dans l'est de l'Ukraine pourraient être visées.

Le vice-Premier ministre polonais, qui dirige le parti conservateur au pouvoir en Pologne, Jaroslaw Kaczynski, suggère de sanctionner directement Vladimir Poutine et des oligarques russes.

Pour faire face aux "cybermenaces croissantes" en provenance de la Russie, l'Union européenne indique qu'elle est sur le point d'activer sa cellule de cyberdéfense afin d'appuyer l'Ukraine.

La Norvège a indiqué qu'elle se rallierait aux sanctions européennes contre la Russie.

Le chef de la diplomatie japonaise annonce quant à lui que le G7 est tombé d'accord avec l'UE pour la suite à donner à l'attitude de la Russie. La rencontre a été convoquée par la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock cet après-midi.

L'Otan a annoncé une réunion d'urgence des ambassadeurs de ses 30 pays membres avec le représentant de l'Ukraine. Son secrétaire général dit s'attendre à une "attaque d'envergure" de l'Ukraine par la Russie. La chambre haute du Parlement russe vient d'ailleurs d'autoriser le président à envoyer l'armée hors du territoire national russe.

Image : Hannibal Hanschke/REUTERS

Dépendance allemande au gaz russe 

L'Allemagne se dit prête à déployer davantage de soldats en Lituanie, mais elle maintient en revanche son refus de livrer des armes létales à l'Ukraine et continue d'appeler à un règlement diplomatique de la crise ukrainienne.

Elle devra aussi diversifier rapidement ses sources d'énergie, afin d'être moins dépendante du gaz en provenance de Russie.

La Commission européenne assure que la décision de l’Allemagne de suspendre Nord Stream 2 n’aura pas d’incidence sur l’approvisionnement en gaz puisque le gazoduc n’était pas encore opérationnel. 

Néanmoins, les importations allemandes en sources d’énergie russes ont fortement augmenté ces dix dernières années. Depuis 2012, la part de gaz naturel russe dans ces importations est passé de 40 à 55%, soit une hausse de plus d’un tiers. Les importations de pétrole russe, elles, ont augmenté de 10% durant la même période. 

>>> Lire aussi : Bruxelles donne un label vert au nucléaire et au gaz

Un expert en énergie de la DGAP cité par la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, Andreas Goldthau, affirmait fin 2021 qu’”au regard de l’offre mondiale”, il était possible de “remplacer le gaz russe dès demain”... quitte à prendre le risque d’une forte augmentation du coût de l’énergie, ce qui n’est pas pour plaire aux consommateurs. 

Mais le gaz est aussi utilisé pour 35% par l’industrie allemande, en particulier pour la production d’aluminium, d’engrais et de céramique.  

Les adeptes allemands de la géothermie

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Or les réserves disponibles surtout dans le nord de l’Allemagne sont à un niveau très bas (le taux de remplissage des réservoirs était de 42% il y a quelques mois). A noter au passage: 10% de ces réserves de gaz allemandes sont gérées par des filiales de l’entreprise russe Gazprom, proche du Kremlin.  

L’Allemagne ne pourra pas compter non plus sur les Pays-Bas, la Norvège ou le Royaume-Uni pour diversifier son approvisionnement en gaz: ces pays producteurs n’ont pas les capacités d’augmenter leur production actuelle. 

Quant au gaz naturel acheminé par navires LNG depuis les Etats-Unis, cette solution est lente et coûteuse et l’Allemagne ne dispose de toute façon pas des infrastructures portuaires nécessaires pour qu’ils jettent l’ancre sur ses côtes. 

Pour l’heure, les experts en énergie ne croient pas que la Russie va suspendre ses livraisons de gaz aux Etats européens, en représailles. Ils arguent du fait que le Kremlin n’a pris de telle décision ni durant la Guerre froide, ni après l’annexion de la Crimée. 

D'ailleurs, les présidents, Premiers ministres ou ministres des onze pays membres du Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG) se sont réunis à Doha, ce mardi. Le ministre de l'Energie russe Nikolaï Choulguinov a assuré que "les compagnies russes [étaient] totalement engagées dans les contrats existants".

L’Allemagne dispose encore de trois centrales nucléaires en activité mais qui devraient, tout comme ses centrales à charbon, être déactivées dans le cadre de la transition énergétique. 

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