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EconomieAfrique

Les minerais critiques créent de l’instabilité en Afrique

Jean-Michel Bos | Ana Munoz Padros
15 septembre 2025

Déplacement de populations, intensification de conflits... La course à l'exploitation des minerais critiques a alimenté l'instabilité à travers l'Afrique. La DW examine où les minerais sont extraits et à quel prix.

Une mine d'or dans l'est de la RDC
Tout comme le tantale, de l'or est illégalement envoyé depuis cette mine de l'est de la RDC vers le Rwanda.Image : Alexis Huguet/AFP/Getty Images

Très convoités pour leur utilisation dans les infrastructures respectueuses de l'environnement et d'autres technologies émergentes, les minerais critiques sont extraits dans 31 des 54 pays que compte le continent africain.

L'Afrique du Sud, le Nigeria et le Maroc exploitent la plus grande variété de minerais, tandis que la Guinée est le leader en termes de tonnes métriques de minerais extraits. 

La course mondiale à l'extraction des minerais critiques pourrait s'avérer extrêmement profitable pour les pays africains. Cependant, l'absence de normes cohérentes en matière de travail et d'environnement, ainsi que le manque de collaboration transfrontalière, font que, pour l'instant, les minerais critiques constituent une source supplémentaire d'incertitude dans de nombreux pays. 

"Si nous avions aujourd'hui un accord régional sur la manière d'exploiter les minéraux, cela pourrait être un facteur de stabilité", avance Jimmy Munguriek, avocat et directeur national en République démocratique du Congo (RDC) pour l'ONG Resource Matters.

"D'un autre côté, les minerais peuvent également être une cause d'instabilité politique", ajoute-t-il. "Par exemple, les conflits entre le Rwanda et la RDC sont notamment liés à l'exploitation du coltan."

"Exploitation et contrebande"

Les conflits autour du droit d'exploiter les richesses en coltan de la République démocratique du Congo, minerai essentiel à partir duquel est dérivé le tantale, un métal considéré comme un très bon conducteur, ont contribué à trois décennies de troubles dans l'est du pays.

Avec l'étain (tin, en anglais, ndlr) et le tungstène, le tantale fait partie des métaux dits des "3T" de plus en plus recherchés pour alimenter les appareils électroniques grand public, tels que les ordinateurs portables et les smartphones, ainsi que pour les appareils médicaux et les applications aérospatiales et de défense.

Le pillage des 3T a rendu l'insurrection du M23, à laquelle s’est jointe la branche politique de l'Alliance Fleuve Congo (AFC), de plus en plus lucrative pour les militants et leur principal soutien à l’international : le gouvernement du Rwanda voisin.

La lutte pour récupérer les mines et mettre fin à la contrebande a également fait monter les enjeux pour le gouvernement de la République démocratique du Congo.

En avril 2024, les rebelles du M23 ont pris le contrôle du site minier de Rubaya, qui produit environ 20 % à 30 % du coltan utilisé dans le monde et qui est donc essentiel à l'approvisionnement mondial.

Une administration parallèle a été mise en place par le M23, qui contrôle désormais les capitales provinciales de Goma et Bukavu, respectivement dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu.

Dans leur rapport sur le premier semestre 2025, les experts de l'Onu pour la RDC écrivent qu'Erasto Bahati, le gouverneur du Nord-Kivu, nommé par le M23, "était la figure clé derrière l'exploitation illégale et la contrebande" des minerais depuis la prise de Rubaya.

Au moins 150 tonnes de coltan sont extraites chaque mois de la mine et exportées frauduleusement vers le Rwanda, où le coltan de contrebande est ensuite mélangé à l'approvisionnement national. 

La contrebande menace la traçabilité des minerais par le biais de l'Initiative internationale pour la chaîne d'approvisionnement en étain (ITSCI), qui vise à garantir un approvisionnement "plus responsable" en matières premières pour les industries, produites sans l'implication de groupes armés ni le recours au travail des enfants.

Cette pratique représente "la plus grande contamination des chaînes d'approvisionnement en minerais dans la région des Grands lacs jamais enregistrée à ce jour", prévient l'Onu. 

Les investisseurs se détournent du Sahel

La région du Sahel extrait, pour sa part, encore peu de minerais critiques. Des juntes militaires ont pris le pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger, et l'insécurité y est en hausse.

"Dans certains pays d'Afrique, lorsqu'il y a eu un changement de régime, les entreprises ont vu les lois changer unilatéralement", assure Jimmy Munguriek. Pour les entreprises, cela peut se traduire par une augmentation des impôts ou une révision de leurs contrats avec l'État.

Face à cela, la Côte d'Ivoire est en train de devenir un refuge en Afrique de l'Ouest pour les sociétés minières aurifères qui fuient l'instabilité du Sahel.

En 2023, la Côte d'Ivoire a produit plus de 50 tonnes d'or, et le gouvernement vise à doubler cette production d'ici 2030. Si cet effort se poursuit, la Côte d'Ivoire pourrait dépasser ses voisins du nord, le Mali et le Burkina Faso, où la production stagne en raison de l'instabilité qui a suivi les coups d'État dans ces pays, en 2021 et 2022.

De nouveaux acteurs font leur entrée sur le marché

Parallèlement à l'or, plusieurs initiatives minières pour les minéraux critiques voient le jour en Côte d'Ivoire, alors que les chaînes d'approvisionnement cherchent de plus en plus à éviter les zones de conflit.

Si la RDC et le Rwanda continuent de dominer la production mondiale de coltan, la Côte d'Ivoire, déjà un exportateur clé de manganèse et de bauxite, se positionne comme une alternative crédible sur un marché perturbé par le conflit en cours en Afrique centrale.

En mai, la société britannique Switch Metals a annoncé le lancement de son programme d'exploration de coltan sur le permis de Badinikro, qui fait partie du projet Issia, dans le centre de la Côte d'Ivoire.

Le pays fait également entrer ses propres entreprises dans le secteur, notamment BRI Coltan, détenue majoritairement par Firering Strategic Minerals, qui développe une usine de traitement du coltan. La société minière publique Sodemi s'est associée à une entreprise chinoise, Jiangxi Asia-Africa Xinghua Minerals, pour développer une future mine de coltan.

Outre l'Afrique de l'Ouest, l'Ouganda, la Tanzanie, le Nigeria et d'autres pays d'Afrique subsaharienne augmentent également de manière notable leur production de minerais critiques tels que le feldspath, le cuivre et le manganèse.

"Pour un pays comme le Nigeria, un pays traditionnellement pétrolier, les minerais critiques pourraient être un atout pour une orientation vers la transition énergétique, d'abord pour ses propres politiques internes, mais aussi pour les intérêts mondiaux qui sont en jeu aujourd'hui", estime Jimmy Munguriek.

L'exploitation minière provoque des déplacements de population

Cependant, dans les pays qui exploitent depuis longtemps des minerais critiques, comme la RDC, l'extraction de ces ressources est en train de remodeler les centres de population qui entourent les sites d'exploitation.

Commus, une coentreprise entre la société chinoise Zijin Mining et la société publique congolaise Gecamines, est chargée de construire un nouveau quartier dans la région riche en minerais autour de Kolwezi, dans le sud du pays.

Sylvain Ilunga Muleka, technicien en métallurgie et principal interlocuteur concernant le relogement de sa communauté, a déclaré que la construction des futures maisons des résidents, situées à environ 30 kilomètres de leur site actuel, connu sous le nom de quartier Gécamines, à Kolwezi, avait pris près d'une décennie de retard.

En 2017, le quartier comptait 39 000 habitants. Après plusieurs vagues de relocalisations et d'expulsions, il ne reste plus que 2 000 habitants environ, selon le Pulitzer Center.

"Les explosions provenant de la mine font trembler nos murs", raconte Sylvain Ilunga Muleka. "C'est vraiment risqué. Nous devons accélérer le processus de relocalisation."

Pour les données, le code et la méthodologie utilisés dans cette analyse, voirce référentiel GitHub.

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Auteur.e.s : Ana Muñoz Padrós, Jean-Michel Bos 

Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos
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