1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

Quel sort pour la démocratie dans l’AES ?

1 mai 2025

Nous revenons sur le principe de l’état de droit, de la séparation des pouvoirs et du rôle que doivent jouer les partis politiques dans un système qui favorise le développement basé sur les valeurs de la démocratie.

 Assimi Goïta, Abdourahamane Tiani, Ibrahim Traoré
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont devenus des pays où le principe de la démocratie est fortement perturbé par les pouvoirs militaires au somment de l'État..Image : Francis Kokoroko/REUTERS; ORTN - Télé Sahel/AFP/Getty; Mikhail Metzel/TASS/picture alliance

Ce sont des pays dont on parle très souvent : le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont dirigés par des militaires qui ont pris le pouvoir entre 2020 et 2023. Ces trois pays ont pour point commun : la lutte contre le terrorisme et les groupes armés qui perpétuent des attaques, depuis plusieurs années, sur leurs territoires, qui s'étendent sur quelque 2,8 millions de kilomètres carrés.

La lutte contre le terrorisme et l'insécurité est présentée comme l'une des principales raisons avancées par les militaires au pouvoir. Il faut dire que la montée du djihadisme a contribué à une instabilité permanente qui a favorisé l’effondrement des régimes précédents au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Et, les populations, fatiguées par l’incapacité des gouvernements à les protéger, ont vu parfois en ces coups de force militaires une solution à court terme.

Mais à mesure que les périodes de transition se prolongent, les citoyens de l'AES s’interrogent, aussi, sur la réelle volonté des militaires à restaurer l’état de droit et la démocratie. D’autant plus que le concept même de démocratie est remis de plus en plus souvent en question par les pouvoirs militaires.

Au Mali, par exemple, les consultations nationales, organisées par les militaires au pouvoir, ont recommandé la dissolution des partis politiques, mais aussi celle de toutes les associations à caractère politique, ainsi que l'élévation du chef du pouvoir militaire, le récemment promu général Assimi Goïta, au rang de président de la République pour cinq années renouvelables. 

Assimi Goïta, au pouvoir depuis le putsch d’août 2020, n’a pas été élu et ne possède pas d’autre légitimité que celle d’un soutien populaire supposé, mis en avant par les putschistes, mais difficile à vérifier dans un pays où la répression impose un climat de peur.

Les militaires au pouvoir au Nger aiment les bains de foule et les mobilisations de populaires dans la rue et dans les stades.Image : Boureima Hama/AFP/Getty Images

La quête d'une nouvelle identité politique

La situation est similaire au Niger et au Burkina Faso, deux autres pays qui forment, avec le Mali, l'Alliance des Etats du Sahel. Mais, comme à Ouagadougou et à Niamey, "les consultations nationales" de Bamakoont été boycottées par les principaux partis politiques. Or, la démocratie, ce sont les contre-pouvoirs. Même s'il n'y a pas de système unique qui s'applique à tous. Les nations doivent s'inspirer de leurs histoires et des réalités sociopolitiques de leurs peuples. 

En Afrique, en particulier dans les pays du Sahel actuellement, des voix évoquent, d'ailleurs, de plus en plus la nécessité de se réinventer, de se défaire des structures néocoloniales pour créer un modèle basé sur des valeurs propres au continent.

Les récents coups d’État survenus au Mali, au Niger et au Burkina Faso reflèteraient, donc, cette quête d'une nouvelle voie politique qui prendrait à contrepied les conclusions des conférences nationales qui ont eu lieu dans les années 1990.

Ces consultations populaires avaient institué la notion de l'État de droit en Afrique et la soumission de l'État au respect des règles d'alternance démocratique.

Émission spéciale sur la démocratie dans l’AES ?

This browser does not support the audio element.

Soma Abdoulaye est professeur agrégé de droit à l'université de Ouagadougou au Burkina Faso. Pour lui, le problème en Afrique n'est pas au niveau des normes ou des institutions, mais au niveau de leur mise en application par des chefs d'États qui n'ont pas un esprit démocratique - des propos recueillis et diffusés sur nos antennes avant le coup d'État militaire du capitaine Ibrahim Traoré-.

Instrumentalisation de l'opinion publique

Que ce soit à Ouagadougou, à Bamako ou à Niamey, le débat autour de ce que l'on appelle "la démocratie occidentale" reste vif et la question de la fiabilité du processus démocratique se pose avec insistance au sein de l’opinion publique. Car, les acteurs de la transition instrumentalisent souvent l'opinion publique pour garder le pouvoir.  La démocratisation passe alors au second plan.

Au Mali, par exemple, le pays a vécu l'alternance démocratique en 1992 à la suite de l’élection d’Alpha Oumar Konaré, premier président démocratiquement élu. Mais depuis 2012, une instabilité socio-politique et sécuritaire marquée par une série de ruptures de la démocratie a mis à mal un processus qui divise les Maliens.

Les pouvoirs militaires au Sahel sont confrontés aux attaques terroristes qui tuent les populations civiles et les forces de sécurité.Image : Mahamadou Hamidou/REUTERS

Au Niger, un autre pays de l'Alliance des États du Sahel, l’avènement du multipartisme dans les années 90 a été également marqué par des bouleversements sociopolitiques majeurs. Il a aussi suscité de l‘espoir au sein des citoyens désormais libres de s’exprimer et de choisir leurs dirigeants.

Mais le dysfonctionnement des institutions démocratiques dans leur pratique a souvent favorisé l’irruption de l’armée sur la scène politique à Niamey. Et depuis le dernier coup de force contre le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum, les Nigériens sont partagés sur la perception de la démocratie.

Aujourd’hui, la Cédéao  - la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest- et d’autres institutions internationales tentent de rétablir l’ordre démocratique par des sanctions. 

Mais ces mécanismes sont perçus par une partie des populations comme le reflet de l’influence occidentale. Or, ce qui se joue au Sahel est une lutte pour l’autonomie et la souveraineté des pays qui ont claqué la porte à la Cédéao.

Les États membres de la Cédéao espèrent que le Mali, le Niger et le Burkina Faso reviendront sur leur décision de quitter l'organisation régionale.Image : Ubale Musa/DW

Les chefs militaires de l'AES sont réputés pour leurs sorties fracassantes, à l'image du chef de la transition burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré. Celui-ci a récemment demandé qu'on lui "cite un seul pays qui s’est développé dans la démocratie".

« Ce n’est pas possible», dit-il. Faux, explique l'ex-ministre togolais de l’Intérieur François Akila-Esso Boko, qui rappelle l'échec des systèmes de gestion basée sur la dictature.

Rôle des partis politiques

L’éducation des partis politiques est, en effet, un passage obligé pour les partis de l’opposition. C’est du moins ce que nous disait Jean Didier Boukongou, professeur de droit international à l’université catholique de l’Afrique centrale basée à Yaoundé, lors de notre série consacrée à la démocratie en Afrique, au rôle et aux responsabilités de l’opposition ainsi qu'à sa faiblesse face aux régimes en place.

La Guinée aussi...

En dehors de l'AES, il y a eu aussi un coup d'État en Guinée, le 5 septembre 2021. Depuis, le pays vit sous un régime militaire qui contrôle tous les leviers du pouvoir. Celui-ci a ainsi décidé de refaire le paysage politique.

La Guinée aussi est dirigée par une junte militaire sous le général Mamadi Doumbouya qui met á mal l'état de droit et la démocratie.Image : AP Photo/picture alliance

Plus de 50 formations ont été interdites par le ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation. Officiellement, ils n'auraient pas répondu aux critères d'évaluation des partis. 

La Guinée, où les militaires au pouvoir ont annoncé pour le 21 septembre l'organisation d'un référendumsur une nouvelle Constitution. Une consultation que Conakry présente comme une première étape devant aboutir à un retour à l'ordre constitutionnel.

Mais, comme au Mali, au Niger et au Burkina Faso, la junte guinéenne est régulièrement accusée de réprimer la liberté d'expression et de faire taire des figures de l'opposition.