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"Depuis le putsch, la situation sécuritaire s'aggrave"

Georges Ibrahim Tounkara
23 août 2023

Au Niger, l'instabilité politique pourrait être une aubaine pour les mouvements djihadistes.

Un soldat nigérien patrouille dans la région d'Arlit
Douze soldats nigériens ont été tués dimanche (20.08.2023) dans une embuscade de jihadistes présumés Image : Issouf Sanogo/AFP/Getty Images

Plusieurs attaques meurtrières ont frappé le pays depuis le coup d'Etat du 26 juillet qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum. Un président qui avait obtenu des succès dans la lutte contre le terrorisme.

Sur les six premiers mois de l'année 2023, les attaques sur les civils avaient ainsi baissé de 49 % par rapport aux six premiers mois de l'année 2022, selon l'ONG ACLED qui répertorie les victimes des conflits à travers le monde.

Entretien avec Bakary Sambe directeur du Timbuktu Institut, un centre d'études africain sur la paix. 

Retranscription de l'interview 

DW : Professeur Bakary Sambe, bonjour ! 

Bakary Sambe : Bonjour 

DW : Faut-il s'inquiéter d'une dégradation de la situation sécuritaire au Niger après le coup d'État du 26 juillet dernier ?

Bakary Sambe : Oui. Jusqu'ici, le Niger arrivait à gérer de manière plus ou moins efficace la zone des trois frontières, après avoir eu des victoires éclatantes sur le front Boko Haram. Mais, on voit que depuis le putsch du 26 juillet, la situation sécuritaire s'aggrave. Durant tout le mois d'août, dans la région de Tillabéri (sud-ouest), où l'État islamique au Sahara, et le GSIM, le groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, profitent des troubles récents pour accentuer leurs exactions. On peut dénombrer au moins 48 civils et 37 soldats qui ont été tués. C'est quand même un nombre supérieur à l'ensemble de ce que le Niger a perdu depuis l'arrivée de Bazoum au pouvoir.

DW : A quoi pourrait-on imputer cela ? Est-ce au coup d'État ou à la suspension de la coopération militaire entre la France et le Niger ?

Bakary Sambe: Je crois qu'il y a plusieurs circonstances combinées. Les moments d'insécurité sont des moments où les groupes extrémistes s'activent, mais aussi lorsque ceux qui devraient s'occuper de la sécurisation des frontières sont attirés par les canapés douillets du pouvoir dans les capitales, cela donne ce résultat là.

"Les moments d'insécurité sont des moments où les extrémistes s'activent" (B. Samb)

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Ce qu'on a vu récemment dans la région de Tillabéri, à Ayerou, vers Téra et même jusqu'à Abala, dans d'autres zones de la zone Liptako Gourma, montre qu'aujourd'hui, plus la situation va continuer à être incertaine au Niger, plus on va assister à une recrudescence des attaques. Sachant que du côté malien et du côté burkinabè, ces deux pays ont toute la peine du monde à sécuriser leurs frontières. Donc, le Niger va subir de plein fouet cette crise là, la montée de l'insécurité dans la région des trois frontières.

DW : Et une éventuelle intervention de la Cédéao, cela pourrait aggraver cette situation sécuritaire ?

Bakary Sambe : Je pense que s'il y avait une intervention militaire aujourd'hui au Niger, cela aggraverait le problème sur plusieurs plans. Premièrement, il y aura un chaos, en tout cas une insécurité dont profiteraient les groupes extrémistes qui se frottent déjà les mains. Mais aussi l'afflux de réfugiés vers des pays voisins. Et je crois que tout cela va concourir à une aggravation de la situation sécuritaire dans ce pays déjà frappé de plein fouet par cette crise interne et politique depuis le coup d'Etat du 26 juilet.

DW : Une autre désintégration du Niger est-ce possible ? On parle du scénario libyen.

Bakary Sambe : Oui, beaucoup de scénarii ont été évoqués par les analystes et je crois qu'aujourd'hui, ce qu'il faut éviter, c'est que la situation politique actuelle n'aboutisse pas sur un réveil des communautés contestataires. Vous savez que le Niger a pu gérer jusqu'ici la crise depuis les rébellions touareg de la région d'Agadez, mais aussi un dialogue avait été entamé avec certaines communautés dans le Liptako Gourma. Aujourd'hui, si on perdure dans une situation sécuritaire incertaine et dans une situation institutionnelle instable, il est fort probable qu'avec l'afflux des réfugiés, mais aussi le jeu entre plusieurs acteurs aujourd'hui au Sahel puisse accentuer cette forme de communautarisation de la violence à laquelle on assiste déjà dans certains pays comme le Mali et le Burkina Faso.

DW : Alors, est-ce vrai que sous le président Mohamed Bazoum, ces dernières années, le Niger avait quand même réussi à juguler les attaques djihadistes?

Bakary Sambe : Oui, il est vrai qu'il avait adopté cette méthode mixte. D'abord, il y avait la coopération militaire française. Mais dans cette coopération française, il y avait un format où la France était derrière et que les Nigériens prenaient les devants. Mais aussi il avait, lui, directement entamé des négociations et des pourparlers avec les communautés, pas avec les grandes nébuleuse terrorisme mais avec les communautés, en instaurant un dialogue, en s'inspirant de ce qu'il avait réussi dans la région de Diffa avec l'expérience de Goudoumaria pour entamer un dialogue avec les communautés qui avait commencé à porter ses fruits malgré les insuffisances.

DW : On reproche tout de même au président Bazoum d'avoir libéré certaines têtes des mouvements djihadistes

Bakary Sambe : C'est une critique qui a été inspirée par le fait qu'il y a eu des concessions qui ont été faites de part et d'autre. D'abord, lui même a assumé ces dialogues en disant que le Niger doit parler à ses enfants, même à ses enfants perdus. Je pense que ce dialogue là a pu aboutir certainement à un certain moment, à des concessions, à des ententes. Peut-être que c'est ça qui a pu inspirer ou en tout cas insinuer l'idée d'avoir libéré des djihadistes. Mais je crois qu'il avait bel et bien entamé un processus de dialogue qui avait commencé à donner ses résultats, notamment dans la région de Tillabéri. 

DW : Et dernière question, est-ce qu'on peut dire que sous Bazoum, le Niger se portait mieux comparativement au Mali ou au Burkina Faso ?

Bakary Sambe : Je le crois parce que malgré les contestations sur son élection, malgré les contestations sur l'immixtion de l'ancien président dans la gouvernance, malgré certaines dérives de mal gouvernance qu'on retrouve dans beaucoup de pays de la région, je crois qu'il avait réussi deux choses : la première chose, c'était d'entamer ce dialogue là et de stabiliser le front dans la région de Tillabéri, d'avoir aussi calmé le front Boko Haram à partir de la région de Diffa, mais aussi d'avoir donné des gages à ces communautés là et d'avoir instaurer des ponts de dialogue entre l'Etat central et les communautés, ce qui avait commencé à donner ces résultats. Je crois qu'il avait un certain nombre de résultats et que la situation sécuritaire n'était pas aussi catastrophique, comme au Burkina Faso et au Mali, au point de pouvoir justifier un coup d'Etat.

Georges Ibrahim Tounkara Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle
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