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HistoireAfrique

Comment l'Allemagne coloniale a étendu son empire en Afrique

La rédaction francophone
13 février 2024

En 1885, Adolf Lüderitz avait acquis de vastes territoires dans l'actuelle Namibie. Mais ses contrats avec les populations locales étaient si douteux que même les fonctionnaires coloniaux allemands en doutaient.

Deutsch-Ost-Afrika, Askaris und Träger
La fameuse force de protection allemande, la Schutztruppe, se composait principalement d'Askaris - des Africains originaires d'autres régions - sous les ordres de commandants allemandsImage : Bundesarchiv, Bild 134-C0258/CC-BY-SA

Voici le premier article de la série "Dans l'ombre de la colonisation allemande" proposée par DW Afrique.

En dix épisodes, un podcast vous accompagne tout au long de l'histoire sombre des colonies allemandes en Afrique, de la fin du XIXè siècle à 1918.

Comment l'Allemagne a-t-elle mis pied sur le territoire de l'actuelle Namibie?

Dans les années 1880, les cartographes européens savaient qu'il n'existait que trois baies suffisamment sûres pour ancrer des bateaux, sur un littoral long d'environ 2 000 kilomètres. 

Dans l'ombre de la colonisation allemande - Podcast. Ep.01

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Une fois débarqués, les voyageurs faisaient face à plus de 140 kilomètres d'un désert aride, le Namib.
En 1883, le chef Nama Josef Fredericks II reçut un jeune marchand allemand nommé Heinrich Vogelsang à Bethany, dans le sud de la Namibie, en 1883.

Mandaté par l'homme d'affaires allemand Adolf Lüderitz, il offrit à Fredericks 200 fusils et 100 livres sterling en échange de la zone située autour d'une baie isolée de la côte atlantique. 

Quelques mois plus tard, ils signèrent un second contrat : 60 fusils et 500 livres sterling, pour une zone s'étendant sur 20 miles géographiques vers l'intérieur des terres, jusqu'au fleuve Orange, à la frontière avec l'Afrique du Sud.

Pourquoi ces contrats sont-ils si controversés ?


Localement, les distances étaient alors habituellement mesurées en miles britanniques, soit 1,6 kilomètres. Les miles géographiques étaient une unité de mesure alors inconnue, et c'est la clé du problème. L'unité utilisée par les Allemands équivalait à 7,4 kilomètres, soit environ six fois plus que le mile anglais !

L'accaparement des terres et les tactiques douteuses de l'homme d'affaires Adolf Lüderitz ont ouvert la voie à la présence allemande en Afrique australe.Image : dpa/picture alliance

Lüderitz, Vogelsang et le missionnaire, témoins de la transaction, savaient parfaitement que Fredericks n'avait aucune idée de la superficie des terres Nama qu'il était en train de vendre par inadvertance.

Comment cette terre, achetée avec des fonds privés, a-t-elle été intégrée aux biens de l'État allemand ?


Les terres acquises par des particuliers au Cameroun, dans le Sud-Ouest africain et en Afrique de l'Est ont été aussi rachetées par l'Empire allemand.

Le Lüderitzland apparaît alors sur les cartes coloniales et, en août 1884, l'Allemagne déclare l'endroit un protectorat. Cette déclaration marque une étape cruciale dans les ambitions de l'Allemagne de créer une colonie de peuplement.

Lüderitz espérait faire fortune en achetant des terres dans le désert de Namibie,  en trouvant et en exploitant des minéraux comme le cuivre. Il finit par posséder tout le littoral de l'actuelle Namibie. Mais son entreprise se solda par un échec.

À court d'argent, Lüderitz dut se résoudre à vendre ses biens à la société coloniale allemande en 1885 et disparut lors d'une expédition, peu après.

Les traités de ce genre ont-ils été utilisés dans d'autres régions pour obtenir des terres ?


Oui, tout le continent est concerné. Ces traités coloniaux étaient souvent mal compris, leur portée sous-estimée ou les signataires manipulés pour obtenir leur adhésion. Au Cameroun, les fonctionnaires allemands n'ont pas ménagé leurs efforts pour que les revendications formulées par les chefs locaux dans le Traité germano-douala de 1884 soient laissées de côté.

Racines d'Afrique : Hendrik Witbooi

02:05

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À la fin de l'année 1884, Carl Peters sillonna les territoires de l'actuelle Tanzanie pour faire signer à des chefs locaux des documents rédigés par ses soins sans mandat du gouvernement allemand. Il offrait de l'alcool à ses interlocuteurs et leur promettait la protection de l'Empire.

Pourquoi l'État allemand a-t-il malgré tout ratifié les documents de ce type ?


Il est difficile de comprendre pourquoi le chancelier von Bismarck, qui était sceptique quant à l'acquisition de colonies par l'Allemagne, a soutenu les projets des hommes d'affaires ambitieux comme Carl Peters, Adolf Lüderitz ou Adolphe Woermann. 

Il est certain qu'au milieu des années 1880, les nations européennes se bousculaient pour étendre leur zone d'influence et acquérir des colonies en Afrique. Carl Peters, par exemple, estimait que l'intérêt de la Belgique pour l'Afrique centrale pourrait nuire aux intérêts de l'Allemagne. Bismarck finit par céder à la pression politique. Il accepta d'accorder aux territoires de Peters le statut de « protectorat."

Quel était l'objectif réel d'un "protectorat" ?

Aujourd'hui encore, la ville de Lüderitz existe toujours dans l'actuelle NamibieImage : picture-alliance/dpa/T. Schulze

Les traités dits « de protection » garantissaient en apparence la protection de l'Allemagne à ses signataires, en échange de leur soumission. En réalité, ils officialisaient les prétentions coloniales de Berlin à l'encontre d'autres nations européennes concurrentes et les mettaient en garde : l'Allemagne défendrait ces territoires coloniaux contre toute ingérence. Face aux voisins européens, l'Allemagne exigeait donc un respect méticuleux des traités. Mais lorsqu'il s'agissait d'honorer ses obligations à l'égard des populations africaines, Berlin tirait profit de clauses souvent ambiguës.

Les traités de protection autorisaient les entreprises allemandes à exploiter les terres, les ressources et la main-d'œuvre et à faire venir des troupes et des armes allemandes.

Pourquoi les chefs locaux ont-ils signé de tels documents ?

Là où les colons allemands sont allés, les fusils et les armes ont généralement suivi, comme ici au Cameroun.Image : akg-images/picture-alliance

Les chefs communautaires de Tanzanie, de Namibie, du Togo ou du Cameroun n'ont probablement pas toujours compris la portée des documents qu'ils signaient. Certains chefs voulaient des armes pour régler des différends locaux. D'autres, comme les chefs de Douala au Cameroun, avaient exprimé des revendications, mais elles ont été effacées de la version allemande du traité, à leur insu. Dans d'autres cas, les colons allemands, sachant qu'ils disposaient d'un armement supérieur et du soutien d'une armée professionnelle, n'ont tout simplement pas tenu compte des engagements pris.

Quelles ont été les conséquences pour les populations locales ? 

La gestion des colonies et le sort des populations locales ont été laissés au bon vouloir d'une poignée de colonialistes allemands. Aucun d'entre eux n'avait à cœur les intérêts locaux, et ils ont surtout utilisé la force militaire pour écraser la résistance et acquérir de la main-d'œuvre pour les projets d'infrastructure et les exploitations agricoles.