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En RCA, des enfants soldats ont leur école citoyenne

Paul Lorgerie
28 mars 2018

Dans le centre de formation professionnel de Don Bosco, au nord de Bangui, les anciens enfants soldats se forment à un travail et à la vie en communauté. Mais ils restent toujours une proie facile pour les groupes armés.

Bangui, Zentralafrikanische Republik, Don Bosco Zentrum
Image : DW/Paul Lorgerie

" J'ai décidé de rentrer à Bangui pour poursuivre mes études " (Medecin, enfant soldat centrafricain)

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En République centrafricaine, de nombreux enfants soldats ont réussi à sortir des liens des chefs de guerre. Parmi eux, Médecin, menuisier. À 25 ans, il travaille dans la coopérative du quartier de Damala, à Bangui, la capitale de la République centrafricaine. Un mètre accroché en évidence à la ceinture par dessus une chemise bouffante à carreaux, ce jeune homme d'apparence calme s'agite lorsqu'il en vient à raconter son passé proche.

Le regard fuyant, il avoue avoir « tué des hommes » alors qu'il faisait partie des anti-balakas, une mouvance armée née en réaction aux exactions commises par les Selekas, à l'origine du coup d'Etat de mars 2013. En 2015, Médecin termine ses études dans le secondaire. " Mon père m'a alors envoyé a Bambari, au centre du pays, pour que je puisse les continuer ", relate-t-il. " C'est là qu'un groupe de Seleka a brûlé la maison de mon grand-père et tué mon frère. "

 

Image : DW/Paul Lorgerie

En colère, Médecin s'engage dans un groupe armé qui lui garantit un revenu. Cette période, il n'en parle pas vraiment.

Tout comme Zebou, âgé de 20 ans. L'œil vif, arborant fièrement son polo vert, il suit une formation de chauffeur-mécanicien. Il a été enrôlé un 5 décembre, il avait 17 ans, " à cause des actes commis par les Selekas ".

Zebou fait aujourd'hui partie des 3.346 enfants libérés par les groupes armés en 2017, selon les chiffres de l'Unicef qui comptabilise par ailleurs 12.483 libérations depuis 2014.

Le défi de la prise en charge

Pour Christine Muhigana, représentante de l'Unicef en République centrafricaine, la " réintégration des jeunes dans leur communauté est souvent tributaire de l'accès à l'école ou à des formations professionnelles dont l'offre manque ici ".

Une formation dont Médecin et Zebou ont pu bénéficier au sein du centre de formation professionnelle de Don Bosco, a Bangui.

Créée en 1996, cette école dirigée par le Père Kevin accueille les jeunes centrafricains dits "vulnérables ". À travers huit filières, de la soudure à l'agriculture en passant par la couture, ces jeunes se voient offrir une formation professionnelle, dans un pays où 18% des jeunes sont inscrits dans le secondaire.

 

Image : DW/Paul Lorgerie

De la difficulté de réintégrer un soldat

Médecin et Zebou ont suivi une formation de neuf mois. Au-delà de leur spécialisation, Don Bosco a dispensé aux deux anciens soldats, ainsi qu'à 250 autres jeunes ayant intégré le centre, des cours de français, d'histoire-géographie et d'éducation civique.

" Ces cours permettent surtout aux élèves d'apprendre le vivre ensemble et le respect de la loi de leur pays ", précise Joseph, professeur d'éducation civique. Le vivre-ensemble est le credo du centre Don Bosco. Car les jeunes anciennement associés à un groupe armé sont une minorité dans l'école.

Depuis sa prise de position de directeur en 2015, le Père Kevin a recensé 550 autres jeunes vulnérables qui ont reçu une formation dans le centre. Sans appliquer de traitement de faveur à l'une ou l'autre catégorie, il admet qu'il faut savoir " comment prendre les enfants soldats ".

Derrière son bureau orné de photos de ses différents voyages en France, il revient sur l'histoire de " Commandant ", un ancien jeune gradé au sein d'un groupe armé. Alors qu'il refusait de se plier au même règlement que les autres, le Père Kevin a " d'abord chercher à le valoriser en prônant le mérite. Puis le grade dont il disposait ne devient plus qu'un souvenir. Au bout d'un temps, ils commencent à vivre avec les autres, à partager le même ballon de foot, la même nourriture... L'objectif est de leur faire comprendre qu'ils ont tous les mêmes droits et les mêmes privilèges. "

 

Image : DW/Paul Lorgerie

Des résultats encourageants

Sur les 700 jeunes formés depuis 2015, 375 auraient trouvé un travail. Certains ont fait le choix de continuer leurs études comme Zebou, d'autres d'entrer dans la vie active pour nourrir leur famille comme Médecin qui est père d'une petite fille.

Certains aussi décident de retourner dans l'arrière-pays, et là, cela devient compliqué car nous n'avons pas les moyens de les suivre ", constate le directeur de l'établissement.

Christine Muhigana ajoute qu'il existe un " phénomène de revolving door (porte tournante – NDLR) car l'attrait des groupes armés une fois les enfants retournés dans leur communauté est une réalité. Nous ne savons absolument pas combien il en reste dans la nature ".

C'est pourquoi Médecin exhorte les différents acteurs sur place à partir à la recherche des ses " grands frères et petites sœurs " encore enrôlés dans un groupe armé pour leur " changer les idées ".