Etats-Unis : pour que chaque voix compte
23 octobre 2020S’il fallait une preuve qu’il s’agit de l’une des élections les plus importantes de l’histoire aux yeux des Américains, il suffit de voir les images des files d’attente interminables devant les bureaux de vote où l’on peut déposer son bulletin par anticipation.
A moins de deux semaines de l’élection, plus de 50 millions d’Américains ont déjà officiellement fait leur choix entre Donald Trump et Joe Biden, dont 35 millions par correspondance et 15 millions en personne selon l'Université de Floride. A titre de comparaison, ce record dépasse déja maintenant le nombre de votes par anticipation total de 2016 qui était alors de 47 millions.
Plusieurs facteurs expliquent cette mobilisation. D’une part, le coronavirus et les mesures sanitaires font craindre à nombre d’électeurs des embouteillages devant les bureaux de vote le jour de l’élection le 3 novembre.
Deuxièmement, une méfiance générale vis-à-vis du processus électoral s’est installée, alimentée par la rhétorique conspirationniste de Donald Trump qui martèle que seule une élection truquée pourrait le faire perdre.
Seuls trois électeurs sur cinq ont confiance dans le système électoral, selon le Pew Research center.
Le président dénonce ainsi depuis des semaines la fiabilité du vote par correspondance, pointant du doigt des faits divers comme ces bulletins de vote à son nom trouvés récemment dans une poubelle en Pennsylvanie. Une erreur, selon les autorités locales, qui se sont excusées.
Pourtant, le FBI a officiellement démenti les dires du président. La police fédérale assure qu’il n’existe aucune raison de ne pas faire confiance au vote par correspondance.
Mais peu importe pour Donald Trump : son message est bien reçu par ses supporters. La moitié pensent que leur vote par correspondance ne sera pas compté correctement, poussant là aussi beaucoup à aller se rendre aux urnes le plus tôt possible.
Le tutoriel de Barack Obama
Néanmoins, comme le notela radio publique américaine NPR, ce sont surtout les démocrates qui se mobilisent. "Les sondages montrent depuis des mois que les démocrates ont décidé de voter de façon anticipée bien plus les républicains."
Barack Obama lui-même propose des tutoriels vidéo pour expliquer comment voter correctement, notamment par correspondance, selon l’Etat dans lequel on est enregistré.
Stephen Colbert, la star des Late Night Show et fervent opposant à Donald Trump, a lui aussi mis en ligne 51 vidéos, soit le nombre d’Etats - plus le district de Columbia – où l’on va désigner des grands électeurs.
NPR fait également remarquer que la part des électeurs afro-américains dans ce vote anticipé progresse largement par rapport à 2016. Ils sont déjà six fois plus nombreux à avoir déposé ou envoyé leur bulletin qu’au même moment lors de la dernière élection.
Ce facteur peut s’avérer déterminant car l’électorat noir américain est réputé plus difficile à mobiliser, comme en 2016, au grand dam de Hillary Clinton. Car traditionnellement, cet électorat vote démocrate.
S’il se mobilise donc en masse comme en 2008 lorsqu’il s’est agi de porter Barack Obama au pouvoir, alors Donald Trump a du souci à se faire. En 2016, celui-ci n’avait obtenu que 8% des voix de l’électorat noir.
Le milliardaire a beau se vanter régulièrement, comme hier soir encore lors du débat, qu’aucun président "n’a fait autant" que lui "pour la communauté noire depuis peut-être Abraham Lincoln" (une référence à l’abolition de l’esclavage ndlr), mais d’après un sondage de l’Université Quinnipiac, 80 % des électeurs noirs estiment que Donald Trump est raciste.
"Voter suppression"
Une autre motivation qui pousse l’électorat afro-américain à aller voter par anticipation est de ne pas perdre de voix à cause à de ce qu’on appelle aux Etats-Unis la "voter suppression" la suppression du vote des minorités.
Depuis 2013, la Cour suprême permet aux Etats de changer leurs lois électorales sans avoir à démontrer que ces changements ne sont pas discriminatoires.
Dans des Etats conservateurs du Sud comme l’Arizona, le Texas, le Mississippi, les deux Carolines, ou encore la Géorgie, les démocrates accusent ainsi les républicains d’avoir mis en place des règles qui visent les minorités pour les exclure ou les démotiver du processus électoral.
L’une des mesures a été par exemple la fermeture de centaines de bureaux de vote dans le Sud, précisément là où la communauté afro-américaine doit aller déposer son bulletin. Le résultat sont des files d’attente immenses qui peuvent décourager d’aller voter.
On les a encore vues en Géorgie ou, avec les complications sanitaires liées au coronavirus et l’engouement général pour cette élection, il fallait parfois attendre 11 heures avant d’atteindre l’entrée du bureau de vote.
Pour les républicains, cela s’explique parce que pour le vote anticipé, le nombre de bureaux est restreint par rapport au 3 novembre.
Ce n’est pas l’avis de Carol Andersen qui vit en Géorgie. "Nous sommes au pays de la suppression d’électeurs", a expliqué la chercheuse au micro de la DW. Selon elle, les politiques de Washington à Atlanta cherchent "des moyens pour lutter contre le changement démographique".