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L'Ethiopie vers une paix incertaine

3 novembre 2022

L'accord de cessation des hostilités dans le Tigré, signé entre le gouvernement éthiopien et les combattants du TPLF, suscite un optimisme très prudent. Réactions.

A Pretoria, le chef de la délégation gouvernementale Redwan Hussein (à gauche) échange les documents de l'accord avec le négociateur en chef des Tigréens, Getachew Reda (à droite)
L'accord signé par les négociateurs éthiopiens laisse encore de nombreux points en suspensImage : Themba Hadebe/AP/picture alliance

Le gouvernement éthiopien a signé mercredi [02.11.22] un accord de cessation des hostilités avec les combattants tigréens du TPLF, deux ans presque jour pour jour après le début de la guerre du Tigré, en novembre 2020, dans le nord de l'Ethiopie.

C'est Olusegun Obansanjo qui a annoncé la nouvelle. L'ancien président nigérian est le médiateur de l'Union africaine

"Aujourd'hui marque le début d'une nouvelle aube pour l'Éthiopie, pour la Corne de l'Afrique et même pour l'Afrique dans son ensemble. Les deux parties éthiopiennes en conflit ont formellement accepté la cessation des hostilités ainsi qu'un désarmement systématique, ordonné, harmonieux et coordonné, le rétablissement de l'ordre public, la restauration des services, l'accès sans entrave aux fournitures humanitaires, la protection des civils, en particulier des femmes, des enfants et des autres groupes vulnérables, entre autres domaines d'accord."

Les tentes d'un camp de réfugiés à Mekele (21.10.22)Image : Million Haileselassie/DW

L'Union africaine parle d'"une étape importante dans les efforts visant à faire taire les armes".

Ce qu'en disent les signataires

Le chef de la délégation gouvernementale, le conseiller à la sécurité nationale d'Abiy Ahmed, Redwan Hussein, a félicité les parties pour leur "engagement constructif afin de permettre au pays de mettre cette période tragique de conflit derrière nous".

Redwan Hussein a estimé qu'il revenait aux signataires "d'honorer cet accord", d'agir dans le respect de son esprit. "Le peuple éthiopien attend plus que le texte de cet accord, a-t-il déclaré. Il demande la paix et l'harmonie, il désire le développement". Le conseiller à la sécurité promet que "le gouvernement, pour sa part, prendra diverses mesures proactives pour nourrir la démocratie et le développement inclusif dans le pays."

Le représentant du TPLF aussi a fait part de son espoir. Getachew Reda dit espérer que les "efforts pour faire taire les armes seront sérieusement suivis d'effets". Il souhaite au peuple éthiopien "toute la paix du monde" et appelle à "reconstruire les communautés qui ont déjà été fermées en raison d'une guerre aussi sanglante qui s'est poursuivie au cours des deux dernières années et qui se poursuit encore". Il assure "nous sommes prêts à tout faire pour nous assurer qu'aucun effort de la part des fauteurs de troubles ne nous fera reculer [sur notre engagement pour la paix]."

Réactions en Ethiopie

La guerre au Tigré a duré quasiment deux ans jour pour jour. Elle a fait des centaines de milliers de morts en deux ans, en majorité des civils. La région a été le théâtre de terribles exactions, notamment de la part des alliés érythréens des troupes gouvernementales. 

Solomon Tefera, enseignant de sciences politiques à l'Université Ambo, dans la région d'Oromia, estime au micro de la DW que l'accord est "une bonne nouvelle pour les Ethiopiens (...) et tous ceux qui aiment la paix". Il espère un soutien international en vue de contribuer à l'application de l'accord pour instaurer la paix.

Retour de déplacés internes d'Alamata, ville du Tigré (31.10.2022)Image : Sintayehu Seid/Alamata Youth League

Le correspondant de la DW dans le Tigré, Million Haileselassie, a recueilli la réaction de Dawit Geberemichel, un fonctionnaire. Pour cet homme, "la question de la paix est plus importante pour le peuple du Tigré que pour n'importe qui d'autre". Il rappelle les souffrance des Tigréens : "Je pense que la paix sauvera le peuple éthiopien de la mort, des déplacements et des catastrophes. C'est donc une très bonne chose que l'accord de paix ait été conclu. Surtout en tant qu'habitants du Tigré. Nous espérons que cette vie de chaos sera résolue pacifiquement."

Mais pour Dawit Geberemichel, des doutes subsistent: "Le cas de l'Érythrée n'a pas été évoqué dans l'accord. Le soldat érythréen a commis de nombreuses atrocités, des meurtres de personnes en Ethiopie-Tigré.  Par conséquent, nous avons des doutes sur la manière dont l'accord sera respecté. Dans quelle mesure l'accord de paix est-il sûr ? Parce que nous avons eu des expériences où les promesses n'ont pas été tenues", déclare-t-il.   

Des problèmes non-résolus

Volker Türk salue aussi l'accord signé comme "une étape encourageante". Le nouveau Haut-Commissaire de l'Onu aux droits de l'Homme recommande toutefois un accès à "des voies de recours efficaces et des réparations adéquates" pour les victimes. Il réclame également "la condamnation de la violence sexuelle et fondée sur le genre (...) ainsi que l'engagement à mettre en œuvre une politique nationale de justice transitionnelle"

Interrogé par la DW, Adem Kassie Abebe est chargé de programme à l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale à La Haye, aux Pays-Bas. Il estime quant à lui que "la plupart des questions clés restent en suspens".

Parmi les grands problèmes qui ne sont pas réglés par l'accord, il cite "la représentation des grandes institutions nationales, l'arrangement fédéral [...], la question de l'Érythrée et les controverses sur les frontières terrestres entre Tigré et Amhara en particulier. Et bien sûr, [la question] de savoir qui va diriger le Tigré jusqu'à ce que des élections puissent être organisées". Il considère toutefois que l'accord de cessation des hostilités était "une première mesure nécessaire".

Ce tank, photographié près de Mekele, dans le Tigré, en 2021, appartiendrait à l'armée erythréenneImage : Yasuyoshi Chiba/AFP

Interview avec René Lefort

Le chercheur indépendant René Lefort va même plus loin. Selon lui, l'accord n’augure rien de bon pour l’Ethiopie car le Premier ministre "Abiy Ahmed et ses alliés [d’Erythrée et de l’élite amhara éthiopienne] ont [désormais] les mains libres pour faire ce qu’ils veulent au Tigré". Et la faute en revient en partie, toujours selon René Lefort, à l’Union africaine et à la communauté internationale qui n'ont pas assez fait pression sur le camp gouvernemental éthiopien pour préparer la paix.


Ecoutez ou lisez ci-dessous l'analyse que René Lefort a livrée à DW Afrique :

René Lefort : D'abord, ce n'est pas un accord de paix qui a été signé. C'est un accord de cessation des hostilités qui doit ouvrir des négociations qui, elles, aboutiraient à une paix durable.

L'avantage de cet accord, c'est qu'il arrête les massacres, que ce soit de civils ou de militaires dans le nord du pays, au Tigré en particulier. Il faut quand même rappeler qu'on estime que les combats ont fait environ 250 000 morts parmi les militaires et que le blocus du Tigré a fait environ 500 000 morts de faim, de maladies, etc. Donc le côté positif, c'est que les souffrances de la population devraient normalement cesser.

"Pour beaucoup d'Africains, il y a deux poids, deux mesures" (René Lefort)

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Le côté négatif, c'est que, en réalité, c'est un coup de force réussi par l'allianceAbiy AhmedIssayas Afeworki, président de l'Érythrée et l'élite amhara de Bahir Dar. Un coup de force réussi parce que cet accord masque tout simplement une capitulation du Front populaire de libération du Tigré.

Le Front populaire de libération du Tigré avait un seul levier pour faire avancer ses intérêts, c'était sa force armée. Cette force armée va être totalement désarmée en 30 jours. Autrement dit, en réalité, les soldats vont se rendre et ils vont être enfermés dans des camps de prisonniers. Donc, le Front populaire de libération du Tigré a aujourd'hui les mains vides. Il est à la merci de ce que a Abiy Ahmed, Issayas Afewerki et l'élite amhara voudront bien faire au Tigré.

Des soldats éthiopiens, en septembre 2021Image : AMANUEL SILESHI/AFP/Getty Images

Or, leurs intentions sur le Tigré, elles sont connues. Ils l'ont dit et l'ont répété. Et la première période de contrôle du Tigré, entre novembre 2020 et juin 2021, a été absolument terrible pour les Tigréens en termes de massacres, de viols collectifs, de pillages, etc. Et ce qui se passe actuellement, depuis que les troupes de cette coalition avance au Tigré, c'est la reprise, voire l'intensification des exactions qu'on a connues pendant la période précédente.

 

DW : Donc cela veut dire que cet accord n'est pas un engagement de l'armée éthiopienne et de ses alliés érythréens à cesser aussi ce type de violences?

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed avait prôné une solution africaine à un problème africain. Les négociations, à Pretoria, se sont déroulées sous l'égide de l'UAImage : PHILL MAGAKOE/AFP

Il n'y a aucun engagement sérieux auquel cette coalition serait tenue par cet accord pour la simple raison que, d'une part, la commission qui est chargée de veiller à son application est en fait une commission qui jouera dans la main de Abiy Ahmed d'une part - et parce qu'elle est de toute façon, numériquement, tout à fait insuffisante.

Et d'autre part, parce que la communauté internationale qui pourrait faire pression sur Abiy Ahmed ne le fera pas parce que son objectif principal, c'était d'obtenir un cessez-le-feu et ensuite de revenir au plus tôt au "business as usual". Donc en fait, Abiy Ahmed et ses alliés ont les mains libres pour faire exactement ce qu'ils veulent au Tigré.


DW : (...) La région du Tigré et les habitants de cette région sont dans un état lamentable, sans compter tous les civils qui avaient fui avant que les frontières ne soient fermées, notamment vers le Soudan ou vers d'autres régions. Comment expliquer cette relative impunité qu'ont eue les belligérants dans ce conflit, à la fois du côté de l'Union africaine, qui a quand même son siège à Addis Abeba, et aussi des puissances occidentales? Les 500 000 morts au moins dont vous avez parlé n'ont pas eu l'air d'inquiéter plus que ça?

Mais écoutez, en ce qui concerne l'Union africaine, il n'y a rien de très surprenant.

L'Union africaine est totalement impotente vis-à-vis des conflits africains et rien n'a changé à ce sujet.

Lorsque Abiy Ahmed a prôné une solution africaine à un problème africain, c'est-à-dire qu'il a voulu mettre l'Union africaine au centre du jeu, c'est qu'il savait très bien qu'elle était totalement impuissante pour faire quoi que ce soit et que donc c'est lui qui gardait la main.

Maintenant sur la communauté internationale, c'est véritablement un scandale. (...) La représentante des Etats-Unis au Conseil de sécurité des Nations unies a dit à propos du conflit au Tigré et des exactions au Tigré : "Does black live matter?".

On en est exactement dans cette situation et pour plein d'Africains, il y a deux poids deux mesures - selon que vous êtes blanc en Ukraine ou selon que vous êtes noir en Ethiopie, l'intérêt, l'attention et l'appui que vous apporte la communauté internationale varie du tout au tout.


DW : Mais est-ce que c'est aussi parce qu'on a besoin d'une Éthiopie qui fasse bonne figure? Ou alors est-ce qu'il y a le prix Nobel de la paix aussi qui a pesé? Pour ne pas se dédire?

Non, le prix Nobel de la paix n'a pas joué. Cela fait longtemps que la communauté internationale sait que l'attribution du prix Nobel à Abiy Ahmed a été une erreur et que même le prix Nobel s'est ridiculisé en le faisant.

L'intérêt de la communauté internationale est une Éthiopie stable. Elle n'en prend pas le chemin parce qu'il y a Abiy Ahmed, qui, lui, veut une Éthiopie centralisée, ce qui est un système de gouvernement qui ne pourra plus marcher en Éthiopie.

Donc je dirais que la communauté internationale, avec cet accord, elle a obtenu un succès tactique. Mais, en réalité, c'est une défaite stratégique parce que sur le long terme, cela renforcera la politique de force d'Abiy qui mène à la désintégration de l'Éthiopie.

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