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HistoireCameroun

Exporter le colonialisme : la Compagnie Woermann

La rédaction francophone
22 février 2024

La société de transport maritime du marchand de Hambourg Adolph Woermann, qui réalisait d'énormes profits en Afrique de l'Ouest, a transporté les soldats allemands qui ont colonisé les Hereros et les Namas en Namibie.

Afrique coloniale historique
La compagnie maritime Woermann était basée à Hambourg, mais elle réalisait une grande partie de ses activités lucratives sur la côte ouest-africaineImage : picture alliance / arkivi

Cet article s'inscrit dans la série "Dans l'ombre de la colonisation allemande" proposée par DW Afrique.

En dix épisodes, un podcast vous accompagne tout au long de l'histoire sombre des colonies allemandes en Afrique, de la fin du XIXè siècle à 1918.

Qu'est-ce que la Compagnie Woermann ?

La compagnie maritime et commerciale C. Woermann, originaire d’Hambourg, installa ses premiers quartiers à Douala, au Cameroun, en 1868. Elle faisait commerce tout au long de la côte ouest-africaine.

Adolph Woermann avait repris l'entreprise familiale fondée par son père, Carl Woermann, en 1874. Le jeune et ambitieux Woermann pensait que l'Afrique était un marché d'avenir pour écouler des produits allemands bon marché, comme l'alcool. Il espérait aussi y trouver une source de main-d'œuvre pas chère pour produire les matières premières indispensables à l'activité des usines allemandes.

Pourquoi Woermann a-t-il poussé à la création de colonies ?

Avec l'expansion des colonies établies par d'autres pays européens, Woermann, tout comme d'autres hommes d’affaires allemands, craignaient de perdre l'accès aux marchés africains. Le chancelier Otto von Bismack restait, lui, réticent à l'idée d'établir des colonies, qu'il considérait comme un luxe.

Mais avec l’intensification de la concurrence européenne sur le continent, les hommes d'affaires comme Woermann multiplièrent les actions de lobbying. En 1883, il proposa d'établir des protectorats en Afrique de l'Ouest, en persuadant Bismarck que cela prouverait que l'Allemagne était bien devenue une grande puissance.

En quoi Woermann a-t-il joué un rôle crucial dans le projet colonial ?

Certains historiens, à l'instar de Dr Kim Todzi de l'Université de Hambourg soutiennent que la colonie allemande du Cameroun n'aurait tout simplement pas vu le jour sans Woermann. Le traité germano-douala signé en juillet 1884 par les rois de Douala, Bell et Akwa, garantit à Woermann des droits fonciers et le monopole du commerce au Cameroun.

Le marchand hambourgeois fut aussi un acteur clé de la conférence de Berlin de 1884/1885, qui formalisa les prétentions coloniales de l'Europe.

Le commerce maritime de Woermann, devenu le bras droit de la puissance impériale allemande, prospéra.

Les protectorats étaient intéressants pour les marchands, car ils protégeaient les entreprises allemandes et leurs marchés de la concurrence européenne. Ils pouvaient également compter sur le soutien militaire de l'Allemagne. 

Gustav Nachtigal était peut-être la figure de proue politique de l'empire impérial allemand en Afrique, mais ce sont des marchands qui ont poussé à la colonisation du Cameroun.Image : Koloniales Bildarchiv, UB Frankfurt/Main

Que vendait la société Woermann ?

Les produits alcoolisés représentaient environ 60 % des exportations allemandes. Les armes, destinées à la défense des colonies contre toute agression, interne ou externe, occupaient la deuxième place.

Cela poussa les officiers coloniaux allemands à s’avancer toujours plus loin à l'intérieur des terres pour exploiter les routes commerciales locales. En 1905, 200 entreprises opéraient déjà en Afrique de l'Ouest, dont 30 appartenant au seul Woermann. Elles avaient établi des plantations permettant l’implantation de cultures de rente et exploitaient l'huile de palme, le cacao, le caoutchouc, le tabac et le café au Cameroun, loin des ports. 

Le traité germano-douala ne l'interdisait-il pas ?

Les chefs de Douala pensaient avoir signé un accord qui limitait toute activité allemande au littoral.

Représentation idyllique d'une usine de la compagnie Woermann datant de l'époque coloniale à Douala, au Cameroun. Mais pour la plupart des Camerounais, les pratiques d'exploitation des colons allemands ont causé beaucoup de misèreImage : picture-alliance/akg-images

Mais les fonctionnaires coloniaux les avaient trompés. Ils leur avaient soumis un premier document distinct de la version finale, qu'ils signèrent sans détecter les modifications. Le statut de protectorat permit aux entreprises allemandes d'opérer avec le soutien militaire de Berlin, et les Douala perdirent progressivement le contrôle de leurs routes commerciales et de leurs terres.

Comment le colonialisme a-t-il affecté les Camerounais ?

Les exportations ont permis à la Compagnie Woermann de réaliser d'énormes bénéfices, tout en détruisant le tissu social camerounais. Les habitants de ces territoires n'avaient pour la plupart jamais entendu parler - et encore moins accepté - les termes du traité germano-douala.

Hommes et femmes furent contraints de travailler dans les nouvelles plantations coloniales, où les conditions de vie étaient très dures et les châtiments corporels fréquents. 

Des officiers coloniaux violents - comme Jesko von Puttkamer - ont forcé 20.000 à 30.000 Camerounais à récolter et à transporter le caoutchouc de l'arrière-pays jusqu'aux navires qui attendaient sur la côte. Les chefs traditionnels qui résistaient étaient humiliés publiquement et leurs villages brûlés, ce qui obligeait les habitants à émigrer vers les villes allemandes.

Lorsque Rudolf Douala Manga Bell, dont le père avait signé le traité germano-douala en 1884, protesta contre les mauvais traitements infligés à son peuple et l'expropriation de ses terres, il fut rapidement arrêté pour trahison, puis exécuté, en 1914.

Racines d'Afrique : Rudolf Douala Manga Bell

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Quel a été l'impact de la Compagnie Woermann sur la Namibie ?

La Ligne Woermann avait le monopole du transport vers les colonies allemandes. Elle achemina environ 19.000 soldats et personnel militaire vers l'Afrique du Sud-Ouest allemande pour écraser l'insurrection des Hereros et des Namas entre 1904 et 1907.

La guerre contre les Hereros et les Namas coûta plus de 600.000.000 de Mark, une somme astronomique à l'époque qui devait être supportée par les contribuables allemands. D'après les recherches de l'historien Kim Todzi, si l'on considère que la valeur d'un Mark en 1904 correspond à environ 6,1 euros aujourd'hui, le coût financier total de la guerre s'élèverait à environ 3,7 milliards d'euros !

Les Namas et les Hereros qui survécurent à la campagne militaire furent emmenés dans les camps de prisonniers de Swakopmund et de Lüderitz, où les entreprises allemandes, dont Woermann, surent tirer profit de ces prisonniers de guerre, une main-d'œuvre corvéable à merci, pour mener à bien des projets d'infrastructure tels que la construction de chemins de fer et de ports.

Que s'est-il passé après que l'Allemagne a perdu ses colonies en 1919 ?

L'étroite collaboration entre la Compagnie Woermann et l'État allemand lui a fait perdre son influence en Afrique lorsque le pays a été contraint de renoncer à ses territoires coloniaux, après la Première Guerre mondiale.

L'ère de l'exploitation coloniale était révolue, mais les dommages causés par la cupidité et la violence marquent encore aujourd'hui les populations du Cameroun et de la Namibie.