"Du coltan acheté provient des mines occupées par le M23"
16 avril 2025
Un rapport de l'organisation Global Witness accuse le négociant en matières premières Traxys, basé au Luxembourg, d’acheter du coltan congolais introduit illégalement au Rwanda.
Le coltan, un minerai contenant du tantale, est utilisé dans la fabrication de produits électroniques comme les téléphones mobiles et les voitures électriques.
Le M23, qui contrôle des régions minières dans le Nord-Kivu, dans l’est de la RDC, profiterait de l'exploitation de ces ressources minières pour financer ses opérations militaires. Et pour en parler, Georges Ibrahim Tounkara a joint Alex Kopp, chercheur à Global Witness.
Selon les informations recueillies par Global Witness, Traxys a acheté 280 tonnes de coltan en provenance du Rwanda en 2024. Une analyse des données commerciales et des témoignages de contrebandiers suggère qu'une grande partie de ce coltan provient des zones de conflit dans l'est de la RDC, où le M23, soutenu par le Rwanda, est actif.
Traxys a démenti tout lien avec le financement du M23 et a nié que le coltan proviennent des zones de conflit en RDC.
La mine de Rubaya dans le Nord-Kivu produirait entre 20 et 30 % du coltan mondial, faisant de cette zone le cœur névralgique de l'extraction de ce minerai. Selon un rapport de l'ONU, le M23 exporte désormais 120 tonnes de coltan par mois vers le Rwanda et les taxes qu'il prélève sur cette production lui assurent un revenu estimé à 800 000 dollars mensuels. Une manne qui lui permet d'acheter des armes et de rémunérer ses troupes, dont les effectifs ne cessent de croître.
Global Witness soulève aussi des inquiétudes concernant l'UE et sa relation avec le Rwanda.
En février 2024, Bruxelles a signé avec Kigali un partenariat stratégique censé faciliter l'accès aux matières premières, dont le tantale. Toutefois, cette enquête suggère que des minerais de conflit, dont le coltan, sont entrés dans les chaînes d'approvisionnement de l'UE, sans que des mesures suffisantes ne soient mises en place pour empêcher leur entrée.
Entetien avec Alex Kopp :
DW : Monsieur Alex Kopp, bonjour.
Kopp : Bonjour.
DW : Global Witness vient de publier un rapport dans lequel vous accusez le groupe Traxys, négociant en matières premières basé au Luxembourg, d'acheter du coltan congolais en provenance du Rwanda. Alors, sur quoi reposent vos accusations ?
Kopp : Oui, notre rapport est basé, d'une part, sur des documents de la douane qui montrent que l’entreprise Traxys a acheté environ 280 tonnes de coltan au Rwanda en 2024. D’autre part, nous avons pu parler avec un des négociants qui nous a confirmé que l’entreprise African Panther achète du coltan à Rubaya. Et ensuite, African Panther revend ce coltan presque exclusivement à Traxys.
DW : African Panther, c’est un groupe qui est lié au Rwanda, c’est bien cela ?
Kopp : Oui, c’est une entreprise rwandaise, basée au Rwanda.
DW : Alors, Traxys nie cependant que le coltan dont vous parlez provienne des zones de conflit en République démocratique du Congo.
Kopp : Une partie du coltan que Traxys achète provient de la RDC, des mines de Rubaya, qui sont occupées par les rebelles du M23.
DW : Vous parlez de la mine de Rubaya. Quelle est l’importance de ces mines dans tout ce qui se passe dans l’est de la République démocratique du Congo ?
Kopp : Les mines de Rubaya comptent parmi les plus importantes mines de coltan au monde. L’ONU estime qu’environ 15 % du coltan produit au niveau mondial provient de ces mines. Et depuis avril de l’année dernière (2024), elles sont occupées par le groupe M23.
DW : Donc, selon vous, la mine de Rubaya, comme d’autres mines qui produisent du coltan, sert à financer l’effort de guerre ?
Kopp : Oui, c’est ce que le groupe d’experts des Nations unies a publié dans son rapport. Il a démontré que ces mines sont occupées par le groupe M23, que les creuseurs et les négociants doivent payer des taxes au M23, et que ce dernier profite donc d’une grande part des revenus issus de ces mines et du coltan exploité là-bas. Le groupe d’experts de l’ONU a estimé que le M23 gagne environ 800 000 dollars par mois grâce au coltan provenant de ces mines.
DW : Vous pointez également du doigt la responsabilité de l’Union européenne dans ce qui se passe dans l’est de la République démocratique du Congo, et vous demandez à l’Union européenne d’annuler son partenariat stratégique avec le Rwanda. Pourquoi ?
Kopp : Il y a effectivement une responsabilité de l’Union européenne. Ce n’est pas le moment de conclure des accords avec le Rwanda. Le partenariat stratégique sur les matières premières signé avec le Rwanda par l’Union européenne est, dans le contexte actuel, beaucoup trop risqué.
DW : Ce n’est pas la première fois que des multinationales sont mises en cause dans l’exploitation illégale des minerais de la République démocratique du Congo. Il y a eu Apple, Samsung et d’autres groupes. Aujourd’hui, c’est Traxys. Alors, que peut-on faire concrètement contre ces géants, contre ces multinationales ?
Kopp : Il existe une loi sur les minerais de conflits qui, en principe, devrait empêcher les entreprises d’importer des minerais de conflits dans l’Union européenne. Mais on a déjà constaté par le passé que ces minerais continuaient à entrer en Europe. Il est donc impératif que l’Union européenne applique cette réglementation de manière plus rigoureuse.
DW : Et vous, chez Global Witness, que comptez-vous faire concrètement pour que l’Union européenne mette la pression sur ces multinationales ?
Kopp : Nous avons mené cette enquête que nous venons de publier. Nous espérons qu’elle exercera une pression sur l’Union européenne pour qu’elle agisse. Nous allons également entrer en contact avec des responsables de l’Union européenne afin de discuter de ces problèmes avec eux.
DW : Monsieur Alex Kopp, je vous remercie.
Kopp : Merci à vous.