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Guinée: "Nous ne souhaitons pas la confiscation du pouvoir"

6 septembre 2021

Interview avec Abdourahmane Sano, coordinateur national du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), qui a organisé de nombreuses manifestations contre le 3è mandat d'Alpha Condé

Madrid Menschen aus Guinea Conakry protestieren gegen Diktator
Image : Alberto Sibaja/Pacific Press/picture alliance

Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) a été l'un des mouvements moteurs des manifestations contre le 3è mandat d'Alpha Condé. 

Eric Topona a joint Abdourahmane Sano, le coordinateur national du FNDC et lui a demandé sa réaction au lendemain du putsch à Conakry.

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Ecoutez Abdourahmane Sano (FNDC)

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DW : Quelle est votre réaction à chaud au lendemain du coup d'Etat qui a renversé le président Alpha Condé ?

Une réaction d'abord de regret. Parce que, comme vous devez le savoir, cette situation que nous vivons aujourd'hui aurait pu être évitée. Et qu'on en soit arrivés là, avec le chemin parcouru, avec son lot de blessés, de morts, des dégâts matériels, des pillages de l'économie... Pour en arriver à un troisième mandat totalement intoxiqué par la lutte du peuple à travers le FNDC… tout cela suscite du regret car l'alerte avait été donnée à tous les niveaux. Malheureusement, le régime n'a pas voulu comprendre.

Et puis, on dit aussi "soulagement" parce que le régime qui avait viré à un régime dictatorial est parti. Je crois que c'est un grand soulagement pour le peuple de Guinée mais en même temps, nous sommes face à un défi, le nouveau défi, qui est extrêmement important. Donc le départ de M. Condé et de son régime ne devrait pas nous distraire de la gravité de la situation.

DW : Et donc, Alpha Condé doit s'en prendre à lui-même ?

Bien sûr. C'est comme ça, les dictateurs, quand ils vivent des moments difficiles, ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes. Il est vrai que le système est fait de telle sorte que toutes les autorités se retrouvent toujours entourées d'opportunistes, de gens irresponsables qui sont prêts à tout pour assouvir leurs basses besognes. Et donc, le président Alpha Condé a été entouré de gens systématiquement nocifs et qui ne lui ont pas permis d'avoir la sérénité et le discernement nécessaire pour pouvoir vraiment sortir par la grande porte.

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DW : Est-ce que vous n'émettez pas tout de même les réserves puisque les putschistes étaient proches du président Alpha Condé ? Est-ce que le pouvoir ne va pas tout de même être confisqué ?

C'est pour cela que je parle d'un nouveau défi. Nous ne souhaitons pas la confiscation du pouvoir. Nous sommes des républicains et ne souhaitons pas de coup d'Etat, mais ce coup d'Etat-là était déjà précédé par un coup d'Etat constitutionnel, Alpha Condé l'avait imposé aux populations. Malheureusement l'impunité qu'il utilisait pour la répression s'est retournée contre lui. Apparemment. Mais cela ne doit pas nous distraire des risques car nous entrons dans une période inconnue. Il faudra une forte mobilisation du FNDC, de tout le peuple de Guinée pour faire en sorte que ceux qui arrivent au pouvoir et bénéficient en pratique du combat du FNDC, s'inscrivent dans les normes requises et dans les espérances de notre peuple.

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DW : Ce coup d'Etat a été unanimement condamné par l'Union africaine, la Cédéao, la France et l'Onu. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Je pense que c'est une condamnation de principe. Dans tous les cas, les coups d'Etat, il ne faut jamais les souhaiter dans un pays. Mais on est vraiment dans une cascade de coups d'Etat, comme vous pouvez le constater dans le pays depuis pratiquement 2009. Parce qu'en 2009, on a connu l'arrivée du CNDD au pouvoir, le président Dadis Camara, qui a failli être tué vers la fin de 2009.

Ensuite après le coup, nous avons vu l'avènement du président Sékouba Konaté qui a passé le pouvoir à Alpha Condé. Alpha Condé est venu puis a été victime d'une tentative d'assassinat en 2011. En 2020, il procède lui-même à un coup d'Etat constitutionnel pour se maintenir au pouvoir. Et aujourd'hui, c'est un coup d'Etat militaire qui le remplace.

La répression des manifestations en 2019-2020 a été meurtrièreImage : AFP/C. Binani

C'est une situation extrêmement pénible, extrêmement dangereuse. Je crois que la communauté internationale est dans son rôle de condamner. On les avait alertés. Elle nous aurait fait gagner du temps en faisant en sorte d'élever le ton suffisamment au moment où il fallait, prendre des sanctions, au moment où il le fallait. Je veux notamment parler de la Cédéao, de l'Union africaine et des Nations unies. Elles ont été interpellées par le FNDC plusieurs fois mais n'ont jamais rien fait. Aujourd'hui, nous constatons qu'il s'agit pour nous de condamnations de principe. Et tant mieux.

DW : Et quel sera le sort de vos amis du FNDC en prison ?

Ils sont en train d'être libérés, nous allons nous assurer que tout le monde soit libéré et au-delà de nos amis du FNDC, il y a d'autres prisonniers politiques, notamment beaucoup de militaires qui ont été emprisonnés aussi bien à Conakry, qu'à Soronkoni, à Siguiri etc…

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Des militaires, des gendarmes, des policiers, des civils qui avaient été arrêtés. Il y a d'autres personnes qui avaient été condamnées. Nous avons des amis qui sont en exil du fait du mandat d'arrêt contre eux. Nous allons continuer à parler avec les nouvelles autorités pour que tous ces gens-là soient affranchis et retrouvent la plénitude de leurs droits.

DW : Et quel sort sera réservé au désormais ancien président Alpha Condé ?

Ce qui est plus important, c'est de faire l'audit des comptes de la nation, des grandes sociétés publiques afin de savoir quel est l'état financier du pays aujourd'hui, quel est le degré du pillage qui a été opéré. Qu'on fasse l'audit des institutions comme la Cour constitutionnelle, la Céni, l'Assemblée nationale, le Conseil économique et social - pratiquement toutes les institutions - au niveau des départements ministériels pour qu'on puisse savoir quel est le niveau aujourd'hui des pillages opérés.

DW : Et il faut poursuivre les coupables ? Même si c'est Alpha Condé ?

Quel que soit le niveau ! La Constitution qui avait été rejetée par M. Alpha Condé prévoyait que les délits économiques étaient imprescriptibles, et dès lors que la Constitution qu'il a fait voter dans les conditions que nous savons, ou en tout cas, la mascarade électorale qui avait été organisée 22 mars, il faut que toute la situation soit éclaircie et que les dispositions de cette Constitution prévalent. Cela peut vraiment être un signal assez fort de la volonté des autorités de mettre fin à l'impunité dans le pays. Parce que tant qu'on ne met pas fin à l'impunité, la confiscation de pouvoir et le détournement de fonds publics, le pillage économique et les injustices vont continuer.