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Hugues Zango : "Ce record du monde m'ouvre plus de portes"

22 janvier 2021

Le 16 janvier dernier, Hugues Zango a battu le record du monde de triple saut en salle en effectuant un bond à 18,07m. Il est prêt pour de nouveaux défis.

Hugues Fabrice Zango avait remporté la médaille de bronze aux championnats du monde disputés à Doha
Hugues Fabrice Zango avait remporté la médaille de bronze aux championnats du monde disputés à DohaImage : AFP/A. Isakovic

DW : Monsieur Zango, félicitations pour votre record du monde en salle. Comment vous sentiez-vous avant d'effectuer ce fameux saut à 18,07m ?

Hugues Fabrice Zango : Il faut dire qu'après le report des Jeux Olympiques, la préparation était assez bizarre. Avec Teddy Tamgho, le coach, on avait mis en place un autre plan pour arriver très en forme aux Jeux Olympiques à Tokyo en 2021. Après le premier confinement (en France, soit à partir du 11 mai, ndlr), on a commencé une préparation physique très intense. On voulait que j'aille au maximum de mes capacités physiques. On a donc décidé de prendre un risque, et on a travaillé sur le physique de juin à octobre.

Nous avions quand même des difficultés pour se voir, avec l'entraîneur : il était dans une ville, moi dans une autre, et avec mes études, c'était assez compliqué. Pour remédier à ce problème, je faisais filmer mes séances d'entraînement, et lui les commentait. Si au niveau technique, tout n'était pas carré, au niveau physique en revanche, je prenais beaucoup de force, j'étais de plus en plus mature.

Les choses ont commencé à se mettre en place en décembre, quand nous sommes allés en stage en Guadeloupe. Nous avons passé deux semaines ensemble, et le travail était beaucoup plus spécifique : nous faisions trois séances de saut par jour, et nous essayions de peaufiner au maximum la technique. À partir de ce moment-là, j'ai eu un déclic concernant la technique de saut. Deux semaines avant ce fameux saut à 18,07m, je peux dire que je me sentais vraiment bien, aussi bien sur le plan physique que technique. Tous les voyants étaient au vert. J'ai juste eu à jouer sur mon mental pour aller chercher ce record.

DW : Vous avez donc franchi cette fameuse marque des 18 mètres, en salle. Pourriez-vous expliquer la différence entre le fait de sauter en salle et en extérieur ?

Hugues Fabrice Zango : Il n'y a pas de grande différence, étant donné que les règles sont les mêmes. La saison en salle se déroule en hiver, parce qu'on ne peut pas vraiment sauter dehors quand il fait 0°C. La saison en plein air a lieu l'été, et les conditions météorologiques comme le vent peuvent avoir une influence sur le saut.

 

DW : Si votre record a été validé, c'est parce que Teddy Tamgho, votre entraîneur, a fait venir un représentant de l'IAAF (la fédération internationale d'athlétisme) à ce meeting pour homologuer un potentiel record...

Hugues Fabrice Zango : Comme je le disais, tous les voyants étaient au vert, et nous savions, mon entraîneur et moi, que j'avais dans les jambes quelque chose à reproduire. Il a donc mis en place cette structure qui permettrait d'homologuer un record. Il fallait donc un représentant de l'IAAF mandaté par World Athletics pour attester de la performance et pour le prélèvement dans le cadre d'un contrôle anti-dopage. Son ordre de mission était clair : il fallait me tester en cas de record du monde. C'était un petit meeting, et on a essayé de mettre cette structure en place, parce que quand je me déplace, il peut y avoir potentiellement un record du monde.

 

DW : Votre entraîneur, Teddy Tamgho, est quelqu'un de relativement jeune et qui était sur le circuit il y a quelques années encore. Quelle est votre relation avec lui ?

Hugues Fabrice Zango : En 2016, je suis arrivé dans le nord de la France, au club d'Artois Athlétisme. À l'époque, je sautais 16,80m. Au départ, j'étais entraîné par des coachs du club, mais très vite, l'idée a été de trouver un coach spécialisé dans le saut, un coach qui pourrait me permettre de franchir le cap des 17m voire d'aller un peu plus loin. Avec Teddy, les choses ont commencé à devenir concrètes quand il a déplacé son camp d'entraînement de Boulouris (dans le sud de la France, ndlr) à Reims, à 200 kilomètres de chez moi. Je me suis dit que c'était le moment où jamais de l'approcher. En mars 2018, le responsable de mon club est allé le voir et lui a parlé de moi. Les choses se sont faites rapidement : quelques mois après, en juin, Teddy m'a coaché sur une compétition, puis j'ai rejoint son groupe en septembre.

Quand je suis arrivé, il m'a pris sous son aile. Il se trouve qu'on a presque le même âge (Zango a 27 ans, Tamgho en a 31, ndlr), donc on est amis en dehors des entraînements. Mais sur la piste, nous avons clairement une relation coach/athlète. Il n'y a plus de sentiments : on est au boulot, on travaille.

Hugues Fabrice Zango, toujours plus loin, toujours plus hautImage : AFP/A. Isakovic

DW : Vous êtes arrivé en 2016 en provenance du Burkina Faso.

Hugues Fabrice Zango : En 2015, j'ai obtenu ma licence en génie électrique au Burkina Faso. En parallèle, j'ai réalisé un saut à 16m80. C'était en 2016. Je savais que cette performance pouvait être monnayable en France. Je savais également que rester en Afrique n'allait pas m'ouvrir certaines portes, malgré mes performances. À la base, je suis venu en France pour mes études, pour valider mon Master 2. J'avais quand même l'idée, dans un coin de ma tête de pratiquer mon athlétisme et de voir jusqu'où j'étais capable d'aller. Au début, j'ai mis l'accent sur mes études. Je suis en deuxième année de thèse. Comme j'ai eu d'assez bonnes moyennes, je me suis dit que je pouvais me consacrer également de manière intense au triple saut. Derrière, je me suis qualifié pour les championnats du monde (à Birmingham, en Angleterre, ndlr). J'ai enchaîné les succès et j'ai commencé à viser très haut.

DW : Ce record du monde que vous avez établi, peut-on le considérer comme un signal fort envoyé à Christian Taylor, double champion olympique et qui règne sur le triple saut en extérieur depuis dix ans ?

Hugues Fabrice Zango : Depuis une décennie, il y a un monstre qui est assis sur le trône du triple saut : il s'agit de Christian Taylor. Heureusement, on a changé de décennie ; les choses pourraient changer, désormais. C'est sûr que c'est un signal fort : sauter 18 mètres, ce n'est pas donné à tout le monde. La preuve, nous ne sommes que sept dans le monde à l'avoir fait. C'est un signal pour quiconque est dans le triple saut. Mais je n'attaque pas directement Christian Taylor : pour moi, ce record du monde, c'est plutôt une performance qui m'a ouvert des portes. Elle m'a permis de me dire que j'étais au même niveau que les autres, que je pouvais me battre à armes égales avec n'importe qui, que si je suis dans de bonnes conditions mentales, je devrais pouvoir aller à la bagarre. Je suis désormais capable d'aller chercher n'importe qui, même un Jonathan Edwards (le détenteur du record du monde de triple saut en extérieur, ndlr), s'il participait encore.

DW : Pendant longtemps, on a cru sur le continent africain que l'athlétisme était la chasse gardée de pays comme l'Ethiopie ou le Kenya. Depuis peu, l'Afrique de l'Ouest compte des athlètes d'exception, comme Marie-Josée Ta Lou, Murielle Ahouré, Meïté Ben Youssef ou encore vous... Vous êtes un peu comme un ambassadeur...

Il est vrai qu'en Afrique de l'Ouest, on a très peu de repères : nos grands frères n'ont pas forcément évolué au haut niveau. L'athlétisme se fait de façon très embryonnaire dans cette zone, d'une part parce qu'il y a pas assez d'installations pour en faire, et d'autre part parce qu'on n'a pas de repères. Quand on voit le football, au Burkina Faso, on a une équipe nationale qui se qualifie régulièrement pour la CAN, il y a de la médiatisation, donc tous les jeunes rêvent de passer à la télé, d'avoir de beaux vêtements... Il y a également cet appât du gain dans le football qui fait que c'est un sport beaucoup plus populaire que l'athlétisme.

Si je prends le cas de ma progression, j'avoue que depuis quelques années, la donne a changé : en 2015 ou 2016, je regardais Blessing Okagbare ou encore Marie-Josée Ta Lou se battre au haut niveau et quand je voyais leurs médailles, ça me donnait la niaque pour me défoncer à l'entraînement. Je ne voulais qu'une chose : pouvoir monter moi aussi sur un podium.

Ce genre de performances m'a motivé : j'avais du coup des repères en Afrique. Il n'y avait pas que les Américains ou les Jamaïcains qui étaient capables de s'imposer en sprint : un Africain ou une Africaine montrait que c'était possible.

Hugues Fabrice Zango lors de la finale des championnats du monde à Doha en 2019Image : AFP/A. Thuillier

DW : Avec vos performances, vous avez dû susciter des vocations au Burkina Faso...

Hugues Fabrice Zango : Avant que je ne saute 17 mètres, j'étais le seul au pays qui sautait 16 mètres. Mais déjà, quand tu sautais 15m là-bas, tu étais le roi du pétrole. Quand j'ai franchi la marque des 16, puis des 17 mètres, beaucoup de jeunes se sont dit qu'il était facile de sauter 15 mètres. En conséquence, cinq jeunes sont parvenus à franchir le cap des 15 mètres la même année. C'était du jamais vu au Burkina Faso. C'était plus un conditionnement psychologique que physique. Physiquement, on est capables de faire des choses ; mais si ça bloque dans la tête, on n'y arrivera pas.

Je suis très content d'avoir pu réaliser ces performances parce que je sais que derrière, il y a eu une certaine émulation : beaucoup de jeunes pensaient que c'était impossible pour un Africain de réaliser de grandes choses en triple saut, de se mesurer aux meilleurs athlètes du monde. C'est désormais chose faite : il y a un repère. Maintenant, les jeunes n'ont plus qu'à travailler s'ils veulent réussir. Ce rôle, pour moi, c'est comme une mission : quand je m'entraîne ou que je participe à des compétitions, je pense à toutes ces personnes qui s'inspirent de moi pour faire des choses. Je ne peux donc pas les décevoir : il faut que j'aille au bout de mon effort.