Baerbock: "Ne pas abandonner, c'est l'ADN des Nations unies"
22 septembre 2025
"Mieux ensemble : 80 ans et plus pour la paix, le développement et les droits humains" , c'est sous ce slogan que s'est ouverte la 80è Assemblée générale des Nations unies à New York.
Environ 150 chefs d'Etat et de gouvernement doivent y débattre de paix, de droits humains et des objectifs de développement durable.
C'est aujourd'hui que plusieurs autres pays doivent reconnaître l'Etat de Palestine, à l'ouverture de l'Assemblée générale annuelle de l'Onu.
Cette reconnaissance a une portée essentiellement symbolique, un texte de soutien à un futur Etat palestinien a déjà été adopté par l'Assemblée
générale des Nations unies - un texte qui exclut le mouvement islamiste palestinien du Hamas du processus de paix.
Avant même la tenue de l'Assemblée générale à l'Onu, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et le Portugal ont formellement reconnu hier l'Etat palestinien. Les Etats-Unis et Israël y sont opposés.
A cette occasion, la DW a pu interviewer Anna Lena Baerbock, ancienne cheffe de la diplomatie allemande et présidente de l'Assemblée générale de l'Onu, un poste que seules cinq femmes ont occupé depuis sa création, il y a 80 ans.
Extrait de l'interview DW avec Annalena Baerbock
DW : Mme Baerbock. Vous avez déclaré que votre rôle consistait en partie à « veiller à ce que les citoyens lambda comprennent en quoi l'Onu les concerne ». Comment vous y prenez-vous ?
En précisant clairement qu'il s'agit d'une semaine de haut niveau, qui vient de commencer. Il ne s'agit pas seulement d'un rassemblement de chefs d'État. J'ai invité tous les dirigeants à adopter cette devise et à donner des exemples de la manière dont leur propre pays a bénéficié des Nations Unies.
[…] Par exemple, dans mon propre pays d'origine, l'Allemagne, qui était divisée par un mur, il y avait l'Allemagne de l'Est et l'Allemagne de l'Ouest.
Sans les Nations Unies et l'accueil réservé à l'Allemagne au sein de la communauté internationale après toutes les atrocités [du nazisme], mon pays n'aurait jamais été réunifié. Il y a d'autres pays qui ont souffert de l'apartheid et du colonialisme. C'est grâce aux Nations Unies qu'ils ont pu obtenir leur indépendance.
Si l'on considère les défis mondiaux actuels, comme la pandémie et le virus [Covid-19], ils n'ont pas de passeport. Aucun pays au monde, pas même les plus riches, n'a donc pu les arrêter.
Quand vous rentrez chez vous, on vous pose parfois de la question suivante : pourquoi devrions-nous verser l'argent des contribuables à l'Onu. Il faut expliquer aux populations que c'est notre meilleure protection.
DW : Comment voyez-vous votre rôle dans la gestion des débats sur la création d'un État palestinien alors que les États membres sont si divisés et alors que le Royaume uni, le Canada et l'Australie viennent de reconnaître officiellement l'Etat de Palestine et que d'autres membres de l'Onu comme Etats-Unis ou Israël y restent opposés ?
Ces derniers jours, les Nations Unies, c'est-à-dire l'ensemble des 193 États membres, ont clairement indiqué que même si nous vivons une période de division et que nous avons été confrontés à des situations au Conseil de sécurité où la majorité des pays se sont prononcés, nous avons alors saisi l'Assemblée générale, qui est le Parlement mondial, et 142 pays ont déclaré : « Nous voulons aller de l'avant ».
Par là, ils indiquent clairement qu'il existe une voie vers la paix.
Il est évident que les parties concernées doivent adhérer à cette voie. Malheureusement, nous
n'en sommes pas encore là. Israël continue de mener cette guerre. Le Hamas n'a pas déposé les
armes et n'a pas libéré les otages. Mais la grande majorité des pays ont clairement indiqué que cette guerre doit prendre fin. Nous avons besoin d'un cessez-le-feu. Nous avons besoin d'un accès humanitaire dès maintenant. Nous avons besoin de la libération de tous les otages, et nous avons besoin d'une situation qui nous permette de sortir de ce conflit sans fin qui ne peut être résolu par la guerre, ni par la terreur, ni par l'occupation, mais uniquement par une solution à deux États.
DW : […] Dans un discours que vous avez prononcé le 7 octobre 2024, vous avez déclaré « Lorsque les terroristes du Hamas se cachent derrière la population, derrière des écoles, nous nous retrouvons dans une situation difficile. Mais nous ne reculons pas devant cela. C'est pourquoi j'ai clairement indiqué à l'ONU que les sites civils pourraient perdre leur statut protégé si les terroristes abusaient de ce statut. » Certaines voix critiques ont estimé que cela revenait à justifier les frappes israéliennes sur des sites civils. Comment répondez-vous à ces préoccupations maintenant que vous présidez l'Assemblée générale, où les lois et les normes internationales sont, bien sûr, débattues ?
J'ai également déclaré dans ce même discours qu'il était évident que les sites civils, les hôpitaux et les écoles devaient toujours être protégés, même en temps de guerre.
Il existe des règles même en temps de guerre. C'est le droit humanitaire.
À cet égard, j'ai clairement indiqué qu'il était également interdit d'utiliser abusivement des lieux civils à des fins militaires. Et nous sommes précisément à un moment où nous devons respecter nos obligations en vertu du droit international, mais surtout en vertu du droit international humanitaire. C'est pourquoi il est si important que la Déclaration de New York appelle également à un accès illimité à l'aide humanitaire, car il s'agit d'une autre obligation en vertu du droit international qui interdit absolument d'empêcher l'acheminement de nourriture, d'eau et d'autres biens humanitaires aux civils.
DW : Les appels à une réforme de l'Onu se font de plus en plus pressants. Nous parlions du rôle de l'Onu, de sa pertinence. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui affirment que l'Onu s'est montrée inefficace pour mettre fin aux crises mondiales, de l'Ukraine à Gaza en passant par le Soudan. Que peuvent faire les 193 États membres pour surmonter la paralysie du Conseil de sécurité de l'Onu ?
Eh bien, le plus simple serait évidemment que ceux qui ne respectent pas leurs obligations les respectent.
Mais malheureusement, nous ne vivons pas dans le monde que nous souhaitons. Nous vivons dans le monde auquel nous devons faire face. Donc, si certains abusent de leur droit de veto ou ne respectent pas leurs responsabilités, il y a des moments dans l'histoire, malheureusement, et aussi actuellement, où les mains des autres sont liées, car si un pays envahit illégalement son voisin, il n'y a pratiquement rien que vous puissiez faire. Hormis se lever et s'exprimer. C'est ce que dit l'Assemblée générale.
Et à tous les cyniques qui diront que "cela n'aide pas", je réponds toujours, que ce serait irresponsable vis-à-vis de notre charte, car cesser de faire ce qui est juste simplement parce que vous n'avez pas réussi signifierait que le mal l'emporterait.
Si l'on prend l'exemple de la Syrie, de la guerre civile, de la dictature qui durait depuis des années et des années. Malheureusement, beaucoup de gens ont dit: "Bon, on laisse les choses telles qu'elles sont. On n'essaie même plus."
Certains voulaient aussi renvoyer les réfugiés parce qu'ils disaient : "nous ne pouvons rien y faire".
Mais Dieu soit loué, les Syriens eux-mêmes n'ont pas abandonné.
Nous avons vu que cette situation pouvait changer, que la dictature pouvait tomber, et qu'il y avait un nouvel espoir, non seulement pour la paix, mais aussi pour l'inclusion de tous les groupes au sein de la Syrie. Et cela rejoint à nouveau l'Onu. Une Onu qui n'a pas abandonné, mais qui a également fourni une aide humanitaire dans les moments les plus sombres.
Je pense donc que nous avons également vu récemment que ne pas abandonner, c'est vraiment l'ADN des Nations unies, travailler ensemble même dans les moments les plus sombres et croire qu'un jour, la paix règnera pour tous les peuples.