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Interview avec le Premier ministre centrafricain

Kossivi Tiassou23 mars 2014

Un an après le coup d'État qui a renversé François Bozizé, où en est la situation en République centrafricaine ? Nous avons posé la question au Premier ministre de la transition, André Nzapayéké.

Le Premier ministre de la transition, André Nzapayéké
Le Premier ministre de la transition, André NzapayékéImage : I.Sanogo/AFP/GettyImages

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« La situation a été fortement marquée par le renversement du régime et la prise du pouvoir par la coalition Séléka, qui a entraîné un dérèglement total de l'État centrafricain, du fonctionnement des services publics.

La situation reste volatile sur le plan sécuritaire. La situation humanitaire reste précaire. On a un grand nombre de réfugiés dans les pays limitrophes, un grand nombre de déplacés internes sur divers sites, dans la capitale et à l'intérieur du pays. L'approche de la saison des pluies pose un réel problème humanitaire pour ces réfugiés.

La présence des forces étrangères de Sangaris et de la Misca n'empêchent pas les violences quotidiennesImage : picture alliance/AA

Donc il y a encore beaucoup de défis pour le gouvernement pour essayer de ramener l'ordre. Mais, depuis le départ du président Bozizé, il est vrai qu'on assiste à une situation qui n'est pas toujours très enviable.

DW: Est-ce que vous voyez dans la détérioration de la situation la main invisible de l'ancien président François Bozizé?

La détérioration de la situation avait déjà commencé sous l'ancien président. Le peu de considération pour le développement économique du pays, pour les questions d'équité, le peu d'attention accordée aux préocupations de la population avaient déjà entraîné beaucoup de mouvements sociaux et des mouvements de guérilla.

Concernant l'actuelle situation, marquée particulièrement les actions des anti-balaka, on a des preuves aujourd'hui que l'ancien président Bozizé joue un rôle là-dedans car les factions des anti-balaka sont des anciens militaires des FACA. Il y a beaucoup d'éléments des FACA qui sont dans les anti-balaka et beaucoup de proches du président Bozizé qui sont aussi dans les anti-balaka et les animent fortement. D'ailleurs ils appellent au retour à l'ordre constitutionnel, c'est à dire le retour du président Bozizé au pouvoir avant le terme de la transition actuelle. Quelque part, il y a donc une certaine main derrière.

DW: Le pouvoir précédent de la Séléka avait déjà lancé une enquête sur l'implication de François Bozizé dans certains crimes, où en sont les enquêtes le concernant?

Les enquêtes se poursuivent. Depuis le 5 décembre, tout a basculé ici. Les enquêtes avaient commencé auparavant, mais l'insurrection des anti-balaka a complètement changé la situation ici. Il y a eu depuis lors beaucoup de crimes, d'actes criminels et de morts dans Bangui et à l'intérieur du pays.

Les enquêtes sont toujours en cours, une équipe des Nations unies est actuellement sur place pour les poursuivre. Nous les avons rencontrés plusieurs fois et nous leur exprimons tout notre soutien. Nous espérons que ces enquêtes iront jusqu'au bout car pour le gouvernement de transition, l'impunité doit être combattue et nous faisons tout pour que la justice soit le pilier de la stratégie de la transition.

Un milicien anti-balaka à BanguiImage : DW/Scholz/Kriesch

DW: Que fait votre gouvernement pour un retour à la normalité en RCA?

La question sécuritaire est la question numéro un, le gouvernement de transition en a fait sa priorité. Cela signifie des actes concrets pour arrêter, juger et détenir des criminels. Ceci étant, nous accordons une importance primordiale à la justice. La justice est le seul moyen pour nous de pouvoir restaurer l'autorité de l'État centrafricain, on ne passera pas par un autre chemin.

Quand on est dans une situation où les institutions de l'État se sont effondrées, la justice est le seul moyen de rétablir la confiance entre la population et l'État. Donc la justice est le deuxième élément essentiel pour que les choses redeviennent normales.

À côté de cela, nous nous attaquons à la question sécuritaire. Mais cette question est liée aussi à la sécurisation de la route du Cameroun, qui permet l'approvisionnement en produits de première nécessité, en médicaments, en tout ce qu'il faut pour répondre aux besoins humanitaires énormes.

Mais cela permet aussi à l'économie d'être relancée petit à petit, aux hommes d'affaires de pouvoir importer ou exporter à nouveau. Parce que sans la relance économique, l'État ne pourra pas disposer de ressources nécessaires, ne serait-ce que pour continuer à financer la sécurité et commencer à renforcer le fonctionnement de l'administration et redéployer les services publics fonctionnaires à l'intérieur du pays. Parce que si nous voulons des élections, il nous faut la sécurité et il faut que les services publics, surtout à l'intérieur du pays, recommencent à fonctionner.

Les conditions de vie sont particulièrement précaires pour les réfugiés de l'aéroport de BanguiImage : Kriesch/Scholz/DW

Nous sommes en train de relancer aussi nos forces de défense, police et gendarmerie essentiellement, pour nous aider dans la sécurisation des quartiers, des populations et des villages. Sangaris et Misca ne sont pas en mesure de mener seules une politique de sécurité et de proximité. Bangui est une grande ville, avec de grands boulevards, mais entre ces grands boulevards, il y a des zones très peu urbanisées et qui sont aujourd'hui des zones de non-droit où les armes circulent. Pour que la sécurité revienne dans ces zones, il faut que les agents des forces de l'ordre puissent y entrer et être le plus proche possible des populations.

Toute la zone autour de l'aéroport est occupée par des déplacés internes. Il faut qu'on leur donne confiance, qu'on leur fasse comprendre que la sécurité est revenue dans leur quartier pour qu'ils quittent la totalité des sites avant la prochaine saison des pluies sinon la situation humanitaire va être catastrophique.

DW: Malgré vos efforts, les violences continuent. On se demande s'il n'est pas temps d'être plus ferme envers ceux qui sont derrière ces crimes?

Nous menons deux types de politique: le dialogue, c'est à dire une politique de la main tendue envers tous ceux qui veulent s'exprimer, qu'ils soient anti-balaka, ex-séléka ou autre... Nous sommes dans un système de gouvernement qui n'a pas d'opposition puisqu'il émane d'un consensus national. Donc nous essayons de tendre la main aux uns et aux autres pour que nous travaillions dans le sens fixé par la feuille de route de la transition qui a été approuvée par toutes les parties. Nous sommes convaincus que la solution finale est politique, donc qu'il faut continuer à dialoguer avec toutes les parties et c'est ce que nous faisons.

Un quartier devenu fantôme : le PK5 de Bangui, qui accueillait plus de 100.000 personnes avant le début des violences, est vidé de ses habitants musulmansImage : Kriesch/Scholz/DW

En même temps, il faut que l'autorité de l'État se manifeste. Il faut que l'État soit capable d'arrêter des criminels, de les juger rapidement et de les mettre en prison. C'est le seul moyen de redonner confiance à la population. La plupart des personnes à qui je parle, disent 'moi j'ai subi telle injustice, le régime Séléka m'a fait ça, je n'avais personne en face pour m'aider. Donc j'ai décidé de me venger, de prendre les armes et de devenir anti-balaka pour me venger'. C'est donc un sentiment d'abandon par l'État et par la justice qui a entraîné certaines personnes dans ce mouvement. Donc si vous voulez une solution, il faut que la justice reprenne ses droits.

Il y a toute une série d'arrestations en cours depuis quelques temps. Nous sommes en train de renforcer nos chaînes pénales et nous menons des négociations avec nos partenaires internationaux pour que la chaîne pénale soit renforcée très rapidement, que nous ayons les forces de défense nécessaires. Donc pour que la police et la gendarmerie soient équipées pour être capable d'arrêter rapidement des personnes. Nous devons être capables de sécuriser nos juges et le système judiciaire pour pouvoir juger rapidement et nous devons avoir des prisons qui répondent aux normes internationales et qui sont bien gardées pour pouvoir mettre des gens en prison.

Cela rassurera la population et cela nous permettra de mieux la mobiliser autour de la campagne de réconciliation nationale que nous menons depuis quelques temps avec la jeunesse, les femmes et les chefs de quartier. Nous commençons à la base pour finir d'ici octobre ou novembre par l'organisation d'une conférence nationale qui va couronner cette campagne et permettre de mobiliser la population pour les prochaines élections qui auront lieu en 2015.

Tout cela est conditionné par la réconciliation nationale. Un élément nouveau est ce qu'on appelle le conflit entre musulmans et chrétiens. Moi je dis c'est entre musulmans et non musulmans. Aucun chrétien qui croit vraiment aux valeurs du christianisme ne peut accepter ce qui se passe ici. Il faut que nous réussissions à régler ce problème rapidement.

La République centrafricaine n'est pas un pays anti-musulman. Le gouvernement centrafricain condamne les actes de certaines personnes contre la communauté musulmane. Ce sont des actes criminels contre lesquels nous devons lutter fortement. Nous ne devons ménager aucun effort pour traquer ces criminels qui veulent utiliser le prétexte de la religion pour mettre la main basse sur les richesses d'une communauté dont le niveau de vie est relativement élevé.

Gert Müller, le ministre allemand de la Coopération, a visité notamment un camp dans lequel sont réfugiées 20.000 personnes, en majorité chrétiennesImage : picture-alliance/dpa

Le gouvernement a présenté des excuses claires à tous ceux qui ont été victimes de ces actes et surtout à ceux qui ont dû quitter le pays, parce qu'ils ont été menacés car musulmans. Nous ferons tout pour que nos frères et nos sœurs qui ont dû quitter le pays - les Sénégalais, les Tchadiens et d'autres - reviennent en Centrafrique.

DW: Qu'attendez-vous de l'Allemagne à l'heure actuelle ?

Nous avons eu l'honneur de recevoir ici le Ministre allemand de la Coopération [Gerd Müller] il y a une semaine. C'est la première fois qu'un ministre allemand venait visiter la RCA. Cette visite démontre vraiment l'importance que l'Allemagne accorde dans la recherche d'une solution durable pour la RCA. Donc nous avons hautement apprécié cet acte.

Nous l'avons encouragé: il faut que l'Allemagne nous aide et fasse un geste en faveur de la RCA pour une plus grande mobilisation des ressources, pour une certaine flexibilité dans le décaissement de l'aide que l'Union européenne a déjà mis à notre disposition. Nous avons besoin d'actions rapides. Au niveau humanitaire, nous comptons beaucoup sur les organisations caritatives allemandes, mais aussi sur l'Allemagne en tant que pays pour nous aider à résorber rapidement cette question humanitaire grave.

Sur le plan bilatéral, l'Allemagne a été un des principaux partenaires de développement de la RCA par l'intermédiaire de la GTZ. Aujourd'hui, elle est devenue la GIZ, mais le niveau de la coopération est extrêmement réduit et nous souhaitons que l'Allemagne retrouve sa place. L'Allemagne joue un rôle important dans le développement rural, dans l'approvisionnement en eau potable, dans la protection de la faune... même dans les BTP et encore beaucoup d'autres domaines comme la formation des cadres centrafricains. Beaucoup ont été formés en Allemagne. »

Propos recueillis au téléphone par Kossivi Tiassou

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