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L'odyssée des enfants migrants du Bénin

Rodrigue Guézodjè
2 août 2023

Interview avec le réalisateur Ignace Yètchénou, auteur du film "Des espoirs déçus : L'odyssée des jeunes et des enfants migrants au Sahara".

Benin | extrait d'un reportage photo de Marco Simoncelli : des villageois sous le manguier du village de Bonà au Bénin
Les communautés doivent prendre conscience de leur devoir d'éducation, estime le réalisateurImage : Marco Simoncelli/DW

Dans tous les pays africains où sévissent les affres de l'émigration massive, de nombreux acteurs s'emploient à attirer l'attention sur les zones d'ombre du phénomène.

Au Bénin par exemple, à l'instar des autres pays de la sous-région ouest africaine, l'une de ces zones d'ombre est la migration de travail des enfants et des mineurs, leur exploitation ainsi que le trafic transfrontalier d'enfants.

Pour toucher du doigt cette réalité du fléau, un réalisateur béninois y a consacré un film documentaire : "Hopes and Despair : The Odyssey of Youth and Child Migrants in the Sahara" ("Des espoirs déçus : L'odyssée des jeunes et des enfants migrants au Sahara")

Dans ce film, Ignace Yètchénou, c'est de lui qu'il s'agit, retrace les expériences migratoires, les espoirs et les déceptions de jeunes Béninois et Béninoises et montre les facettes de la traite des enfants et des jeunes entre le Bénin et le Niger.

Interview avec le réalisateur béninois Ignace Yétchénou

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Interview avec Ignace Yétchénou

 

DW :  Ignace Yètchénou, vous êtes dramaturge, cinéaste, producteur et surtout réalisateur de cinéma, et vous développez souvent des thématiques liées aux problèmes de la société, de la famille. Aujourd'hui, vous avez accepté de réaliser un film documentaire sur un thème qui n'arrête pas de défrayer la chronique : la migration des enfants. Qu'est-ce qui a motivé ce choix?

J'étais comme tout citoyen lambda, informé de la chose, quand il y a eu l'appel de la fondation Friedrich Ebert qui, depuis un certain nombre d'années, s'est investie dans le domaine pour faire un film, de concert avec des hommes de la société civile béninoise, qui se présentent comme défenseurs de cette cause-là. Parce que souvent, dans les drames qui se passent en Méditerranée, on n'entend pas des noms de Béninois. On croit qu'on est un peu à l'abri de ce drame humain qui secoue toute l'humanité.

 

 DW :  Encore qu'il y a beaucoup de Béninois aujourd'hui qui sont partis…

Je l'ai constaté quand j'ai pris le chemin avec eux à travers le nord du pays, la traversée du Sahel jusqu'à entrer en Libye, en Algérie et autres. Il n'y a qu'un rêve qui les obnubilent: aller travailler ailleurs. Un ailleurs qui peut être en Afrique, mais en-dehors des frontières béninoises, et l'ailleurs qui peut être surtout l'Occident.

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 DW :  "Des espoirs déçus, l’odyssée des jeunes et des enfants migrants au Sahara", c'est ce titre que vous avez choisi de donner à ce documentaire. Mais de quoi s'agit-il concrètement?

Il s'agit concrètement de certaines visions de mon cher pays, la République du Bénin, qui se spécialise dans cette traite-là, et c'est une nébuleuse, parce qu'il y a beaucoup, beaucoup de corporations, de personnes qui s'y engagent, des transporteurs, des points focaux ailleurs, des réceptacles de ces enfants, des parcelles pour les transmettre au nouveau patron.

Il y a aussi des parents qui, compte tenu de la vulnérabilité qui est leur réalité quotidienne, exposent ces enfants.

Il y a aussi que d'autres s'en vont et quand ils reviennent à moto ou avec quelques clinquants, ça fait de l'émulation chez les autres. Et un matin, la famille constate, le père de famille constate qu'ils ont pris la route.

Il y a un mot qui m'a marqué qu'on appelle le « refoulement ». C'est quand en terre étrangère, on vous prend, la police vous impose des règles très rigoureuses.

Il y en a qui rencontrent la mort, il y en a qui vont jusqu'à la frontière de la mort mais survivent. Ils finissent par revenir au pays, mais la tête remplie de traumatismes et de déception.

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DW :  Vous avez évoqué également le cas des filles.

C'est le cas le plus caché, parce que quand les enfants s'en vont, dans nombre de ménages nigériens travaillent de petites filles venues du Bénin.

Ce sont les régions de Djogou, de Bassila, communes frontalières au Togo, qui se sont spécialisées dans le domaine. J'ai rencontré là-bas une fille qui, au temps du Covid, a traversé de nuit le lit du fleuve Niger pour se retrouver à Kaya. Voyez tous les qu'elle prend parce que les frontières étaient fermées. Elle a dû payer 10.000 francs.

Il y en a un qui mobilisent des moyens, avec le soutien de leurs parents, des parcelles sont vendues et on remet cet argent à l'enfant qui prend la route.


DW :  Mais pourquoi, selon vous, malgré toutes les luttes qui se mènent depuis des décennies, les nombreuses mobilisations, le phénomène est resté têtu et on continue d'enregistrer, comme vous l'avez vécu sur votre chemin, une migration massive des jeunes et des enfants ?

Il faut situer les responsabilités au niveau des parents. Faire un enfant, c'est s'en occuper, le soigner, l'éduquer et ça ne commence pas à l'école mais dans nos communautés.

On n'a pas toujours cette conscience de l'éducation comme le fermant, le creuset, devant donner l'Homme de demain toutes les forces d'être ce qui doit être au service de sa société.

C'est le moment d'interpeller nos autorités à tous les niveaux, pour que nous reprenions en main le destin de notre jeunesse, sans quoi tout ce que nous ferions serait du saupoudrage.

 

DW :  Au regard de tout ce que révèle ce documentaire, comment faire pour protéger ces enfants et les dissuader de partir?

L'Homme qui n'a plus d'espoir il est difficile de le sensibiliser. J'ai trouvé des enfants qui n'ont pas trouvé dans l'école l'espoir d’un lendemain sûr.

 Il y a une question que je me pose à la fin du fil : « Partir ou rester, rester ou partir? » Essayons de féconder les pierres qui nous blessent aujourd'hui les pieds. Essayons de semer des fleurs dans le désert pour que notre bonheur, nous le trouvions ici et non dans l'incertitude poursuivis comme des passionnés de la mort.