"On est en train de jouer avec le feu" (Jonas Tshiombela)
13 octobre 2025
Alors que la Banque nationale se veut rassurante et invite les Kinois "à ne pas se laisser influencer par les cambistes de rue et par les spéculateurs", la situation reste volatile.
Jonas Tshiombela est économiste et juriste. Il s’inquiète des conséquences de ce phénomène dans un contexte social déjà tendu.
DW : vous avez rédigé récemment une tribune pour mettre en garde contre les mesures prises par le gouvernement congolais visant à renforcer le franc congolais pour réduire la dépendance au dollar. Cette tribune tire la sonnette d’alarme en parlant d’un paradoxe économique lourd de conséquence….
Jonas Tshiombela : Le franc congolais est fortement apprécié par rapport au « roi dollar » qui est dominateur. C'est une situation normale en économie lorsque le franc s'apprécie. Et, on aurait dû aussi voir des répercussions sur le budget des ménages ainsi que sur le prix des biens et des services. Or, lorsqu’on voit comment le franc est en train de s'apprécier sans aucune indication sur le prix des biens et des services, ceci nous paraît un peu étrange. Pourtant, cela devait être une opération normale qui devrait suivre. Plus d'une semaine après (la prise de la mesure, Ndlr), la situation se détériore au niveau des ménages et les spéculateurs sont entrés dans la danse. Dans le même pays, le taux de la banque centrale indique que 1 $ revient à 2300 francs congolais, mais sur le marché, on est à 1800 franc maintenant. Ceci montre que le pouvoir central ne contrôle pas assez la situation et que c'est une sorte d'appréciation artificielle, parce que si c'était automatique, l'équilibre du marché reviendrait automatiquement. Ça devient extrêmement inquiétant et nous craignons même que cela puisse déboucher sur l'implosion sociale.
DW : Vous parlez d'une situation inédite, mais on se souvient d'avoir déjà eu affaire à ce genre de situation dans les années 90. Ce n’est pas la première fois qu'on se retrouve dans ce genre de situation…
Jonas Tshiombela : Apparemment, aucune leçon n’en a été tirée. Nous sommes dans une situation depuis un peu plus de 20 ans voir 30 ans. Nous n’avons jamais connu une appréciation de notre temps. De cette manière, tout le monde se plaint, on injecte des millions de dollars pour rechercher l'équilibre. Mais là, on a créé un autre problème qui risque de nous faire déboucher sur l'explosion sociale.
DW : L'explosion sociale dont vous parlez, elle se traduirait comment aujourd’hui ?
Jonas Tshiombela : Vous savez que nous sommes dans un pays qui est en guerre et où la situation des ménages est déjà foutue. La situation des fonctionnaires est catastrophique. Et maintenant avec l'appréciation du franc congolais, le pouvoir d'achat de la population devait s'améliorer, ce n'est pas le cas. Cette situation risque de créer des frustrations, de la colère et cela peut nous amener au désordre. Et souvent ce type de désordre sont incontrôlés. On est en train de jouer avec le feu. Attention avec la colère des pauvres, elle risque de déboucher sur des situations incontrôlables que l'Etat ne saura pas mesurer. C’est ce que je crains, parce que la colère est partout. Quand vous circulez dans la ville de Kinshasa, la spéculation est entrée dans le jeu. Les opérateurs économiques sont entrés dans le jeu. Cette situation risque d'être un terrain propice pour les ennemis du pays qui peuvent l’exploiter pour nous mener à des situations que nous ne saurons pas contrôler.
Vous clôturez votre tribune en disant qu'il faut prévenir l'implosion sociale par la justice économique. Dites-nous brièvement qu'est-ce que vous entendez par là? Quelles seraient les solutions pour vous ?
Jonas Tshiombela : il y a des pistes que nous avons proposé pour que l'État arrive à juguler cette situation. Nous avons demandé à l'État de renforcer la surveillance économique à travers le ministère de l'Économie.
On doit déployer sur le terrain les inspecteurs du ministère de l'Économie pour voir la structure des prix qui ne se comportent pas tels que le marché doit et devait l'exiger.
Il devrait publier irrégulièrement des barèmes de référence pour les produits de base, comme le riz, le maïs et consorts pour préserver le pouvoir du consommateur.
On doit sanctionner les pratiques spéculatives qui exploitent les faiblesses de contrôle de l'Etat et mettre en place un mécanisme automatique d'ajustement de prix et de taux. Il devait y avoir une grande communication pour que les spéculateurs ne soient pas toujours en train de tromper les petits citoyens.
Renforcer le dialogue avec les opérateurs économiques pour qu’eux aussi soient justes. C'est comme si la Fédération des entreprises du Congo est silencieuse, maintenant, que la situation profite aux opérateurs.
Il faut qu'il y ait un dialogue permanent pour qu'on puisse ramener l'équilibre du marché. Enfin, je pense aussi que l'Etat, s'il ne s'y prend pas à temps, il pourra regretter ce qu'il a commis. Déjà à Kinshasa, on entend dure que l'Etat a tenté de voler sa propre population, ce qui n'est pas le cas. L’Etat doit reprendre son pouvoir réel.