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"La police des moeurs n'a pas été supprimée" en Iran

5 décembre 2022

Contrairement à ce qui a été annoncé sur certains médias, le régime de Téhéran reste inflexible face aux manifestations. Interview avec la sociologue et politiste iranienne Mahnaz Shirali.

Une main brandit une photo de Mahsa Amini
Le décès de Mahsa Amini après son arrestation par la police des moeurs a déclenché la vague de protestation en Iran.Image : Peter Dejong/AP Photo/picture alliance

En Iran, le procureur général n'a jamais annoncé le samedi [03.12.22] la suppression de la police des moeurs, contrairement à ce qu'ont annoncé certains médias.

Les autorités en place à Téhéran demeurent inflexibles devant la mobilisation populaire qui se poursuit depuis la mort de la jeune Mahsa Amini dans les locaux de cette police chargée de faire appliquer notamment le code vestimentaire obligatoire pour les femmes dans l'espace public. Cela fait trois mois maintenant, que les manifestations se poursuivent malgré la répression.

De nouveaux appels à manifester ont été lancés pour cette semaine en Iran.

Le jeune Sahand Nourmohammadzadeh a été condamné à mort pour avoir participé aux manifestationsImage : Fars

Statu quo

La loi qui a rendu, en 1983, le port du voile obligatoire pour les femmes dans l’espace public en Iran ne sera pas révisée non plus.

C’est au nom de cette loi que la police des mœurs avait arrêté Mahsa Amini le 13 septembre, en lui reprochant de ne pas porter le voile. Selon les proches de la jeune femme de 22 ans, celle-ci aurait succombé après avoir été battue dans les locaux de la police.

Le décès de cette Kurde iranienne à Téhéran, a provoqué une vague de contestation aux cris de “femme, vie, liberté”.

Les autorités allemandes ont fait savoir dans la journée qu'elles n'avaient pas reçu la confirmation de la suppression de la police des mœurs. Un porte-parole du gouvernement, à Berlin, a indiqué que cette mesure "ne changerait de toute façon rien aux revendications des manifestants".

Un changement radical de système politique

Sur les réseaux sociaux, des internautes iraniens sont sceptiques quant à l’abolition réelle de la police des mœurs. Ils craignent qu’une fois la structure dissoute, ses tâches ne soient reprises par une autre. Et puis, les revendications des manifestants dépassent la simple question du voile ; ils réclament un changement radical de système politique : la fin de la République islamique en place depuis 1979.

En Iran, un manifestant a le dos criblé d'impacts de ballesImage : SalamPix/abaca/picture alliance

Répression féroce

Depuis le 16 septembre, la répression du mouvement a été féroce. Certaines ONG évoquent 450 civils tués et plus de 18.000 arrestations. Le général Amirali Hajizadeh, du corps des Gardiens de la Révolution, reconnaît, lui plus de 300 morts. Et pourtant les manifestations continuent.
Les autorités y voient des tentatives de déstabilisation orchestrées depuis l’étranger.

Pour rappel, la police des mœurs et ses patrouilles destinées à faire respecter le code vestimentaire strict imposé aux femmes ont remplacé, en 2006, sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad les "comités de la Révolution islamique" issus de la révolution de 1979. Le président ultraconservateur entendait "répandre la culture de la décence et du hijab".

Selon la sociologue et politiste iranienne, Mahnaz Shirali, le mouvement va continuer. Cette sociologue et politiste iranienne a publié l'année dernière l'ouvrage "Fenêtre sur l’ran, le cri d’un peuple baillonné" aux Editions Les Pérégrines. Elle "ne comprend pas" comment la (fausse) nouvelle de l'abolition de la police des mœurs a pu naître. Elle explique que, par ailleurs, les revendications des manifestants iraniens vont bien au-delà de cette structure : ce qu'ils réclament, c'est un changement de système politique.

Cliquez sur l'image ci-contre pour écouter l'interview de Mahnaz Shirali.

 

Interview Iran Mahnaz Shirali

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Mahnaz Shirali : C'est une fausse annonce. La police des mœurs n’a pas été supprimée. C’était une fausse annonce.

DW : Qu'est ce qui a été annoncé ?

Mahnaz Shirali : Le procureur de la République islamique a annoncé que la police des mœurs n’est pas sous sa direction, ce qui est tout à fait vrai parce que la police des mœurs est sous la direction du ministère de l’Intérieur. Ce n’est pas sous la direction de la police judiciaire ou du pouvoir judiciaire.

DW : Alors, qu'est ce qui s'est passé ? Pourquoi est-ce que ces déclarations ont-elles fait autant de bruit ?

Mahnaz Shirali : C'est un mystère. Je ne comprends pas. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ça a été traduit en Occident comme la suppression de la police des mœurs alors que la police des mœurs est là. Et aujourd'hui, ils ont annoncé en persan encore dans la presse que la police des mœurs est bel et bien là. On ne va pas toucher à cette police parce que c'est nécessaire au bon fonctionnement de la République islamique.

DW : Et la loi de 1983 qui impose le port du voile aux femmes dans l'espace public, elle va rester aussi, elle ne sera pas revue ?

Mahnaz Shirali : Il n'est pas question de l'abolir. Non. Tout est là, rien n'a changé.

DW : Cela explique le scepticisme effectivement des contestataires qui ont appelé à une nouvelle fois à se mobiliser cette semaine.

Mahnaz Shirali : Tout à fait. Les Iraniens n‘ont pas cru une seconde qu'il y ait un changement, pas une seconde. Et en plus ils disaient même s'ils avaient supprimé la police des mœurs, ça ne changerait rien parce que ce sont les lois qui sont contre les femmes, ce sont les lois qui institutionnalisent la violence contre les femmes. Ce n'est pas en supprimant une police qu'on peut tout changer. Ce que les Iraniens demandent, ce n'est pas du tout ça. On a vu que ce n'était pas le cas déjà. C'est à dire que la police des mœurs n'a pas été abolie.

Et même avant, quand on n'était pas sûrs, quand la nouvelle est venue de l'Occident vers les Iraniens, les Iraniens n'étaient pas vraiment contents parce que ça fait maintenant trois mois qu'il les a crient partout, q’ ils réclament la chute du régime. Du coup, ce n’est pas la chute de la police des mœurs qui pouvait les contenter.

DW : Les revendications des Iraniens et des Iraniennes qui manifestent depuis le décès de Mahsa Amini sont beaucoup plus larges que ça.

Mahnaz Shirali : Tout à fait. Dès le premier jour, après le meurtre de Mahsa Amini, les revendications consistaient en le départ des ayatollahs. Les Iraniens voulaient que ce régime change. Ils veulent un pouvoir démocratique à la tête de leur pays.

DW :Ce qui a été souvent présenté en Occident comme des manifestations contre le port du voile, ce sont en fait des manifestations pour un véritable changement politique de fond, de système…

Mahnaz Shirali : C'est ça que je ne comprends pas : pourquoi on réduit comme ça les exigences des Iraniens uniquement au port du voile, ce qui n'est pas le cas. Les Iraniens demandent beaucoup plus que ça. Dès le premier jour, ils étaient clairs, ils disaient qu’ils voulaient la chute du régime. Évidemment, ils sont mécontents du voile, ils sont mécontents de la violence contre les femmes. Mais c'était vraiment les premières causes qui ont déclenché une contestation générale. Maintenant, c'est tout le pays, le pays entier en fait, tout le monde qui demande autre chose que la République islamique. Ce n’est pas vraiment le port de voile qui est en question dans les protestations.

Des manifestants à ZahedanImage : KavehKermashani/Twitter

DW : Et dans un ouvrage que vous avez publié l'année dernière, vous parliez de "peuple bâillonné". Là, on voit que de nouveau ce peuple est descendu dans la rue pour demander de l'aide aussi.

Mahnaz Shirali : Demander de l'aide aussi, parce que ce qui se passe aujourd'hui en Iran n'est pas acceptable. Ce qu'ils font dans les prisons avec les jeunes qui ont une moyenne d’âge de 15 à 16 ans… ils sont systématiquement violés et torturés dans les prisons iraniennes. Et c'est vraiment inacceptable. C'est pourquoi ils demandent de l'aide et demandent l'aide de la communauté internationale. C'est normal, les Iraniens sont à mains nues et n’ont pas la capacité de résister face au régime et le régime, il tue, il massacre. Et quand il ne le fait pas à ciel ouvert, il le fait dans les prisons.

DW : Et comment est-ce que vous expliquez alors que ces Iraniens, ces Iraniennes continuent de manifester, de risquer leur vie malgré la violence de la répression pendant les manifestations ? Et puis après, comme vous le disiez dans les dans les centres de détention.

Mahnaz Shirali : Ça montre à quel point leur vie est difficile, déjà. Leur situation est invivable. Du coup, la violence du régime ne leur fait pas peur et continue. Ça montre la gravité de leur condition.

DW : Et selon vous, est-ce que les autorités sont prêtes à les entendre, au moins sur certains points? Est-ce qu'il y a un dialogue qui est possible ou pas du tout ?

Mahnaz Shirali : Ça fait 43 ans qu'ils n'ont pas entendu les Iraniens. Je ne vois pas pourquoi aujourd'hui, ils devraient changer.

DW : Et comment alors ça peut évoluer, Comment est-ce qu'on pourrait sortir de cette situation ?

Mahnaz Shirali : En tout cas, je ne sais pas, mais la seule chose que je sais, c'est que je crains de très très grands massacres commis par la République islamique. Je pense qu'il est au pied du mur, il est en pleine crise et ce régime, il ne va pas hésiter à massacrer les Iraniens. C'est ça que je crains.

DW : Et est-ce qu'il y a des partis, des mouvements constitués qui organisent cette contestation ?

Mahnaz Shirali : Les jeunes Iraniens s'organisent sur les réseaux sociaux et aujourd'hui les vrais leaders de leur mouvement, ce sont les réseaux sociaux. Nous avons vu dans les deux derniers mois à quel point les réseaux sociaux étaient capables de canaliser la rage, la colère des Iraniens. On a vu à quel point ils sont capables de donner des lignes conductrices aux mouvements des jeunes. On a vu des leaders qui se sont manifestés, qui se sont affirmés sur les réseaux sociaux. Et donc il y a quand même un potentiel extrêmement important dans ces réseaux. Ça se confirme. Ils se sont rencontrés sur les réseaux sociaux, ils ont vu à quel point ils sont nombreux et pensent tous la même chose. Ça leur a donné la force de s'exprimer en vrai.

Rassemblement à Paris en honneur des victimes de la répression en Iran (2 décembre)Image : Remon Haazen/ZUMA Press Wire/picture alliance

DW : Comment expliquer qu'il n'y ait pas une coupure d'Internet du point de vue des autorités? Ils pourraient simplement le couper.

Mahnaz Shirali : Parce qu’Internet en fait sert aussi les agents de l'ordre et les gens de la République islamique eux-mêmes aussi. Ils sont dépendants de l'Internet. Mais à chaque fois qu'il y a des massacres dans les villes, ils coupent Internet à nouveau. Mais ils sont obligés de le rétablir.

DW : Et est-ce que c'est comparable à d'autres mouvements qu'il y a eu en Iran en 2019, en 2009 ?

Mahnaz Shirali : C'est un mouvement très différent dans le sens où c'est un mouvement moderne. Il n'a aucune référence religieuse, purement politique.

DW : Et est-ce qu'il y a un projet, par exemple, sur lequel ils s'accordent, ces manifestants ?

Mahnaz Shirali : Déjà, ils savent qu'ils ne veulent pas la République islamique. Ensuite, ils veulent un pouvoir démocratique à la tête de leur pays. Et donc c'est la première fois qu'on a des manifestations qui durent plus de dix jours. Comment ça va évoluer? Je ne sais pas, mais en tout cas, je vois que les exigences des Iraniens n'ont pas été satisfaites.

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