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Guilavogui : "Des actes forts pour combattre le racisme"

16 juin 2020

Le français d'origine guinéenne et capitaine de Wolfsburg estime que si les mentalités changent, il est possible de combattre le racisme mieux encore.

Josuha Guilavogui, capitaine du VfL Wolfsburg
Josuha Guilavogui, capitaine du VfL WolfsburgImage : picture-alliance/dpa/S. Pförtner

Josuha Guilavogui, avez-vous, en tant que joueur ou en tant que personne, été victime d'incidents racistes en Allemagne ?

Non, jamais. Je suis en Allemagne depuis août 2014, et je n'ai jamais eu de problèmes. J'ai déjà été témoin d'incidents racistes, mais vous savez, il y a des idiots et des gens bêtes partout. Personnellement, je n'en ai jamais fait l'expérience.

Est-ce que cela vous affecte aussi quand cela touche d'autres personnes ?

Oui, bien sûr. Il faut être solidaire parce que si c'est arrivé à un autre, cela signifie que cela aurait pu m'arriver également. Malgré tout, nous ne sommes pas dans le même contexte que les Etats-Unis, il n'y a pas eu de réelle violence corporelle, que ce soit sur un footballeur ou quelqu'un dans la vie de tous les jours. Aux informations, il n'y a pas eu encore d'histoire où quelqu'un est mort sous les genoux ou sous les coups de la police.

Face à Paderborn, Jadon Sancho (Borussia Dortmund) avait rendu hommage à George FloydImage : Reuters/L. Baron

Même si les footballeurs sont conscients qu'il faille lutter contre le racisme, est-ce que vous pensez qu'il y a des choses que vos collègues blancs (ou autres) doivent savoir sur les joueurs noirs, histoire de ne pas les blesser ?

C'est un sujet délicat, car il faut savoir se mettre à la place de l'autre pour ressentir la douleur qu'un geste ou une parole déplacée peut provoquer. Je pense néanmoins que, quand tu joues au football, le racisme n'a pas sa place. Après tout, on défend tous le même maillot, les mêmes valeurs, et ce peu importe ta religion ou ta couleur de peau. C'est très rare par exemple de voir deux joueurs de la même équipe - ou même des adversaires - en venir aux mains pour une histoire de racisme. Il y avait eu l'histoire entre Luis Suarez et Patrice Evra ; mais sinon, c'est très rare. Les mentalités dans le football ont changé : aujourd'hui en Europe, il y a des joueurs qui viennent d'Amérique du Sud, d'Afrique, d'Asie... Nous ne sommes jugés que pour nos qualités sportives, et non pour notre couleur de peau ou notre religion.

Pour en revenir à la question, je pense que si on s'estime footballeur et qu'on fait partie de la même équipe, je pense que les joueurs blancs aussi seront choqués – et ils doivent l'être. Quand je vois ce qui se passe en Italie, ça fait mal au coeur de voir que mon ami Blaise (Matuidi, ndlr) avait été victime d'un incident raciste, avait fini par pleurer et que son équipe (la Juventus, ndlr) avait certes réagi, mais pas assez fortement. En Angleterre, quand il était entraîneur de jeunes à Manchester City, Patrick Vieira a vu un de ses joueurs subir des insultes à caractère raciste; il a fait sortir toute son équipe du terrain. Ces valeurs, elles doivent être transmises par les dirigeants, l'entraîneur, le capitaine. Tout le monde doit bien signifier son engagement contre le racisme. Mettre des messages sur des brassards ou des maillots, c'est bien, mais il y a moyen de faire mieux.

Il y a quelques jours en France, Yannick Noah regrettait le silence des sportifs blancs.

Je vois ce qu'il veut dire. Nous sommes des personnalités publiques, donc nous avons une voix qui porte. Malheureusement, nous ne restons que des sportifs, dans l'absolu. Prenez l'exemple de l'incident au Portugal, avec Moussa Marega qui a subi des insultes à caractère raciste, qui s'est fait traiter de singe : l'arbitre n'a même pas voulu arrêter le match ! Il faut que, pour ce genre d'actes, des décisions soient prises en amont, entre les dirigeants du club, l'entraîneur et les joueurs. J'ai parlé de ce sujet avec mon coéquipier Maximilian Arnold, qui est un ami. Il m'a dit que si un de nos joueurs noirs venait à subir le même traitement que Marega, tout le monde sortirait du terrain. Ce serait dans la logique des choses ; je ne comprendrai pas qu'on puisse défendre un joueur qui, dans ce cas, voudrait rester sur le terrain coûte que coûte après un incident raciste. On ne peut pas faire abstraction de ce genre de choses ; sinon, les mentalités ne changeront jamais, et on restera dans cette logique qui veut que ce soit toujours des cas isolés ou le fait de quelques abrutis dans le stade. Non : il faut combattre ce genre d'actes. Et pour combattre ces actes, il faut des gestes forts.

Vous avez donné des exemples d'incidents racistes en Angleterre, en Italie, au Portugal. Y a-t-il un exemple fort qui vous a marqué ces dernières années en Allemagne ?

Il y a eu l'incident avec le défenseur du Hertha Berlin, Jordan Torunarigha (face au FC Schalke 04, ndlr). Je trouve que le joueur (qui est Allemand) avait bien réagi, et par la suite, l'incident raciste avait été condamné. C'est une bonne chose.

Dans une interview avec la Sportschau, Weston McKennie est revenu sur l'histoire du brassard en hommage à George Floyd. Il a également dit qu'en début de saison, lors d'un match de premier tour de Coupe d'Allemagne (contre le SV Dorchtersen/Assel, ndlr), il avait été traité de singe...

C'est un préjugé assez courant. Un peu comme quand j'étais jeune : parce que j'étais plus grand que la moyenne, on me demandait si j'étais né en France ou en Afrique, si j'étais un "présu” (c'est-à dire un joueur qui fait plus vieux que l'âge qu'il a sur les papiers, ndlr). Cela commence à changer, on l'entend de moins en moins, et cela vient d'une minorité. Excusez-moi, mais je pense que dans le monde, il y a plus d'abrutis que de gens sensés. Ce qui fait que ce genre de choses existera toujours. Par contre, on peut se battre contre cela. Au premier tour de Coupe d'Allemagne, tu joues contre des petits clubs, dans des villages, ce sera plus difficile à combattre.

Face à Brême, Weston McKennie avait refusé de retirer son brassard en hommage à George FloydImage : Getty Images/AFP/B. Thissen

Seulement, au niveau professionnel, dès que ça passe à la télé, il faut le combattre. Il ne faut pas combattre avec des pleurs ou des messages, mais il faut directement aller chercher la personne, l'inculper et l'interdire de revenir au stade. Sinon, il y aura toujours des personnes qui se permettront tout et n'importe quoi. Quand tu viens au stade pour la première fois et que tu entends des gens insulter un joueur noir et faire des cris de singe, tu peux penser que c'est normal. Non, ce n'est pas normal. C'est ça qu'il faut combattre. Et faire en sorte que les prochaines générations le fassent encore moins qu'aujourd'hui.

Sinon, je repense à un exemple : celui de Leroy Kwadwo, le joueur de Würzburg qui s'était fait insulter par un type qui soutenait le Preussen Münster. Le gars s'était fait dénoncer par les autres supporters de Münster, et il s'était fait sortir. C'est fort, quand tu vois que même les supporters adverses te défendent. J'ai trouvé ça vraiment encourageant. Preuve que les mentalités sont en train de changer.

Face au Preußen Münster, Leroy Kwadwo avait été victime d'insultes à caractère racisteImage : picture-alliance/dpa/nordphoto

Pensez-vous que l'engagement des clubs contre le racisme est suffisant, ou bien qu''il y a moyen de faire plus encore ?

Il y aura toujours des moyens de faire plus, je pense (même si je ne suis qu'un joueur de foot). Samuel Eto'o, qui se bat constamment contre le racisme, avait proposé des idées : arrêter le match s'il y a des cris racistes, par exemple. Si vous arrêtez le match, il n'y a plus de droits télé, et donc moins d'argent. Cela donnera peut-être envie aux clubs de lutter un peu plus contre le racisme. Des moyens, il y en aura toujours. Reste à voir comment sanctionner les individus.

Votre coéquipier Maxi Arnold vous a promis qu'en cas d'incident raciste, toute l'équipe quitterait le terrain. Est-ce qu'il y a d'autres choses que vous attendez de la part de vos coéquipiers qui ne sont pas noirs ?

Tout ce que je demande, c'est qu'ils fassent preuve de solidarité. Si un de mes coéquipiers ou moi subit des cris racistes, j'aimerais que tout le monde sorte, oui, et non pas qu'il se passe la même chose qu'au Portugal et qu'on m'empêche de sortir, si cela m'arrive. La solidarité, ce ne sont pas que des paroles : ce sont aussi des gestes forts.