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"Les jeunes en RDC ne s’identifient pas aux politiques"

Paul Lorgerie
20 octobre 2023

En RDC, bien que majoritaire, la jeunesse n’a pas voix au chapitre. Un paradoxe sur lequel revient le politologue Christian Moleka pour la Deutsche Welle.

Le politologue Christian Moleka
"La jeunesse n’a pas d’espace d’expression au sein du système classique", dit Christian MolekaImage : Paul Lorgerie/DW

Si plus de la moitié de la population congolaisea moins de 35 ans en RDC, les structures partisanes traditionnels demeurent verrouillées par une classe politique ancrée depuis des années voire des décennies dans le paysage congolais, sans laisser sa place à la jeunesse. Manque de représentativité, crise de confiance, préoccupations faiblement prises en considération… Pour le politologue Christian Moleka, coordinateur de la dynamique des politologues en RDC, la jeunesse, divisée, est le parent pauvre du processus électoral.  

DW : Quel est le rôle de la jeunesse au Congo ?  

Christian Moleka : La jeunesse a un rôle déterminant. Démographiquement, elle est la partie de la population la plus représentative. Le Congo est un pays chroniquement jeune, avec une jeunesse qui représente près de 70% de la population. Donc la jeunesse a un rôle important, déterminant dans le processus électoral, qu’elle ne joue malheureusement pas à fond.  

DW : Pourquoi elle ne le joue pas à fond ? Et est-elle au moins représentée ?  

Christian Moleka : Les institutions sont essentiellement gérontocratiques, avec peu de jeunes et peu de femmes, donc peu inclusives. Cela peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Dans un premier temps, le système électoral ne favorise pas les personnes avec peu de moyen financier. Nous avons une jeunesse qui n’a pas ces capacités financières pour briguer les élections.  

Ensuite, nous avons un système partisan qui ne favorise pas l’identification des jeunes et leur inclusion afin d’avoir des institutions qui se rapprochent de la société. Donc nous avons un grand déphasage entre les institutions politiques et la jeunesse.  

Une grande partie de cette jeunesse est certes organisée en beaucoup de mouvements, mais il n’existe pas synergie de façon à ce que le rapport de force change. Il existe aussi une grande catégorie de la jeunesse qui est presque défaitiste, qui ne croit plus aux acteurs, qui est désenchanté et rêve peut-être de quitter le pays. Quand vous avez cette grande jeunesse qui ne croit plus aux discours politiques et qui, plutôt que d’être actif, tombe dans un « abstentionnisme coupable », c’est la conclusion que nous pouvons tirer.  

Les acteurs politiques ont également développé des mécanismes pour tirer profit de la jeunesse. Dans tous les partis politiques, nous avons des ligues des jeunes qui servent à capter ces dividendes au service des ambitions politiques de quelques-uns.  

DW : Cette méfiance est-elle récente ou est-ce un phénomène chronique ?  

Christian Moleka : C’est structurel. Nous avons une population jeune qui est diplômée mais au chômage. Vous avez donc un grand écart. D’autant plus que les hommes politiques ne font pas l’effort d’intégrer dans leur programme un discours des préoccupations de la jeunesse. A savoir l’emploi, la mobilité, l’éducation… Donc nous avons un discours politique qui ne répond pas aux préoccupations des jeunes qui ne s’identifient donc pas aux acteurs.  

Avec l’avènement de la démocratie, nous avions eu une jeunesse qui y a cru. Mais nous avons observé un désenchantement démocratique qui a pour conséquence l’abstentionnisme et la méfiance de plus en plus accrue envers les acteurs. D’autant plus que beaucoup de ces acteurs étaient dans l’opposition et ils ont aujourd’hui rejoint le pouvoir. La jeunesse avait en effet lutté pour faire partir les différents types d’autoritarismes, que cela soit sous Mobutu ou Kabila. Mais les dividendes attendus en terme de progrès n’ayant pas été au rendez-vous, la jeunesse a été déçue.  

DW : Comment se fait-il que ces préoccupations ne soient pas prises en compte ?  

Christian Moleka : Malheureusement, au Congo, nous avons un jeu politique qui ne va pas dans le fond. Regardez les premiers débats autour du dépôt des candidatures : il s’agit d’invectives, de questions subjectives. Donc lorsqu’on alimente le débat de questions périphériques, on ne répond pas à aux attentes de la jeunesse. Comme la question de l’emploi, la réforme du système éducatif, la mobilité pour étudier avec, dans un pays aussi grand, des jeunes qui ne se rencontrent pas. On parle d’ailleurs de communautarisme, c’est notamment parce que les jeunes ne se rencontrent pas.  

Par ailleurs, comment met-on en place une industrie qui prend en considération la capacité culturelle du pays ? De nombreux jeunes créent des projets culturels mais cette industrie ne tourne pas. Comment donc mettre en place une économie culturelle qui permet aux jeunes de trouver un emploi et donc de se construire un avenir. Tant de questions qui ne sont pas abordées étant donné que les discours politiques tournent autour des questions subjectives.  

DW : Quelle solution pour que les jeunes s’impliquent plus ?  

Christian Moleka : Aujourd’hui, des jeunes ont décidé de rejoindre la politique, notamment lorsqu’ils sont issus des mouvements citoyens. C’est une opportunité, car ils sont capables de proposer une offre politique qui répond aux préoccupations et donc de construire des personnalités auxquelles s’identifier. C’est donc à ces nouveaux acteurs de travailler à ce que leurs comparses croient de nouveau en la politique.  

DW : Et donc pour qui votent les jeunes ?  

Christian Moleka : Il est difficile de donner des éléments statistiques probants. La jeunesse est dispersée. Paradoxalement, elle vote difficilement jeune. Elle vote pour les vieux parce qu’ils ont la capacité de mettre des ressources financières dans la campagne pour capter le vote des jeunes. D’un autre côté, nous avons une jeunesse qui vote généralement pour l’opposition car elle est dans la critique.  

Mais aujourd’hui, cet équilibre n’est plus aussi vrai. Nous avons un régime au pouvoir qui a une jeunesse autour de lui qui s’est toujours identifiée aux combats passés. Donc, nous aurons une jeunesse qui se situera moins dans l’opposition et donc une dispersion des voix qui ne permettra pas de créer la bascule.  

DW : Donc les politiques de demain seraient cette jeunesse socialisée au sein des structures partisanes traditionnelles ? 

Christian Moleka : Le futur est clair-obscur. Un gros travail de politisation a été fait au niveau des universités pour contrôler et embrigader la jeunesse. Donc il existe très peu d’espace de liberté dans le milieu universitaire et très peu d’espace dans les partis politiques dans lesquels la jeunesse n’a pas sa voix étant donné que la démocratie interne des partis tourne autour des autorités morales qui sont souvent âgées. Donc cette jeunesse n’a pas d’espace d’expression au sein du système classique et donc va peut-être s’exprimer dans les mouvements citoyens, dans la rue, dans cet activisme protestataire que l’on retrouve autour du processus électoral.