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"La soumission n'est pas un choix pour moi"

4 décembre 2019

Ce 4 décembre, la fondation Right Livelihood remet son prix 2019, souvent surnommé "prix Nobel alternatif". Cette année, le jury a choisi quatre militants pour être lauréats, parmi lesquels Aminatou Haidar.

Aminatou Haidar Right Livelihood Award 2019
Image : DW/S. Blanchard

Aminatou Haidar, lauréate du prix Nobel alternatif 2019 - MP3-Stereo

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Malgré la prison, la torture et la répression qu'elle endure depuis plus de trente ans de la part des autorités marocaines, Aminatou Haidar continue de prôner la non-violence. Le Sahara occidental, occupé par le Maroc depuis 1975, est considéré par les Sahraouis comme la dernière colonie d'Afrique. Sandrine Blanchard a rencontré Aminatou Haidar pour parler de sa lutte.

DW : Aminatou Haidar bonjour.

Aminatou Haidar : Bonjour.

DW : Vous êtes la présidente du CODESA, le Collectif des Sahraouis défenseurs des droits de l'homme et vous êtes vous-même une sorte d'incarnation de la lutte du peuple sahraoui pour son droit à l'autodétermination et à la liberté. A ce titre, vous venez de recevoir le prix Right Livelihood - qu'on appelle aussi le prix Nobel alternatif – est-ce que vous pensez que ce genre de distinction peut aider à ce qu'on parle de votre cause et de votre peuple ?

Aminatou Haidar : Oui, ce genre de prix est une reconnaissance internationale de la justesse de ma lutte pacifique et de la cause de mon peuple, le peuple sahraoui.

DW : Est-ce que vous n'avez jamais eu des moments de doute ?

Aminatou Haidar : Non, je n'ai jamais douté. Au contraire : jour après jour, je deviens plus forte et plus déterminée. Et ici, je dois rappeler la grève de la faim que j'ai entamée en 2009. J'étais toute seule et j'ai vraiment mobilisé la conscience internationale.

DW : A l'époque, vous étiez en voyage et quand vous avez voulu rentrer, le Maroc vous en a empêchée. Il vous a même expulsée vers les îles Canaries qui sont toutes proches. Pendant une trentaine de jours, vous avez été bloquée sur ce territoire espagnol parce que vous aviez rempli un formulaire…

Aminatou Haidar : … oui, l'adresse. J'ai mis toute l'adresse avec « Laâyoune, Sahara occidental ». C'est pour cela que les autorités marocaines ont pris cette décision de me déporter, de m'expulser vers les îles Canaries, avec, malheureusement, une complicité absolue de la part du gouvernement espagnol. C'est pour cela que j'ai refusé la nationalité espagnole et l'asile politique, toutes les offres espagnoles. Pour leur transmettre le message que je suis Sahraouie et que je veux vivre dans ma patrie, le Sahara occidental. Et que la soumission n'est pas un choix pour moi, seulement la continuation de la lutte.

DW : Quel est l'intérêt du Maroc à rester au Sahara occidental depuis la Marche verte, organisée par Hassan II en 1975, jusqu'à aujourd'hui, alors que maintenant c'est son fils, Mohamed VI qui règne ? Des intérêts économiques, le phosphate, la pêche, l'agriculture ?

 Aminatou Haidar : Exactement, ce sont les ressources naturelles. C'est ça l'intérêt du Maroc et l'intérêt aussi de quelques pays occidentaux et surtout européens.

Regardez aussi la vidéo d'un entretien avec Aminatou Haidar fin novembre, à Berlin (à partir de 30'):

DW : Vous avez dénoncé encore au mois d'octobre, suite à la nouvelle résolution du Conseil de sécurité, l'attitude de la France et de l'Espagne, qui continuent de signer des accords bilatéraux avec le Maroc. Notamment sur la pêche, or les eaux les plus poissonneuses, ce sont celles qui sont au large du Sahara occidental…

Aminatou Haidar : Sans l'encouragement et la coopération de l'Europe avec le Maroc, le Maroc ne pourrait pas oser piller les ressources naturelles du Sahara occidental. C'est un mépris du droit international. Le peuple sahraoui, qui est souverain, doit être le maître de ses richesses. Pourquoi le Maroc refuse-t-il que les Nations unies incluent un mandat de surveillance des violations de droits de l'homme à la Minurso, alors que le Front Polisario [représentant des Sahraouis, ancien groupe armé] dit qu'il est d'accord ?

DW : Là, il faut peut-être préciser que la Minurso, c'est la mission des Nations unies au Sahara occidental, qui est en charge d'organiser le référendum d'autodétermination depuis 1991 maintenant…

Aminatou Haidar : Pour la majorité des Sahraouis, la Minurso n'a plus de sens.

DW : Cette année, son mandat a été prolongé jusqu'en octobre 2020. Pour la première fois alors qu'il n'y avait plus d'Envoyé spécial des Nations unies pour le Sahara occidental, suite à la démission de Horst Köhler, au mois de mai. Par ailleurs, il s'est passé énormément de choses cette année : il y a les élections en Algérie, il y a eu le départ d'Abdelaziz Bouteflika, il y a eu la Mauritanie qui a aussi élu un nouveau président… il s'est passé beaucoup de choses. Des contestations, aussi, au Maroc. Quel est l'avenir pour vous ? Va-t-il y avoir une suite aux pourparlers ? Etes-vous optimiste pour l'année 2020 qui s'annonce ?

Aminatou Haidar : Moi, je suis toujours optimiste et c'est vrai qu'après la démission du président Horst Köhler, nous sommes tous - tous les Sahraouis - sont frustrés parce que nous espérions beaucoup… mais on comprend, aussi. Malheureusement, la résolution [de l'ONU] de cette année est vraiment un grand recul et ça pousse vraiment les jeunes à se fâcher et à exercer plus de pressions sur le Front Polisario pour qu'il reprenne les armes. Et ça, ce sera douloureux, non pas seulement pour le peuple sahraoui, mais pour toute la région et peut-être pour l'Europe.

Pour la version audio de l'interview, cliquez sur l'image ci-dessous. 

Outre Aminatou Haidar, les autres lauréats 2019 du prix Right Livelihood sont une avocate chinoise qui défend les droits des femmes, Guo Jianmei, la jeune militante suédoise pour l'environnement Greta Thunberg, et un leader des peuples indigènes d'Amazonie au Brésil, Davi Kopenawa.

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