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La violence meurtrière en hausse dans l'est de la RDC

Jean-Michel Bos
10 octobre 2020

Depuis l'élection du président Tshisekedi, la violence n'a pas régressé dans les deux Kivus et dans l'Ituri. Le nombre de morts a même augmenté.

Le président congolais Félix Tshisekedi en visite à Goma pour le sommet du 8 octobre
Le président congolais Félix Tshisekedi en visite à Goma pour le sommet du 8 octobreImage : Giscard Kusema/Presseamt des Präsidenten

Le président Félix Tshisekedi était cette semaine à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, pour un sommet en visioconférence des chefs d'Etat de la région des Grands Lacs consacré à la sécurité. A sa descente d'avion, il a été accueilli par des militants de la société civile venus lui demander de tenir sa promesse de campagne, à savoir pacifier l'est de la République démocratique du Congo (RDC).

Car vingt mois après l'entrée en fonction le 25 janvier 2019 du président congolais, rien n'a changé ou presque dans cette partie du territoire.

La principale cause de cette perpétuation de la violence tient en trois lettres : ADF, les rebelles musulmans ougandais des Forces démocratiques alliées, responsables du meurtre de plus de 600 civils depuis octobre 2019.

Selon le décompte réalisé par l'université suédoise d'Uppsala, qui comptabilise les victimes des conflits dans le monde, les ADF auraient assassiné plus de 6.300 personnes, essentiellement des civils, depuis le début de leur activité en 1996.

Leur chef historique, Jamil Mukulu, est un catholique ougandais converti à l'islam qui aurait été formé par Al Quaïda durant un séjour au Soudan et en Afghanistan, réalisé avant la fondation des ADF. Arrêté en avril 2015, il a été remplacé par Afande Musa Baluku.

Offensive des FARDC

Face aux ADF, qui au fil du temps sont devenus des rebelles sans cause, pillant et terrorisant les populations civiles, le président Félix Tshisekedi a engagé en octobre 2019 une offensive de l'armée congolaise laquelle, sur le terrain, tarde à porter ses fruits. 

"Les généraux de l'armée congolaise ont accepté le principe de l'opération voulue par le président. Mais ils en ont surtout profité pour récupérer des crédits sans croire eux-mêmes à cette opération”, estime une source à Kinshasa.

Les FARDC, pour leur part, mettent en avant les résultats de leur offensive et revendiquent la prise de plusieurs camps des ADF, notamment la base de Madina conquise en janvier dernier.

Mais les ADF, rompus aux techniques de guérilla, reculent devant les offensives des FARDC et conduisent des opérations de représailles contre les populations civiles, d'où la hausse du nombre de morts. 

Une étude comparative des données du Baromètre sécuritaire du Kivu est très claire sur ce point : l'analyse des incidents violents dans les deux Kivus, vingt mois avant l'entrée en fonction du président Tshisekedi et vingt mois après, indique que si le nombre de crimes est resté à peu près le même, la mortalité en revanche est en hausse importante.

Hausse des attaques meutrières depuis l'arrivée de Tshisekedi au pouvoir.

Cette plus grande mortalité depuis l'arrivée au pouvoir du président Félix Tshisekedi "s'explique essentiellement par l'activisme du groupe islamiste ADF qui est ancré dans le territoire de Beni”, explique Pierre Boisselet, coordonnateur du Baromètre sécuritaire du Kivu. "L'armée congolaise a lancé une grande offensive, à la demande du président, contre ce groupe et cela a eu des conséquences terribles pour les civils puisque les ADF ont commis des attaques en représailles”, ajoute-t-il.

Des représailles qui ont causé la mort de plus de 600 civils depuis le début de cette offensive. 

Interrogé sur ce bilan, la présidence se refuse à tout commentaire et son porte-parole, Kasongo Mwema Yamba Yamba, se contente de répondre à notre correspondant à Kinshasa, Jean-Noël Ba-Mweze, "que le chef de l'Etat s'est exprimé là-dessus dans une adresse aux Nations unies. Que voulez-vous obtenir de plus du porte-parole de celui qui s'exprime publiquement ?”

Dans son discours lors de la 75e Assemblée générale des Nations unies, le président congolais a en effet consacré environ la moitié de son intervention à la question de la sécurité durant laquelle il a dénoncé "l'exploitation illicite des ressources naturelles écoulées en dehors de la RDC à travers des réseaux bien établis et sans aucun doute avec l'aide de certains souteneurs”.

Félix Tshisekedi a aussi affirmé que sa "détermination est de redonner le plus tôt possible le sourire aux populations de l'est de mon pays” mais sans évoquer l'offensive en cours des FARDC.

Les liens entre les FARDC et les groupes armés

Les ADF apparaissent donc comme le groupe le plus meurtrier dans cette région de la RDC en proie aux luttes armées depuis près de trente ans. Le Baromètre sécuritaire du Kivu énumère par ailleurs près de 160 groupes armés, tandis que l'université d'Uppsala en compte 110, mais tous ne sont pas actifs.

Au milieu de cette myriade de groupes qui se constituent, se scindent ou fusionnent avec d'autres, un autre se distingue par son activité en hausse depuis le début de la présidence de Félix Tshisekedi : le NDC-R, faction dissidente du NDC, le Nduma Defense of Congo.

Le NDC était à l'origine la branche politique des Maï-Maï Sheka, formés en 2008 par Ntabo Ntaberi, alias Sheka, un seigneur de guerre impliqué dans l'exploitation minière.

Ce groupe armé est connu pour avoir enrôlé de force des enfants et conduit une attaque terrible sur Walikale, du 30 juillet au 2 août 2010, durant laquelle ses hommes ont violé des centaines de civils pour les punir d'avoir collaboré avec l'armée congolaise.

La scission intervenue en 2008 qui donne naissance au NDC-R va transformer cette milice rurale en un groupe armé qui contrôle un vaste territoire autour de Walikale, au Nord-Kivu, et l'administre comme une armée officielle. 

Le Groupe d'étude sur le Congo parle à propos du NDC-R de "structures de gouvernance qui ne sont plus des brèches temporaires dans la souveraineté de l'Etat : des centaines de milliers de Congolais vivent sous de tels arrangements depuis des décennies”.

Evolution du nombre d'attaques par groupes armés depuis l'entrée en fonction de Tshisekedi.

Nouvel épisode de ce morcellement des groupes armés : début juillet, le NDC-R s'est scindé en deux après que son chef, Guidon Shimiray Mwisa, a été destitué et remplacé par un certain Gilbert Bwira.

Cet épisode anodin pourrait toutefois avoir des conséquences importantes sur l'équilibre des forces dans la région. En effet, cette scission affaiblit le NDC-R qui est désormais obligé de se recentrer sur son territoire historique de Walikale. 

Au mois d'août, près de 500 combattants du NDC-R ont choisi de déposer les armes et de se rendre à l'armée congolaise en se cantonnant sur la base militaire de Rumangabo près de Goma.

Or, le NDC-R est considéré comme un allié non officiel de l'armée congolaise. Ce mouvement est devenu un partenaire pour Kinshasa dans sa lutte contre la rébellion hutu rwandaise des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui utilise l'est du Congo comme base arrière. Un affaiblissement du NDC-R n'est donc une bonne nouvelle ni pour Kinshasa ni pour Kigali.

Les violences des agents de l'Etat

Un autre point s'impose en comparant les violences commises dans les deux Kivus avant et après l'entrée en fonction du président congolais : la persistance de la criminalité des agents de l'Etat, à commencer par les militaires des FARDC.

Les crimes commis par l'armée congolaise sont supérieurs à ceux des ADF ou du NDC-R. A ceux-ci s'ajoutent ceux de la police nationale, 105 incidents depuis le 25 janvier 2019.

Au cours du premier semestre 2020, le bureau conjoint des Nations unies en RDC a calculé que sur l'ensemble du territoire de la RDC, 43% des violations des droits de l'homme ont été commises par les agents de l'Etat. Au mois d'août, cette proportion était à peu près identique dans les trois régions du Nord-Kivu, Sud-Kivu et de l'Ituri.

Dans un rapport publié en mai dernier, les Nations unies rapportaient que "les agents de l'Etat sont les auteurs des exécutions extrajudiciaires d'au moins 44 personnes, dont neuf femmes et cinq enfants”.

La violence d'Etat et celle des bandes armées dans l'est de la RDC.

Dans ce tableau à la fois violent et composite de l'insécurité dans les deux Kivus et en Ituri se dresse un événement inattendu : l'impatience des miliciens qui sont prêts à rendre les armes.

"Le gouvernement vous tend les mains” : c'est par ces mots que le président congolais avait appelé au début de son manda les rebelles à se rendre. Mais vingt mois plus tard cet appel tarde à se concrétiser.

"Début 2019, il y a eu plusieurs grosses vagues de reddition au Nord-Kivu et au Sud-Kivu mais beaucoup sont repartis parce qu'il n'y avait pas vraiment de prise en charge”, a expliqué le chercheur Christoph Vogel.

En Ituri, les combattants de la Force de résistance patriotique de l'Ituri (FRPI) attendent la mise en œuvre de l’accord qu’ils ont signé en février 2020 avec le gouvernement.

Le mois dernier, plusieurs dizaines de miliciens armés de la Coopérative pour le Congo (Codeco) ont investi le centre de la ville de Bunia pour exiger l'accélération du processus de démobilisation. 

Une partie des combattants de la Codeco, un groupe accusé du massacre de plusieurs centaines de civils, ont accepté de déposer leurs armes mais en échange, ils attendent qu'on leur offre de l'argent ou une intégration dans l'armée congolaise.

"On ne peut pas continuer à récompenser les tueurs”, a ainsi déclaré en septembre Leïla Zerrougui, la représentante spéciale des Nations unies en RDC. "Vous avez vu comment ils ont découpé les gens en morceaux dans les villages ?”, a-t-elle ajouté en visant directement les ADF et la Codeco.

Tshisekedi veut revenir à Goma

Le député Juvenal Munubo, rapporteur de la Commission défense et sécurité à l'Assemblée, estime en effet que "ce qu'il faut éviter ce sont les négociations directes ou l'octroi de postes parce que ça a été le cas dans le passé mais n'a produit aucun résultat.”

Face aux réticences de l'Onu et celles de bailleurs internationaux qui ont constaté l'échec des précédents processus DDR (démobilisation, désarmement, réinsertion), la main tendue par Félix Tshisekedi risque donc d'échouer à apaiser la situation sécuritaire dans l'est de la RDC.

"Il y a un grand débat entre la communauté internationale et notamment la Monusco qui refuse toute intégration d'anciens combattants des groupes armés dans l'armée nationale, et certaines voix au gouvernement qui affirment qu'un des seuls moyens pour inciter les rebelles à se rendre est de leur faire miroiter une intégration”, ajoute Pierre Boisselet du Baromère sécuritaire du Kivu.

La Banque mondiale vient pourtant d'annoncer une aide de 50 millions de dollars pour soutenir le processus DDR dans l'est de la RDC. 

Une information relayée par Félix Tshisekedi à l'issue du sommet de Goma qui en a profité pour dire qu'il reviendrait à Goma, pour un temps qui reste à définir, afin de s'occuper personnellement du problème sécuritaire.

Mais plus un mot semble-t-il sur une autre promesse de la campagne présidentielle, à savoir celle de transférer l'Etat-major de l'armée congolaise à Beni.

Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos
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