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Le "médecin des migrants" : de Lampedusa à Bruxelles

24 juin 2019

L’Italien Pietro Bartolo a passé presque trente ans à soigner les migrants arrivant en Europe. Désormais, il va faire son entrée au Parlement européen. Infomigrants l’a rencontré à Lampedusa.

EU-Wahlen 2019 | Pietro Bertolo | Lampedusa
Pietro BertoloImage : Ignacio Prereyra/Infomigrants

En Italie, on l’appelle le "médecin des migrants". Pietro Bartolo vient d’être élu député au Parlement européen sur la liste du Parti démocrate italien (PD). Lors du scrutin, il a recueilli 274.000 voix, soit le 5ème meilleur score en Italie tous candidats confondus. Sur Lampedusa en revanche, Pietro Bartolo n’a obtenu qu’une poignée de votes.

S’il passe quatre jours par semaine à Bruxelles pour se préparer à la rentrée parlementaire du 2 juillet, il rentre à Lampedusa tous les week-ends. L’île d’à peine 22 km2 est plus proche des côtes libyennes et tunisiennes que des plages de Sicile. Quand Pietro Bartolone rentre, il retourne à sa routine de directeur des soins de santé de l’île, un poste qui l’avait conduit à être le premier à prodiguer des soins aux migrants arrivant sur Lampedusa.

L'ONG allemande Sea-Watch est dans la collimateur de Matteo Salvini.Image : picture-alliance/dpa/Sea-Watch.org/C. Grodotzki

Le 15 juin dernier, il se trouvait ainsi au port pour rencontrer les 10 migrants, dont deux femmes enceintes et trois mineurs, autorisés à descendre du Sea-Watch 3 pour raisons médicales. Le navire avait secouru plus de 50 personnes au large de la Libye le 12 juin avant de mettre le cap sur Lampedusa. Mais le gouvernement italien a interdit au bateau d’accoster et le ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini, leader de la Ligue, un parti d’extrême droite, a signé un nouveau décret pour sanctionner par des amendes les ONG qui portent secours aux migrants en Mer Méditerranée. Ce décret sécurité est entré en vigueur le 14 juin. 

 

InfoMigrants : Quel est le problème avec Sea-Watch ?

Pietro Bartolo : À chaque opération de sauvetage d’une ONG, Matteo Salvini recommence avec cette farce. En réalité, il y a sans arrêt des petit bateaux qui arrivent ici, et il ne dit rien, simplement que les ports sont fermés. Mais les ports sont ouverts. Samedi, il a autorisé dix personnes à débarquer, mais j’espère qu’il laissera aussi les autres débarquer. Sea Watch les a sauvés et maintenant il les traite de criminels. Salvini dit que Sea-Watch met les migrants en danger. C’est de la folie. Ils veulent forcer Sea-Watch a ramener ces personnes en Libye, le pays qu’ils ont fui, dont ils ont réussi à s’échapper pour prendre la mer, en sachant qu’ils risquent leur vie.

Est-ce que la situation en Libye serait-elle aussi mauvaise si l’ancien ministre de l’Intérieur Marco Minniti, du Parti démocrate (PD), n’avait pas conclu l’accord controversé avec les milices et les gardes côtes libyens ? (Ndrl : l’accord prévoit de soutenir les gardes-côtes libyens en échange de mesures destinées à enrayer les traversées de migrants.) J’ai immédiatement condamné ce qu’il a fait, ce qui m’avait fait prendre mes distances avec le PD, même si j’en fait désormais parti via Demos, une formation plus petite. Minniti a ouvert la voie, et Salvini s’en sert. J’estime que c’était un acte odieux, avec lequel je n’ai jamais été d’accord. Nous sommes responsables d’une très sérieuse erreur. Selon moi, conclure des accords avec la Libye signifie créer des camps de concentration.

Pietro Bartolo a passé 30 ans à soigner les migrants arrivant sur LampedusaImage : picture-alliance/ROPI

Que peut-faire l’Europe face au nouveau "décret sécurité" de l’Italie ?

Ce nouveau décret est inconstitutionnel et viole toutes les normes internationales. Il doit être retiré. J’espère que, dès que je commencerai à travailler au Parlement européen, je pourrai m’engager pour que ces personnes arrivent ici par des couloirs humanitaires et des voies régulières et non pas par la mer. C’est trop dangereux. Il est nécessaire pour l’Europe de considérer la migration comme un phénomène structurel et non pas comme une urgence.

La Ligue a obtenu 34% des voix aux élections européennes. A Lampedusa, le parti a raflé 45% des voix, même si seulement un quart des électeurs s’est présenté aux urnes. Comment expliquez-vous ces scores ?

C’est un vote de contestation. À Lampedusa, les gens lancent un appel à l’Etat. L’île a en effet été abandonnée, après avoir supporté la charge de la migration pendant 30 ans. Mais je dois dire que ça m’a attristé. Parce que ce sont les miens, j’ai tellement fait pour eux, tellement. À la fin, c’est quelqu’un de Lampedusa qu’on envoie au Parlement européen. J’aurai souhaité qu’il dépassent cette forme de contestation et envoient un signal.

 

Quel a été l’impact du thème de la migration sur les choix électoraux ?

La Ligue a créé cet ennemi. Ils ont trouvé un ennemi pour effrayer les gens. Cela a créé un terreau fertile pour qu’ils puissent parler de sécurité et dire :"Nous pouvons vous protéger de cet ennemi". Ils font tout cela pour générer de l’approbation. La peur, l’ignorance et la haine génèrent de l’approbation.

La migration n’est pas le problème. Nous parlons d’être humains pour lesquels nous devons avoir une attention particulière, comme je l’ai toujours fait, mais ce n’est pas un problème. La migration est un problème que Matteo Salvini et d’autre politiques ont créé pour justifier tout le reste. Le problème est que leur objectif est de démanteler l’Europe. Mais une Europe faible est une Europe destinée à périr.

 

L’Italie a un passé migratoire. Est-ce que l’histoire a été oubliée ?

Nous sommes un pays bizarre, qui parvient à exceller dans tous les secteurs : la technologie, les arts, le design, l’environnement. Grâce à ces échanges de cultures, de traditions, des ADN et du bagage héréditaire, chacun a apporté quelque chose et tout le monde a convergé pour parvenir à ce que nous appelons aujourd’hui le peuple italien.

Mais nous avons oublié ces choses. Tout comme nous avons oublié que nous avons été des migrants et avons envahi le monde entier : l’Argentine, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie. Vous vous souvenez quand on disait que la Suisse était l’Eldorado ? Cela continue encore aujourd’hui. Cette année, 250.000 personnes sont parties. Nos jeunes qui nous quittent chaque année, nous les appelons des Ferraris. Ils ne partent pas parce qu’il y a des migrants qui viennent pour "prendre leurs emplois".

Sur Lampedusa, le parti d'extrême droite La Ligue a recueilli 45% des voix.Image : Ignacio Prereyra/Infomigrants

Comment mettre fin à ces informations trompeuses sur les migrants en Europe ?

Imaginez qu’aujourd’hui, tous les migrants qui vivent et travaillent en Italie décident de partir. L’Italie en mourrait. Modifier le règlement de Dublin est important parce que actuellement ils [les demandeurs d’asile] sont obligés de rester ici. En changeant ce règlement, ils auraient l’opportunité de choisir le lieu où il veulent vivre.

Ce n’est pas une invasion, ce n’est pas vrai. Mais Salvini en a fait un problème notamment avec tous ces mensonges qu’il a répandu pour crée le terreau fertile pour pouvoir dire "Je suis là, votre sauveur".

 

Etes-vous optimiste ?

Je pense que l’on peut changer les choses. Il n’est pas trop tard. J’ai décidé d’aller à Bruxelles parce que la problématique de la migration m’y a mené. Je veux être sur que les gens cessent de voir la migration comme un problème. La migration est un phénomène que connaissent aussi les animaux. Nous migrons tous vers de lieux où l’on est mieux lotis.

 

Interview : Irene Caselli

Traduction : Marco Wolter