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Sarkozy en garde à vue : "Pas surprenant"

21 mars 2018

Alors que l'ancien président français Nicolas Sarkozy entame une deuxième journée en garde à vue, Thomas Borrel, le porte-parole de l'ONG française Survie, livre son analyse.

Nicolas Sarkozy
Image : Getty Images/AFP/G. van der Hasselt

"Il y a des éléments institutionnels de la politique française en Afrique qu'on continue de dénoncer" - Thomas Borrel

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L'ancien président français Nicolas Sarkozy (de 2007 à 2012) entame une deuxième journée en garde à vue  en région parisienne, ce mercredi. Après une première journée de questions, il a quitté les policiers, dans la nuit de mardi à mercredi, avant de revenir au siège de l'office anticorruption à Nanterre près de Paris. Sa convocation qui n'étonne pas Thomas Borrel, le porte-parole de l'ONG française Survie, qui lutte contre la françafrique.

DW : Est-ce que ce placement en garde à vue vous a surpris ?

Thomas Borrel: Ça surprend parce que c'est une accélération de l'enquête. Mais par rapport à toutes les révélations faites déjà par les journalistes de Mediapart sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, sur les accusations de financement par la Libye , non ce n'est pas tout-à-fait une surprise puisque c'est ce qu'on attend de la justice.

DW : Mais ne pensez-vous pas, vous-même en tant que militant des droits de l'homme, qu'il s'agit d'un acharnement, puisqu'on a pas de preuves mais des soupçons simplement pour le moment ?


TB: Si les juges se sont lancés dans cette nouvelle étape de la mise en garde a vue d'un ancien président de la République, c'est qu'ils ont certainement des éléments particulièrement tangibles pour se le permettre. Parce qu'évidemment, ce n'est pas un acte anodin.

L'intervention militaire française pas concernée

En 2011 les soldats français étaient intervenus en Libye. Image : Getty Images/AFP/L. Venance

DW : L'enquête actuelle porte sur des chefs de corruption active et passive, trafic d'influence, faux et usage de faux, abus de biens sociaux et blanchiment, complicité et recel de ces infractions. Ça fait quand-même beaucoup, non ?


TB: Ça fait beaucoup. L'enquête pourrait peut-être inclure certaines morts suspectes qui accompagnent ce dossier. On se souvient du ministre du pétrole libyen retrouvé mort en 2012 dans le Danube, avec un carnet qui consignait certains versements apparement fait à l'équipe de Sarkozy. Plus récemment il y a l'ancien directeur de cabinet de Kadhafi, Bechir Saleh, qui a été pris en embuscade, victime d'un guet-apens, alors qu'il s'appretait à répondre à des questions sur ces liens notamment avec Alexandre Djouhri, un intermédiaire sulfureux qui apparait dans ce ce dossier. Cette affaire n'ira pas jusqu'à la question de l'intervention militaire française en Libye en 2011 avec le renversement de Khadafi et toutes les conséquences qu'on connait dans la déstabilisation du Sahel.

DW : Donc vous n'établissez pas de lien de cause à effet entre l'assassinat de Kadhafi et cette affaire ?

TB:
Ce n'est pas du tout ce que je dis, au contraire. Mais je dis que malheureusement, alors qu'il y a un lien politique très fort, le lien juridique ne pourra pas être établi, puisque l'intervention militaire, c'est une décision qu'a prise Nicolas Sarkozy en tant que président de la République. Il peut être éventuellement poursuivi pour "haute trahison", mais un ancien président de la République ne peut pas être poursuivi pour ce qu'il a fait en tant que président de la République. Donc l'intervention militaire en Libye, même s'il apparaissait qu'elle était liée à ces soupçons de financement de la campagne de Sarkozy par la Libye, échappera de toute manière au champ de compétence judiciaire.

Évolution de la Françafrique 

Dominique de Villepin, ancien proche de Nicolas Sarkozy, est aussi mis en cause par certains dans les affaires de la France en Afrique.Image : picture alliance/dpa

DW : On sait que Nicolas Sarkozy était accusé, pendant qu'il était aux affaires, d'avoir influencé le travail des juges. Sous Emmanuel Macron, visiblement, le pouvoir judiciaire est de plus en plus libre ?


TB: Difficile de dire, on ne peut que se perdre en conjecture. De savoir est-ce que ce que les juges auraient fait la même chose sous un autre gouvernement. On va voir la suite et on verra si oui ou non il y a des interventions politiques dans le dossier dans un sens ou dans un autre. Mais pour l'instant ce sont des juges qui font leur travail et ça, il faut le saluer.

DW :  Est-ce que vous pensez que c'est le début de la fin de la Françafrique, parce que ce n'est pas uniquement l'affaire de la Libye. À l'époque, Dominique De Villepin était aussi incriminé par l'avocat Robert Bourgi, Jacques Chirac aussi.

TB: Là-dessus il faut malheureusement s'entendre sur ce qu'on qualifie de Françafrique. La Françafrique d'aujourd'hui n'a rien à voir avec la Françafrique à l'époque de Jacques Foccart et la Françafrique d'aujourd'hui n'est pas forcément exactement la même que celle la plus sulfureuse des années 90.

Mécanismes institutionnels de la Françafrique 

L'ancien président français Jacques Chirac avec Omar Bongo et Denis Sassou Nguesso.Image : picture-alliance/ dpa/dpaweb

DW :  Il n'empêche que sous Jacques Chirac il y avait des mallettes.


TB: Oui, il y a certaines pratiques qui évoluent et qui, peut-être, disparaissent, ou en tout cas sont moins visibles. Mais dans la Françafrique il y a des éléments institutionnels de la politique française en Afrique qu'on continue de dénoncer que ce soit dans le champ de l'interventionnisme militaire français, sur le champ de la monnaie avec le Franc CFA, dans l'intervention de l'Agence française de développement. Il y a beaucoup de mécanismes institutionnels qui sont présents et la Françafrique c'est tout, ça n'est pas uniquement les mallettes de billets même si c'en est l'élément le plus révoltant dans l'opinion publique. Mais il faut bien comprendre que la Françafrique et l'aspect criminel de la politique française en Afrique comportent aussi des volets institutionnels.

DW : Est-ce-que vous pensez que cette affaire Sarkozy va mettre la puce à l'oreille à certains dirigeants africains qui continuent d'être impliqués dans ces affaires louches ?

TB: On attend de voir ce que vont donner d'autres affaires. Je pense actuellement à l'affaire des biens mal acquis, avec l'enquête toujours en cours sur le Gabon et sur le Congo-Brazzaville en France. On va voir si les dirigeants de ces pays-là continueront à jouir d'une impunité quand ils se rendent en France. Ou leurs proches. Est-ce qu’ils pourront bénéficier du recel de corruption et d'abus de biens sociaux avec des biens mal acquis en France. C'est bien là-dessus qu'il convient d'agir aujourd'hui.

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