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Revivre après le génocide

Anne Le Touzé21 avril 2014

Vingt ans après le génocide contre les tutsis, où en est la réconciliation au pays des mille collines et comment vont les Rwandais ? Notre reportage commence au mémorial de Gisozi, au-dessus de Kigali.

La salle des enfants, au mémorial de Gisozi
La salle des enfants, au mémorial de GisoziImage : DW/A. Le Touzé

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Le mémorial de Gisozi est perché sur une colline au-dessus de la capitale rwandaise. Environ 259.000 victimes du génocide de 1994 reposent dans les tombes collectives de ce lieu de mémoire qui a ouvert ses portes il y a dix ans. Nous le visitons en compagnie d'Yvette Jallade. Elle travaille pour Aegis, la fondation britannique qui gère le mémorial.

À l'intérieur, un musée retrace l'histoire du Rwanda, de l'ère pré-coloniale jusqu'au génocide, passant en revue les étapes qui ont conduit à la catastrophe de 1994. Au premier étage, la salle des enfants abrite d'immenses portraits de jeunes victimes du génocide. On y apprend des détails sur ces milliers d'innocents tués à coup de machette ou de crosse de fusil comme des "cafards", pour reprendre le terme employé par leurs bourreaux hutus.

Le Rwanda et ses collines, théâtre d'horreurs pendant le génocideImage : DW/A. Le Touzé

Marqué pour la vie

D'Artagnan Habintwali avait cinq ans lorsque les massacres ont commencé dans sa ville natale de Butare, dans le sud. Après plusieurs semaines passées à se cacher, il a été emmené à l'abri au Burundi voisin. De retour au Rwanda, Il a été président d'une association d'élèves et étudiants rescapés, l'AERG, qui l'a aidé à se reconstruire. Aujourd'hui, D'Artagnan vient de terminer ses études. Mais le jeune homme reste marqué pour toujours par les images qu'il a vues à l'époque.

« 20 ans, c'est comme si c'était hier » confirme Aimable Twahirwa, directeur local de l'ONG La Benevolencija, une organisation qui œuvre dans le domaine de la paix et de la gestion des conflits. Pour diffuser ses messages, La Benevolencija utilise le média le plus populaire en Afrique : la radio. Le feuilleton radiophonique Musekeweya met en scène deux villages situés sur deux collines concurrentes. À travers les conflits des personnages, les auditeurs, en majorité issus des régions rurales, apprennent à aborder différemment leurs différends de voisinage.

D’Artagnan HabintwaliImage : DW/A. Le Touzé

Tous Rwandais

En 20 ans, les Rwandais ont parcouru un long chemin pour réapprendre à vivre ensemble. L'une des premières mesures du gouvernement après le génocide avait été de supprimer l'appartenance ethnique de la carte d'identité. Désormais, plus de tutsi, plus de hutu ni de twa, mais seulement des Rwandais. Un autre moyen de favoriser la cohésion a été la réintroduction des travaux communautaires. Réparation de route, construction de maisons ou aménagement des bas-côtés... Tous les derniers samedis du mois, tous les habitants du pays, quel que soit leur niveau social, participent à l'« Umuganda ».

Le travail du TPIR

La réconciliation passe également par la justice. Un chantier de taille qui n'est toujours pas achevé après 20 ans. En novembre 1994, l'Onu a mis en place une juridiction internationale pour juger les principaux responsables du génocide : le Tribunal pénal international pour le Rwanda, basé à Arusha en Tanzanie. Le tribunal a rendu ses derniers jugements en première instance à la fin de l'année 2013. Il doit terminer ses travaux d'ici maximum un an. Au total, 65 génocidaires présumés ont été jugés par le TPIR, dont 38 ont écopé de peines de prison à vie.

Les locaux du TPIR à KigaliImage : DW/A. Le Touzé

Certains sont incarcérés dans des pays africains comme le Mali, le Bénin ou le Botswana. Certains des génocidaires qui avaient pris la fuite en 1994 ont par ailleurs été rattrapés par la justice des pays où ils vivaient comme réfugiés. C'est le cas par exemple d'Onesphore Rwabukombe, un ancien maire récemment condamné en Allemagne à 14 ans de prison.

Les gacacas ou la justice populaire

Au plan national, le gouvernement rwandais a mis du temps à reconstituer son système judiciaire et vient de commencer à juger les premières affaires renvoyées par le TPIR. Le gouvernement a réinstauré en 2001 les juridictions traditionnelles gacacas. Il s'agissait d'une mesure d'urgence. Des centaines de milliers de personnes avaient participé aux massacres et aux pillages entre avril et juillet 1994. Les prisons étaient combles, les listes d'attente des tribunaux nationaux interminables. Dans de nombreux villages, des rescapés du génocide vivaient à proximité directe de leurs anciens bourreaux, toujours en liberté.

Les enfants de Simbi ou le Rwanda qui regarde vers l'avenirImage : DW/A. Le Touzé

Dans ces tribunaux coutûmiers, pas d'avocat ni de juge, mais des membres de la communauté réputés pour leur intégrité. Entre 2005 et 2012, près de 2 millions de Rwandais ont ainsi été jugés à travers le pays. Deux tiers ont été condamnés à des peines de prison ou à des travaux d'intérêt général. Les organisations de défense des droits de l'homme internationales ont relevé de nombreuses erreurs judiciaires...

Un village réconcilié

À Simbi, dans le sud du pays, à 25km de la frontière du Burundi, la justice a aussi fait son travail. Dans ce village, les habitants ont réussi le pari de la réconciliation grâce à une association nommée Association Modeste et Innocent (AMI). Brigitte Uwamariya, journaliste à la radio communautaire Huguka, nous accompagne à la rencontre des membres de la coopérative agricole Duharanire Ubumwe N'Ubwiyunge (« Travailler pour la paix et la réconciliation »). Cette coopérative regroupe aussi bien des rescapés du génocide que des anciens génocidaires. Tous déclarent être tournés vers l'avenir et vers le développement économique.

Les membres de la coopérative de Simbi travaillent ensemble pour se développerImage : DW/A. Le Touzé

Tournés vers l'avenir

À Kigali aussi, le gouvernement mise sur le développement pour réconcilier le pays durablement. En cinq ans, le nombre de Rwandais vivant en-dessous du seuil de pauvreté a reculé de 12 points pour atteindre 45%. Des mesures ont été prises pour améliorer les domaines de l'éducation, de la santé et de l'agro-alimentaire.

Avec un peu plus d'un million d'habitants, la capitale est un symbole de la reconstruction rwandaise. Dans le centre, les chantiers fleurissent à tous les coins de rue : ici un complexe commercial de 18 étages, là un centre de conférence international. Le maire de Kigali, Fidèle Ndayisiba, est fier du chemin parcouru ces deux dernières décennies. Il pense que dans dix ans, Kigali sera « moderne et prospère ». D'Artagnan, de son côté, envisage l'avenir avec confiance. « Un jour, tout ira bien » confie-t-il en guise de conclusion.

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