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Le Sahel, haut lieu de contrebande au sud de l'Europe

Jan-Philipp Scholz | Konstanze Fischer
29 juillet 2025

Le Sahel est connu pour ses nombreux foyers de crise. Désormais, le trafic de drogue et d'êtres humains y est plus florissant que jamais, représentant aussi un défi pour l'UE.

Migrants en route pour la Libye via le Sahara
Après une période de relative accalmie, Agadez est redevenu un haut lieu de contrebandeImage : Joe Penney/REUTERS

Jour de grande affluence à la gare routière d'Agadez, dans le nord du Niger. Depuis des siècles, cette ville désertique est le point de jonction des routes commerciales entre l'Afrique de l'Ouest et le Maghreb. Et depuis toujours, la frontière entre les marchandises légales et les produits de contrebande est floue. Aujourd'hui, c'est le trafic d'êtres humains qui est considéré - au moins officieusement - comme la principale source de revenus de la ville. 

Dans la foule, Bamadou, un jeune Guinéen. Une fois de plus, il tente de mettre en garde les migrants qui espèrent gagner l'Europe contre des bandes criminelles actives dans le désert sahélien et de plus en plus brutales.

Bamadou sait de quoi il parle : lui aussi a tenté de se frayer un chemin vers l'Europe, avec l'aide de passeurs, avant de renoncer : "Ils viennent avec des battes de baseball, ils frappent les gens", raconte-t-il. "Il y a même un convoi de migrants qui est venu au mois de mars - il y a eu plusieurs morts : trois Sénégalais, deux Soudanais plus dix Guinéens."

Retour en arrière

En août 2023, peu après le coup d'État, les militaires et la Russie bénéficiaient d'un soutien fort au sein de la populationImage : AFP/Getty Images

En 2015, le gouvernement nigérien avait pourtant adopté une loi anti-contrebande, sous la pression de l'Union européenne. Elle avait permis l'arrestation de plusieurs passeurs en l'espace de quelques mois. Mais, en 2023, un coup d'État militaire change la donne : la loi est abrogée par les nouveaux dirigeants.

"Le nouveau pouvoir militaire a abrogé la loi un jour seulement après avoir conclu un nouvel accord militaire avec la Russie", rappelle Ulf Laessing, directeur Sahel auprès de la Fondation Konrad Adenauer, basé au Mali.On voit là une influence évidente de Moscou en arrière-plan".

Conséquence du retrait de la loi : le maire d'Agadez constate qu'en quelques semaines seulement, le business de la contrebande reprend de plus belle.

Boom du trafic de cocaïne

Une image similaire se dessine au Burkina Faso et au Mali, deux voisins du Niger, également dirigés par des militaires, proches de Moscou.

Pratiquement de manière concomitante à leur prise de pouvoir, la contrebande régionale a connu un nouvel essor. Le trafic de cocaïne en particulier a explosé : alors qu'entre 2015 et 2020, environ 13 kilos de drogue étaient saisies annuellement par les autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger, en 2022, le chiffre a atteint environ 1,5 tonne par an, selon plusieurs rapports de l'ONUDC, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime.

Et l'envolée semble se poursuivre : selon des données de 2024, il a suffi d'un seul contrôle à la frontière entre le Sénégal et le Mali pour saisir plus d'une tonne de cocaïne.

Le Sahel, plaque tournante du trafic de drogues, cela ne date pas d'hier. Ce qui a changé, c'est la qualité de la contrebande, explique Amado Philipp de Andrés, du bureau de l'Onu contre la drogue et le crime à Dakar :

"Nous voyons par exemple des semi-submersibles extrêmement sophistiqués qui peuvent transporter une demi-tonne de drogue. (...) Alors, oui, les gros poissons du trafic se trouvent toujours en Amérique latine, mais le niveau intermédiaire est constitué de relais en Afrique de l'Ouest et centrale. Ce sont ces femmes et ces hommes qui font le pont vers l'Europe. Ce sont eux qui blanchissent l'argent en multipliant les constructions dans les principales capitales".

Les djihadistes veulent leur part du gâteau

Le nouveau pouvoir financier des trafiquants de drogue est également alimenté par une corruption extrême, au niveau local, des fonctionnaires et des forces de sécurité. Là aussi, la perte d'influence de l'Europe au profit de la Russie a eu comme conséquence le gel ou même l'arrêt complet des programmes de lutte contre la corruption ou de promotion de la bonne gouvernance.

Enfin, un autre motif de préoccupation pour les observateurs de la région, c'est la nouvelle dynamique qui se développe entre trafiquants de drogue et djihadistes.

Jusqu'ici, ces derniers profitaient indirectement du commerce de stupéfiants en imposant par exemple des droits de passage aux camions transportant de la drogue. Mais avec l'essor du marché, certains groupes terroristes essayent de s'impliquer de plus en plus dans ce commerce lucratif.

Autant d'éléments qui devraient, selon Ulf Laessing de la fondation Konrad Adenauer, pousser l'Europe à ne pas négliger le Sahel et à reprendre rapidement pied dans la région, y compris dans son propre intérêt sécuritaire.

Collaboration : Tilla Amadou, Agadez