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ConflitsEmirats arabes unis

L’or, un enjeu stratégique pour les Émirats arabes unis

17 novembre 2025

L’or africain continue de nourrir des réseaux opaques. Alors même qu'ils ne disposent pas de mines d'or, les Émirats arabes unis sont devenus une plaque tournante mondiale pour l’or de contrebande.

RDC | Des lingots d'or artisanaux dans une main d'orpailleur à Luhihi, dans le Sud-Kivu (illustration)
L'or africain alimente un trafic qui génère des centaines de milliards de dollars chaque annéeImage : Alexis Huguet/AFP/Getty Images

Les Emirats arabes unis (EAU) s’intéressent de longue date à l’Afrique. Parce que le continent leur permet notamment d’accéder à des ressources qui manquent à leur pays aride, comme l’eau, les terres agricoles et les matières premières.

De par sa situation stratégique au carrefour commercial entre la mer Rouge, la Corne de l’Afrique et le Sahel, le Soudan revêt une place particulière dans la stratégie africaine des Emirats arabes unis.

La guerre qui déchire le Soudan depuis avril 2023 a compromis certains secteurs d’investissement, comme les ports ou l’agriculture, mais pas le trafic d’or, bien au contraire.

D’où l’intérêt de continuer à soutenir les FSR du général Hemedti qui contrôlent une grande partie des mines artisanales soudanaises, d’après Sébastien Boussois, directeur de l’Institut géopolitique européen, à Bruxelles: 

"Evidemment, leur objectif est à la fois l'extension des territoires possédés par leur soutien, c'est à dire Hemedti, en espérant qu'ils puissent évidemment continuer à conquérir de plus en plus de terres, sachant que leur priorité est l'agriculture, l'eau et l'or également", analyse ce chercheur en sciences politiques spécialiste du Moyen Orient.

Au souk de l'or à Dubai, le métal vendu provient en majorité de mines illégales en AfriqueImage : Amr Alfiky/Reuters

Des centaines de milliards de dollars

En 2024, les EAU ont importé près de 1 400 tonnes d’or, pour plus de 105 milliards de dollars. Plus de la moitié provenait d’Afrique (748 tonnes, soit une hausse de 18 % par rapport à l’année d’avant). Les Emirats arabes unis sont désormais la première destination de l’or africain.

Andreas Krieg, du King’s College à Londres, confirme que les affaires continuent pour les trafiquants d’or, même pendant la guerre.

"L'accord portuaire, celui d'Abu Dhabi, qui avait été annoncé en 2022, a été annulé par les autorités de Khartoum, rappelle Andreas Krieg. Et l'agriculture à grande échelle dans laquelle les Émirats arabes unis avaient l'habitude d'investir n'est plus une activité viable du fait de la guerre : le Soudan est lui-même confronté à toutes sortes de pénuries alimentaires."

Par conséquent, explique le chercheur, "le seul lien qui existe encore pour les Émirats arabes unis d'un point de vue commercial est le commerce des matières premières, le commerce de l'or."

Un intérêt à court et long terme

"Cette activité est extrêmement lucrative, poursuit Andreas Krieg, et génère beaucoup d'argent pour les Émirats arabes unis, mais surtout pour les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide, qui blanchissent l'or.

L'or est ensuite traduit en devises qu'ils peuvent utiliser pour acheter des armes et d'autres choses dont ils ont besoin. Les Émiratis jouent donc un rôle très important dans le maintien de l'économie de guerre du Soudan.

Les Émiratis espèrent ainsi que sur le long terme, ils seront en mesure de maintenir un pied dans ces réseaux logistiques et d'avoir accès à ces couloirs commerciaux lorsque la guerre sera terminée."

Ce qu'en retirent les FSR de Hemedti

Le journaliste soudanais Ummaya Yussuf résume ainsi les bénéfices que tirent les paramilitaires soudanais en échange de l’or qu’ils fournissent aux Emiratis:

"Ils reçoivent un soutien financier et militaire gratuit à travers la Libye et le Tchad, y compris la fourniture de moyens avancés tels que des drones et des plates-formes de communication comme celles récemment utilisés dans la chute de la ville d’al-Fasher, mais aussi le traitement médical des RSF, en particulier des commandants de haut rang, dans les hôpitaux des EAU."

L'or extrait en RDC transite par l'Ouganda et le Rwanda principalementImage : Alexis Huguet/AFP/Getty Images

De l'or qui alimente les conflits en Afrique

Selon l’ONG Swissaid, une grande partie de l’or importé aux Emirats arabes unis provient de circuits de contrebande et de zones de conflit. Les Émirats ont ainsi importé 29 tonnes directement du Soudan, un or qui transite par des pays voisins comme l’Égypte, le Tchad ou la Libye. En échange, ces pays bénéficient d'un soutien des EAU, soit à des groupes armés, soit au gouvernement (par le biais de formation militaire, par exemple, ou d'investissements dans les infrastructures). 

La régulation contournée

En 2023, les Emirats arabes unis ont adopté le “Due Diligence Regulations for Responsible Sourcing of Gold » pour atténuer les risques de trafic. Les non-conformités notifiées dans les rapports d’audits n’ont pas abouti à des sanctions et les quantités d’or douteux qui arrivent aux EAU sont en augmentation.

Swissaid écrit  : "En 2024, les EAU ont importé 31 tonnes d’or d’Ouganda (contre 14 tonnes en 2023) et 19 tonnes du Rwanda (contre 13,8 tonnes en 2023), deux pays qui produisent peu d’or mais servent de plaque tournante de l’or de contrebande provenant notamment de la République démocratique du Congo, où il est en partie lié aux conflits."

L’or illégal congolais transite essentiellement par le Rwanda et l’Ouganda. Ce dernier pays dispose d’ailleurs de plusieurs raffineries.

Au Sahel, les civils pris entre plusieurs feux

10:27

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Le Togo comme "voie de sortie" de l'or illégal

Marc Ummel, responsable du secteur industries extractives chez Swissaid, explique que les Emirats arabes unis s’approvisionnent aussi en or au Burkina Faso, au Niger. Les bouleversements politiques, comme les guerres, favorisent rapidement les réseaux de contrebande dans les Etats qui ne contrôlent pas le secteur.  Et là, parmi les "voies de sortie" qu’ils utilisent de plus en plus, il y a le Togo : plus de 50 tonnes importées aux EAU en provenance du Togo l’année dernière.

"Cet or n’est pas déclaré à l'importation au Togo, explique Marc Ummel. C’est tout de l’or qui provient de manière illégale des pays voisins, en particulier du Burkina Faso, du Niger, mais aussi d’autres pays de la région. Cet or arrive illégalement au Togo et ensuite il est exporté parfois légalement, parfois illégalement et ensuite importé aux EAU. Et là c’est très facile de voir que c’est de l’or illégal. Quand vous voyez de telles quantités qui proviennent d’un pays qui ne produit pas d’or et ne déclare pas d’or à l’importation, c’est automatiquement de l’or illégal, ce qui devrait mettre en alerte les autorités aux EAU.Cela montre une nouvelle fois que la réglementation n’est pas mise en œuvre aux EAU et qu’au Togo, on ferme les yeux sur ce commerce."

Que faire pour plus de transparence ?

La majeure partie de l’or de contrebande exporté vers les Emirats arabes unis pour y être raffiné est transporté par voie aérienne "soit en bagage à main, soit en soute, sur des vols de ligne ou des jets privés", précise Marc Ummel. Le chercheur estime que les aéroports de transit de cet or pourraient être mieux contrôlés car ces milliards de dollars ne sont pas taxés et échappent aux Etats de provenance et aux populations qui subissent en plus les retombées sociales et environnementales de l’exploitation illégale.

Outre la responsabilité des Etats producteurs, Marc Ummel souligne aussi celle des pays importateurs finaux et les industries qui devraient contrôler de façon plus stricte la traçabilité de l’or qu’ils achètent et soutenir la formalisation des mineurs artisanaux dans les pays d’origine.

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