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Economie

Les investissements chinois sous surveillance en Europe

Jean-Michel Bos
12 avril 2019

Le sommet UE-Chine s'est tenu le 9 avril à Bruxelles dans un contexte de défiance. Bruxelles souhaite mieux contrôler les investissements chinois dans les secteurs stratégiques. Un débat qui n'existe pas en Afrique.

Sommet entre la Chine et l'Afrique à Bruxelles le 9 avril
Sommet entre la Chine et l'Afrique à Bruxelles le 9 avrilImage : Reuters/O. Hoslet

Au vu de la dureté des termes employés, il semble bien que les Européens aient réalisé la dangerosité de certaines acquisitions chinoises en Europe. Dans une communication, publiée en mars, la Commission européenne décrit en effet la Chine comme un "concurrent économique dans la poursuite du leadership technologique" et un "rival systémique qui promet des modèles alternatifs de gouvernance".

Finalement, l'Union européenne et la Chine ont signé, à l'occasion du sommet à Bruxelles le 9 avril, une déclaration commune, annoncée durant une conférence de presse, qui garantit notamment un meilleur accès au marché chinois pour les entreprises européennes.

Mais le porte-parole de la Commission européenne, Margaritis Schinas, n'a pas dissimulé la nécessité d'assurer "un rééquilibrage" des relations commerciales et des flux d'investissements.

Nouveau système de contrôle

Méfiante face aux achats d'entreprises sur le vieux continent, l'UE vient en effet de mettre en place un contrôle accru des investissements étrangers. La Chine n'est pas directement nommée mais elle est clairement dans le radar des Européens.

Ce système de filtrage des investissements étrangers repose sur un mécanisme d'informations qui impose aux Etats membres de signaler tout investissement étranger dans des technologies sensibles.

"Avec le nouveau cadre de filtrage des investissements, nous sommes aujourd'hui beaucoup mieux armés pour faire en sorte que les investissements provenant de pays extérieurs à l'UE profitent réellement à nos intérêts", a déclaré le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Actuellement, 14 Etats membres de l'UE disposent de mécanismes nationaux de filtrage. L'Allemagne a adopté, en décembre dernier, un décret ramenant à 10% du capital, contre 25% auparavant, le seuil permettant à Berlin de bloquer des acquisitions étrangères. Le secteur des médias est aussi concerné.

Avant cela, en août 2018, Berlin avait mis son véto au rachat par le chinois Yantai Tahai du fabricant de machines-outils allemand Leifeld Metal Spinning.

L'Union européenne affirme posséder "un des régimes d'investissement les plus ouverts au monde" faisant du bloc des 28 "la principale destination des investissements directs étrangers dans le monde". Ainsi, les stocks d'investissements directs étrangers dans l'UE s'élevaient à 6.295 milliards d'euros à la fin de 2017.

Sommet UE-Chine à Bruxelles : le Premier ministre chinois Li Keqiang (gauche) et le président du Conseil européen Donald Tusk (droite)Image : Reuters/S. Vera

Fort recul des investissements chinois

En 2018, les flux d'investissements chinois au sein de l'UE ont toutefois continué de reculer, selon une étude publiée en mars par les cabinets Rhodium Group et Mercator institute for China studies (Merics).

Les firmes chinoises ont investit 17,3 milliards d'euros dans des acquisitions au sein de l'Union européenne, ce qui représente un recul de 40% par rapport à 2017 et même de 50% par rapport au pic de 2016 lorsque les achats chinois avaient atteint 37 milliards d'euros.

Selon le rapport de Rhodium Group et Merics, ce repli reflète le durcissement de Pékin à l'égard de nouvelles acquisitions par des groupes chinois surendettés, mais aussi un cadre réglementaire plus strict en Europe.

La boulimie d'achats chinois a en effet réveillé les craintes d'une Europe qui serait trop "naïve" face à l'agressivité commerciale chinoise. Le suédois Volvo Cars (automobile), l'italien Pirelli (pneus), les français Club Med (tourisme), St Hubert (margarines) et Lanvin (mode), les allemands Kuka et KraussMaffei (machines-outils) sont autant de fleurons industriels européens passés sous pavillon chinois.

Trois pays (le Royaume Uni, l'Allemagne et la France) attirent à eux seuls 45% des capitaux chinois, mais leur part a chuté depuis 2017. Les pays d'Europe orientale et l'Europe du Sud sont considérés comme moins attractifs mais ils se montrent plus compréhensifs envers Pékin.

L'Italie est ainsi devenue le mois dernier le premier pays du G7 à signer un protocole d'accord pour intégrer le projet des "Routes de la soie", à la suite d'autres pays européens comme la Grèce, le Portugal, la Hongrie et la Pologne.

Navires du groupe chinois Cosco dans le port grec du Pirée.Image : Imago Images/ZUMA Press

Athènes a cédé en 2016 son port du Pirée au géant chinois du fret Cosco, qui contrôle également en Espagne les ports à conteneurs de Valence et Bilbao.

Les entreprises portugaises ont ouvert leur capital à la faveur de la crise financière, recevant, toujours selon l'étude de Rhodium et Merics, six milliards d'euros de capitaux chinois qui ont ciblé sa première banque privée, l'assureur Felidade et le gestionnaire du réseau électrique (REN).

Mais il faut toutefois tempérer l'image d'investissements stratégiques pilotés à des fins politiques par le gouvernement chinois. En effet, la part des investissements chinois réalisés par les groupes étatiques contrôlés par Pékin a chuté de 71% et 41% entre 2017 et 2018.

Peu de débat en Afrique

Sur le continent africain, en revanche, ce débat n'existe pas ou du moins il se porte sur un autre domaine : celui de l'endettement des Etats du continent.

En effet, les Chinois investissent peu dans les entreprises africaines. L'exception la plus notable restant l'acquisition en 2008, pour 5,4 milliards de dollars, de 20% du capital de la Standard Bank d'Afrique du Sud par l'ICBC (Industrial and commercial bank of China.)

En 2016, les investissements directs chinois dans toute l'Afrique étaient à peine équivalents à ceux de la Chine en Allemagne et représentaient 14,1% du montant d'acquisitions opérées aux Etats-Unis. Ces flux financiers ont même reculé en 2016, pour atteindre 2,4 milliards de dollars américains contre 3,2 milliards lors du dernier pic de 2013.

En 2015, la moitié des investissements étaient dirigés vers six pays : l'Afrique du sud, l'Algérie, le Nigeria, la Zambie, la République démocratique du Congo et le Soudan.

Dans un article publié l'année dernière, Thierry Pairault, directeur de recherche au Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine de l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris (EHESS), évoque "un abandon stratégique de l'Afrique" par les flux d'investissements chinois. Un constat qui doit toutefois être relativisé par la progression spectaculaire des stocks d'investissements qui ont bondi de 491 millions de dollars américains en 2004 à 36,1 milliards en 2016.

Visite du président chinois Xi Jinping au Sénégal en juin 2018Image : Getty Images/AFP/Seyllou

Par ailleurs, les investissements chinois en Afrique sont souvent sous-estimés car ils ne prennent pas en compte les investissements d'argent chinois qui proviennent de paradis fiscaux, comme les Iles Vierges Britanniques ou Hong Kong. Ceux-ci ne comptabilisent pas non plus les prises de participations dans des entreprises qui possèdent des actifs en Afrique mais dont le siège social est situé, par exemple, en Europe.

Partenariat gagnant-gagnant

Malgré tout, sur le continent africain, la Chine prête avant tout de l'argent pour construire des infrastructures. "La Chine se comporte davantage comme un prestataire de services qu'un investisseur (...) l'Afrique est davantage un client qu'un partenaire", poursuit Thierry Pairault.

Avant d'être un investisseur massif sur le continent - dans le sens où des entreprises chinoises rachèteraient des entreprises africaines - la Chine fournit des marchandises et des services. De 2000 à 2017, le gouvernement chinois et les banques chinoises ont ainsi accordé 143 milliards de dollars de prêts aux gouvernements africains ou à leurs entreprises d'Etat.

Mais, ni la prise de conscience de l'Union européenne, ni les mises en garde du Fonds monétaire international sur l'endettement, ne semblent avoir d'écho en Afrique où les chefs d'Etat et de gouvernement assurent que la situation est "sous contrôle" et que le partenariat avec Pékin est "gagnant-gagnant".

Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos
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