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Les juges polonais défient le pouvoir

4 juillet 2018

La réforme de la justice polonaise vise 27 juges de la Cour suprême. L'Union européenne y voit une violation de l'indépendance de la justice.

Protest in Polen -"Gestohlene Gerechtigkeit"
Image : picture-alliance/ZUMA Wire/SOPA/O. Marques

Ce matin, Malgorzata Gersdorf s'est rendue au travail. Normalement, comme tous les matins. Sauf que cette Polonaise préside la Cour suprême de son pays et que les autorités voulaient la contraindre, ainsi que 26 autres juges, à partir à la retraite, dans le cadre d'une grande réforme de la justice très contestée depuis des mois, y compris par les instances européennes. La Commission a déjà enclenché une procédure d'infraction. 

La juge Malgorzata Gersdorf défie les autorités polonaisesImage : picture-alliance/AP Photo/C. Sokolowski

Officiellement, les juges visés (27 sur 72 que compte la Cour) ont atteint l'âge de 65 ans, qui justifie désormais qu'ils partent à la retraite. Mais les magistrats soupçonnent l'exécutif de vouloir les mettre à l'écart afin de les remplacer par d'autres juges plus proches du pouvoir. La présidente Malgorzata Gersdorf a ainsi déclaré mercredi matin être "là pour défendre la Constitution, l'indépendance de la justice et la démocratie."

Un acte de désobéissance puisque le chef de l'Etat Andrzej Duda lui a signifié mardi que, pour lui, elle était déjà à la retraite, et qu'un autre juge s'était vu confier l'intérim. En réaction, Malgorzata Gersdorf a désigné le même juge pour gérer ses dossiers "en son absence", ce qui sous-entend qu'elle veut garder ses fonctions.

Ce matin, des manifestations en soutien aux juges de la Cour suprême, à VarsovieImage : Reuters/M. Goclowski

Mateusz Morawiecki en appelle aux "traditions" devant le Parlement européen

A Varsovie, des milliers de sympathisants des juges évincés se sont rassemblés aux abords de la Cour suprême. Parmi leurs slogans : "les juges sont inamovibles !" ou "tribunaux libres !".

Pendant ce temps, le Premier ministre conservateur, Mateusz Morawiecki, défendait la réforme de la justice devant le Parlement européen de Strasbourg. "Chaque Etat membre de l'UE a le droit de façonner son système judiciaire en fonction de ses propres traditions."

Le Premier ministre polonais plaide pour les réformes en arguant devant le Parlement européen du lourd "héritage communiste"Image : Reuters/V. Kessler

Mateusz Morawieck a ainsi rappelé que certains de ces juges étaient en place à l'époque communiste et mentionné les "survivances de pratiques" que les Européens qui ont eu "la chance de vivre du bon côté du rideau de fer" ne peuvent pas comprendre. Extrait de ses déclarations :

"Parfois, on nous considère mal, nous les Européens de l'est. Notre initiative judiciaire n'est pas supposée entrer en compétition avec l'UE, elle doit la compléter. Nos partenaires de l'Ouest ont parfois du mal à comprendre les réalités de l'Europe centrale, dans laquelle nous vivons, nous Polonais. Parce que vous avez eu la chance de ne pas souffrir de 50 ans de communisme, que vous étiez, vous, du bon côté du rideau de fer. De notre côté à nous, la vie était tout autre. Et les transformations de 1989 n'ont pas empêché la survivance de pratiques issues du communisme dans le nouveau système."

Vers des sanctions européennes

Si le Premier ministre polonais se voit acculé de la sorte, c'est que les eurodéputés lui sont plutôt hostiles. Le chef du groupe PPE conservateur l'a enjoint de "sauver l'Etat de droit".

La Commission européenne a déclenché une procédure d'infraction inédite contre le gouvernement polonais en réaction à la réforme qui prévoit que le gouvernement ait le contrôle de l'appareil judiciaire, ce qui, du point de vue européen, est contraire aux valeurs de séparation des pouvoirs défendues par et dans l'Union européenne.

Explication de la procédure d'infraction

Les nouvelles dispositions prévoient ainsi que le chef de l'Etat puisse prolonger ou non le mandat des juges de la Cour suprême, sans recours possible à sa décision – soit l'exact contraire d'une justice indépendante garantie par les chartes et traités européens.

Pas de privation de droit de vote

La Commission donne un mois à la Pologne pour répondre aux problèmes pointés et y remédier. Si les autorités polonaises ne se conforment pas à la demande de Bruxelles, la Commission pourrait saisir la Cour de justice européenne (CJUE), en vue d'infliger des sanctions financières.

Il est toutefois peu probable que la Commission dégaine son arme absolue : la privation d'un Etat membre de son droit de vote au sein des instances européennes. Une menace jamais appliquée jusqu'à présent.

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