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Mbembe déplore la division de l’opposition camerounaise

Dirke Köpp
10 octobre 2018

A en croire l’historien et philosophe camerounais Achille Mbembe, l'opposition aurait dû désigner un candidat unique pour affronter dans les urnes le président Paul Biya lors de l'élection présidentielle du 7 octobre.

Verleihung des Gerda Henkel Preises 2018
Image : Stephan Brendgen

"Le Cameroun est en voie de mobutisation accélérée" (Achille Mbembe)

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Les Camerounais attendent toujours la proclamation des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 7 octobre. Lundi, 24 heures seulement après le scrutin, le candidat de l’opposition Maurice Kamto s’est déclaré vainqueur, ce qui a suscité la colère du pouvoir. Au micro de Dirke Köpp, l’historien et philosophe camerounais Achille Mbembe, estime que l'opposition aurait dû désigner un candidat unique pour affronter dans les urnes le président Paul Biya. 

Le prix Gerda Henkel 2018 

Achille Mbembe a reçu le prix de la Fondation Gerda Henkel qui récompense tous les deux ans un chercheur qui s’est distingué dans le domaine des sciences humaines sociales.

Le prix attribué a été décerné à Düsseldorf, en Allemagne, et s'élève à 100.000 euros. 

Cliquez sur le la photo principale pour écoutez l'entretien avec Achille Mbembe. En voici aussi la transcription. Il répond en premier à la question sur l'auto-proclamation de Maurice Kamto et comment celle-ci pourrait compliquer davantage la situation au Cameroun :

Achille Mbembe lors de la remise du prix Gerda HenkelImage : Stephan Brendgen

Achille Mbembe Elle [la situation] est déjà passablement compliquée. Et malheureusement tout indique que elle va se compliquer davantage encore. D'une part parce que la candidature de Monsieur Biya après 36 ans de règne est une candidature de trop. Le Cameroun a besoin de changer de cap, de fond en comble. Et après 36 ans d'immobilisme et d'abandon, l'impératif en ce moment est de faire redémarrer ce pays dont la stabilité est cruciale pour l'ensemble de la sous-région, voire pour l'ensemble du continent. Or, les élections qui viennent de se dérouler dans les conditions que l'on sait, c'est à dire avec une guerre civile en cours en région anglophone, une guerre anti-terroriste au nord contre Boko Haram, une loi électorale tout à fait unique dans le sens où elle est faite sur mesure et permet l'élection d'un président sans légitimité, à la minorité, à cause d'un système d'une élection à un tour… Tout cela fait que la situation risque de se compliquer davantage. Et si je comprends bien, Monsieur Kamto s'est auto-proclamé président. La réaction du pouvoir en place risque d'être ce qu'elle a toujours été : c’est à dire dire plus de brutalité, plus de violence, plus de corruption.

Est ce que vous pensez que c'est la bonne façon de Monsieur Kamto de faire?

Je ne veux pas me prononcer sur la bonne façon. Ce que l'on sait c'est que dans des situations comparables en Afrique, l'opposition doit aller aux élections, si elle veut y participer, derrière un candidat. On n'a pas du tout d'exemple en Afrique où une dictature est mise à la porte avec une opposition en rangs dispersés. Cela n'a pas été le cas. Ceci dit : la question de la légitimité de ce régime, c'est la question qu'il nous faut poser.

Apparemment il a été soutenu par Akere Muna qui s'est désisté au profit de Maurice Kamto. Qu'est ce que cela va engendrer maintenant?

Maurice Kamto Image : Reuters/Z. Bensemra

Je ne voudrais pas faire le procès de l'opposition. L'opposition au Cameroun, elle est limitée, ça on le sait. Elle travaille dans des conditions assez pénibles, du fait de la structure du pouvoir dans le pays. Elle part dans la compétition avec beaucoup de handicaps, à la fois financiers, logistiques, infrastructurels et ainsi de suite. On aurait souhaité que les principaux leaders de l'opposition lors de cette élection eussent fait une coalition dès le départ – pas à la dernière minute ! Cela aurait créé une dynamique, déclenché une dynamique victorieuse qui nous aurait fait l'économie du chaos qui transpire en ce moment. Le véritable procès, c'est celui d'un régime qui en 36 ans aura mis à bas ce pays dont le potentiel est connu de tous. Il n'arrivera pas du tout à faire en ce temps supplémentaire ce qu'il n'aura pas été à même d'accomplir en trente six ans d'un pouvoir illimité. C'est ça, la raison des conflits qui s'annoncent à l'horizon.

C'est surtout quelqu'un qui a déjà 85 ans et qui 7 ans aura 92. Qu'est ce qu'il peut faire pour la jeunesse?

Mais il a eu 36 ans de pouvoir. Il n'a rien fait en 36 ans. Son bilan est calamiteux. Il a placé le pays dans une trajectoire semblable à celle que des dictateurs comme Mobutu Sese Seko ont établi dans le cas du Zaïre. Le Cameroun est en voie de mobutisation accélérée. Il faut strictement rien attendre de ce régime.

Le président Paul Biya et sa femme Chantal le jour de l'électionImage : Reuters/Z. Bensemra

Surtout d'un président qui n'est quasiment jamais dans son pays.

Mais il est indifférent à la souffrance de son peuple. Beaucoup de gens en sont à se référer à l'idiome du diable pour le nommer. Il a fait des choses qui dépassent l'imagination. Il est temps qu'il parte. Alors comment organiser son départ ? Telle est la grande question qui se pose aux Camerounais. Manifestement, il a encore du soutien dans certaines régions du pays, malgré le fait que ceux qui le soutiennent sont tout aussi perdants que ceux qui ne soutiennent pas. Mais j'imagine que c'est une question d'ordre général que l'on retrouve à peu près partout ailleurs dans le monde aujourd'hui. Comment se fait il que les pauvres votent pour des gens qui vont, disons, les esquinter ?

Pendant la campagne électorale on a ressenti un genre d'ethnicisme monter. Quelle est la raison?

Mais c'est parce que ce régime est fondé précisément sur la radicalisation des sentiments ethniques et tribaux. Ce n'était pas le cas lorsque moi je grandissais au Cameroun dans les années 60, 70, début 80. Il y avait un sentiment d'unité nationale. La référence ethnique, en fait, elle était tabou dans le champ politique. Ce régime a ouvert les vannes à une tribalisation très accélérée de la vie politique nationale qui ne peut être résolue que par davantage de régionalisation, au besoin par le retour à un fédéralisme élargi et la restitution aux communautés du pouvoir de se gouverner elles-mêmes et de décider de ce qu'elles veulent devenir. Hors cette réforme fondamentale de l'état, j'ai bien peur que l'on aille la tête droit dans le mur.

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