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Au Niger, la délicate question de l'impunité

25 août 2023

L'affaire du détournement de fonds au ministère de la Défense remonte à 2020. Mais elle refait surface alors que les militaires sont désormais au pouvoir.

Manifestation contre la corruption
En 2020, un audit du ministère de la Défense a mis en lumière un scandale de détournements de fonds et de corruptionImage : ISSOUF SANOGO/AFP/Getty Images

La vie chère, l'insécurité, la mauvaise gouvernance notamment le clientélisme et la corruption de la classe politique… Au Niger, les putschistes ont justifié leur prise de pouvoir par des motifs divers. Or, ce sont ces mêmes généraux putschistes qui exerçaient de hautes responsabilités au sein de l'armée touchée, en 2020, par un scandale de corruption et de détournements de fonds.

Le montant initial de 76 milliards de francs CFA, environ 116 millions d'euros, détourné du Trésor public a finalement été ramené, à l'issue de l'enquête, à 12,1 milliards, soit 18,5 millions d'euros. Des chiffres qui restent toutefois vertigineux et une affaire qui est encore bien présente dans les esprits des Nigériens.

Une affaire étouffée

En février 2020, un audit du ministère de la Défense a mis en lumière une vaste entreprise de détournements de fonds et de corruption, entre 2014 et 2019, au sein de l'armée nigérienne.

"Ça a consacré l’impunité" Ali Idrissa

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Une grande partie du matériel militaire fourni par des entreprises étrangères, notamment russes, était surfacturé, faisait l'objet de faux appels d'offres ou n'était parfois pas livré.

Deux anciens ministres de la Défense, Mahamadou Karidjo et Kalla Moutari, et deux hommes d'affaires, Hima Aboubacar et Aboubacar Charfo, ont été mis en cause dans cette affaire, ainsi qu'un général, Wally Karingama.

Le nom des généraux putschistes n'est pas apparu dans l'audit mais le numéro 2 du régime militaire, le général Salifou Mody, a été chef d'état-major de 2020 à avril 2023, lorsqu'il a été remplacé à ce poste par le président Bazoum.

Selon Ali Idrissa, coordinateur pour la transparence et l'analyse budgétaire au sein de l'association "Publiez ce que vous payez" au Niger, l'affaire a été étouffée.

"Ça a consacré l'impunité pour les auteurs et co-auteurs de ces détournements. La justice a même été instrumentalisée pour sortir certains et les promouvoir à de hautes responsabilités. Il s'agit notamment du général Karingama qui a été sorti du dossier et nommé à un poste de responsabilité au niveau de l'Etat et a même siégé au Conseil de défense. Et aussi les opérateurs économiques qui continuent à bénéficier des mêmes marchés d'achat d'armes au ministère de la Défense” a-t-il expliqué à la DW.

El Hadj Idi Abdou était ancien rapporteur général et administrateur de la Ligne verte pour recueillir plaintes et dénonciations contre la corruption au Niger.

Pour ce spécialiste de la lutte contre la corruption, qui est désormais vice-président de l'Alliance pour la paix et la sécurité au Niger, cette affaire doit être réglée, alors que les putschistes mettent en avant la bonne gouvernance.

"L’affaire s’est résumée en une transaction"

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"Parmi les raisons avancées pour renverser les régimes précédents, il y a la gouvernance. Au Niger, vous ne pouvez pas parler de la lutte contre la corruption ou de la gouvernance sans régler ce dossier. Or, l'affaire s'est soldée par une transaction, en réalité ce n'est pas une décision judiciaire" rappelle-t-il.

Des inquiétudes

En 2022, le porte-parole du gouvernement, Tidjani Idrissa Abdoulkadri, avait assuré que l'Etat aurait récupéré l'intégralité du montant des surfacturations, soit 12,1 milliards de francs CFA.

S'il souhaite également que l'impunité ne s'installe pas, Ali Idrissa reste toutefois dubitatif quant à l'issue de ce dossier.

"Notre inquiétude se pose au niveau du ministre de la Justice qui a été nommé dans ce gouvernement. On se dit qu'avec ce ministre, ce dossier peut encore dormir. Parce qu'il était quand même président de la Cour d'appel et ce monsieur ne nous donne pas confiance dans le sens de rendre justice au peuple nigérien” précise Ali Idrissa.

Alio Daouda, le nouveau ministre de la Justice et des droits de l'Homme, a en effet présidé le tribunal militaire et sa nomination à ce poste suscite de nombreuses interrogations quant à une réelle volonté de lutter contre l'impunité.