Les objectifs d'Israël en Syrie
21 juillet 2025
En Syrie, le pouvoir islamiste de transition est de plus en plus fragilisé par son incapacité à protéger les minorités.
Après le massacre de centaines d'alaouites en mars, des affrontements intercommunautaires, dans le sud de la Syrie, ont fait plus de 1.260 morts la semaine dernière, selon un nouveau bilan publié lundi par l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Ces affrontements ont opposé des miliciens druzes à des tribus sunnites bédouines, avant l'intervention des forces de sécurité qui auraient pris le parti des sunnites.
Israël, qui abrite également une importante communauté druze, est ensuite intervenu par des frappes aériennes en Syrie, dont la capitale Damas, officiellement pour protéger cette minorité.
Pour le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, Israël ne tolérera aucune "menace" contre ses "frères druzes". Les Druzes sont une minorité religieuse au Proche-Orient. Issue de l'islam chiite, la communauté compte près d'un million de membres, répartis dans les zones frontalières entre la Syrie, le Liban et Israël.
Damas dénonce une volonté de déstabiliser la transition
En face, le pouvoir de transition à Damas a dénoncé un faux prétexte pour permettre à l'armée israélienne de cibler les infrastructures civiles et chercher à faire dérailler les efforts de paix et de reconstruction dans la Syrie.
"Nous, le peuple syrien, savons très bien qui essaie de nous entraîner dans la guerre et qui travaille à nous diviser", a déclaré le président de transition Ahmad al-Chareh, ajoutant que "nous ne leur donnerons pas l'occasion d'entraîner notre peuple dans une guerre qui ne sert qu'à fragmenter notre patrie et à semer la destruction”.
Les frappes de la semaine dernière sur Damas s'inscrivent dans une escalade de la campagne militaire que l'armée israélienne mène en Syrie. Ces bombardements étaient devenus plus fréquents depuis la chute du régime de l'ancien dictateur Bachar al-Assad, en décembre, remplacé par un pouvoir islamiste avec à sa tête Ahmad al-Chareh, un ancien chef djihadiste.
Selon Charles Lister du Middle East Institute basé à Washington, Israël a mené près d'un millier de frappes sur la Syrie et occupe 180 kilomètres carrés du pays depuis décembre 2024, sans que Damas ne riposte.
Le mode opératoire d'Israël est "la force"
Israël et la Syrie sont officiellement en guerre depuis 1967 et l'occupation par Israël du plateau du Golan syrien, avant d'annexer cette zone stratégique à la frontière entre les deux pays en 1981. La communauté internationale considère néanmoins le plateau du Golan comme un territoire syrien, sous occupation militaire israélienne. Les États-Unis et Israël reconnaissent le territoire comme étant israélien.
Après la chute de Bachar al-Assad, les troupes israéliennes se sont déplacées au-delà d'une zone démilitarisée, le long de la frontière israélo-syrienne qui est surveillée par les Nations unies, depuis un accord de cessez-le-feu de 1974 entre les deux pays.
"Israël essaie de se tailler une zone tampon informelle dans le sud de la Syrie", estime Ryan Bohl, spécialiste du Moyen-Orient, dans une interview avec l'agence de presse Bloomberg.
"Les récentes frappes sont un message au gouvernement de Damas qu'Israël suit avec intérêt et inquiétude ce qui se passe en Syrie", note Yossi Mekelberg, professeur de relations internationales à la Regent's University de Londres. "L'un des problèmes avec le gouvernement israélien actuel est que son seul modus operandi est l'utilisation de la force", ajoute-t-il.
"Il y a des pressions en Israël pour protéger les Druzes, car il existe une alliance longue et profondément enracinée entre les Druzes et les Juifs en Israël", explique Yossi Mekelberg.
Près de 150 000 Druzes vivent en Israël et les hommes de cette communauté servent régulièrement dans l'armée israélienne.
En Syrie, avec quelque 700 000 membres, la communauté druze constitue l'une des plus grandes minorités du pays.
Benjamin Netanyahu est sous pression
Pour Yossi Mekelberg, le timing des dernières frappes israéliennes est également déterminant. Mercredi dernier, Benjamin Netanyahu, visé dans un procès pour corruption, a dû comparaître devant un tribunal.
Son gouvernement de coalition est également très fragilisé. Deux partis l'ont quitté au début du mois et l'on pourrait se diriger vers des élections législatives au début de l'année prochaine.
Benjamin Netanyahu, visé par un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, subit également une pression de plus en plus forte de la part des États-Unis et de l'Union européenne pour mettre fin à la guerre à Gaza.
"Compte tenu du cynisme et de l'opportunisme incessants de Benjamin Netanyahu, il pourrait utiliser des situations [telles que les affrontements impliquant la minorité druze de Syrie] pour détourner l'attention de ses affaires juridiques et de la crise au sein de sa coalition", estime Yossi Mekelberg, professeur de relations internationales à la Regent's University de Londres.
A la fin de cette semaine, le Parlement israélien entrera en pause estivale, ce qui va aussi mettre en pause la politique intérieure jusqu'en octobre.
Israël veut affaiblir la Syrie
L'autre objectif d'Israël serait d'affaiblir la Syrie pour qu'elle ne puisse plus représenter une menace. Le ministre israélien d'extrême droite, Bezalel Smotrich, affirme même ouvertement que la Syrie doit être "démantelée".
Aujourd'hui, "le pouvoir à Damas est sorti affaibli des récents affrontements. Il a été forcé de battre en retraite militairement et a perdu la confiance non seulement de la communauté druze, mais aussi des différentes communautés qui ne sont pas alignées avec l'État", observe Nanar Hawach, expert de la Syrie au sein du groupe de réflexion International Crisis Group.
"Damas a également perdu géopolitiquement, car le gouvernement est désormais moins présent dans le sud, en particulier à Soueida".
Il doute qu'Ahmad al-Chareh puisse tenir sa promesse et protéger la minorité druze.
"Cela semble être plus un geste politique qu'une garantie crédible", estime Nanar Hawach, qui rappelle que les forces gouvernementales sont accusées d'avoir commis des exactions et des exécutions sommaires contre des civils druzes.
"Si Damas ne réforme pas son approche sécuritaire et ne demande des comptes à ses forces, le pouvoir aura du mal à convaincre les Druzes, ou d'autres communautés minoritaires, qu'il peut véritablement assurer leur sécurité".