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"Même la mort ne peut pas stopper la volonté des migrants"

30 novembre 2022

Le réalisateur de cinéma Ousmane Samassekou a tourné deux ans dans la Maison du migrant, dans le nord du Mali. En est sorti son film "Le dernier refuge".

Le réalisateur malien Ousmane Samassékou à l'Afrika Film Festival Köln 2022
Le réalisateur malien Ousmane Samassékou à l'Afrika Film Festival Köln 2022Image : Anne Le Touzé/DW

L’Afrique n’a peut-être presque plus de salles de cinéma mais elle a des cinéastes qui ont des histoires à raconter. C'est ce qu'a montré la 19e édition du Festival du film africain qui s'est tenu en septembre à Cologne, dans l'ouest de l'Allemagne. Une partie de la programmation était consacrée à la collection “Generation Africa”: des films documentaires réalisés par de jeunes cinéastes africains et produits en partenariat avec la Deutsche Welle Akademie.

Le réalisateur malien Ousmane Samassékou y a présenté "Le dernier refuge", un documentaire issu de deux ans de tournage à la Maison du migrant, un refuge situé aux portes du désert dans le nord du Mali. Deux ans au cours desquels Ousmane Samassékou a recueilli des témoignages forts et intimes d’exilés de passage qui veulent tenter la traversée du Sahara ou qui en sont revenus brisés.  “Le dernier refuge” a obtenu le prix du public du Festival de Cologne dans la catégorie documentaire.

Ousmane Samassékou a voulu faire ce film pour comprendre ce qu'a pu vivre son oncle, disparu il y a des décennies en essayant de partir pour l'Europe. 

  

Interview avec Ousmane Samassékou, par Anne Le Touzé


Je voulais raconter une histoire personnelle, familiale, qui est l'histoire de mon oncle parti il y a 32 ans de cela et 32 ans après, on n'a toujours pas de ses nouvelles. Je me suis dit que ça serait bien d'aller questionner la mémoire de cet oncle. Au début, je ne voulais même pas tourner dans un lieu précis, je voulais juste tourner dans le désert et raconter des histoires différentes sur l'immigration. Au fur et à mesure que le projet avançait, j'ai participé à un atelier à Ouagadougou et c'est là bas que j'ai appris l'existence de ce lieu. En 2018.


DW: Le lieu dont on parle, c'est la Maison du migrant. Est-ce que vous pouvez la décrire ?


La Maison du migrant est une maison qui se trouve à Gao, à la frontière  entre le Mali et l’Algérie. Pas loin du désert. Dans cette maison, les migrants peuvent venir et repartir comme ils veulent. C'est une maison de transition qui accueille ceux qui arrivent et ceux qui repartent.

J'ai décidé de poser ma caméra dans ce lieu parce que j'ai été impressionné par les gens, par la présence d'une jeune fille du nom de Natacha qui est là bas depuis plus de sept ou huit ans et qui ne se souvient plus d'où elle vient, qui elle est, ni comment retourner chez elle.

Je me suis dit qu’en documentant son histoire, à travers elle, je pourrais parler de l'histoire de mon oncle. Et c'est ainsi qu’a commencé l'aventure et comme j'ai fait beaucoup de cinéma direct, à travers ça, on a pu documenter aussi d'autres arrivées et d'autres histoires de migrants sur le lieu.


DW: On entend beaucoup de témoignages qui sont très, très forts. Qu'est-ce qui vous a le plus impressionné dans cette aventure ?


Ce qui m'a le plus impressionné, c'est la solidarité humaine que ces personnes ont, déjà, entre elles, mais aussi c'est la volonté de partir et de réussir, en fait, quelle qu’en soit la raison. C’est une volonté incroyable qui est là, que la mort même ne peut stopper, en fait.


DW: On voit quelques personnes à la Maison du migrant qui ont vraiment des problèmes psychiques de par leur expérience de migration. Est-ce que vous avez rencontré beaucoup de personnes qui étaient marquées comme ça, physiquement et mentalement, par leur traversée?


Oui, absolument. Au moins 20 % de ceux qui reviennent du désert reviennent avec des traumatismes parce qu'ils ont subi des tortures, des violences ou qu’ils ont vu tellement de morts sur leur chemin que ça les a perturbés.

Quand ils arrivent dans ce lieu, cela leur permet en fait de renouer avec la vie, de renouer avec l'humanité, de renouer avec la santé physique et psychologique. Ces personnes se retrouvent dans un état d'attente, de récupération et c'est assez incroyable, ces différentes histoires qui sortent pendant ces moments.
 


DW: Vous avez fait un film sur le thème de la migration. Je voudrais savoir maintenant à quel point ce thème est présent dans dans les productions cinématographiques et de documentaires actuellement sur le continent.

 

C'est une thématique d'actualité et ce qui fait la différence, c'est que c'est une thématique qui a été beaucoup en fait traitée par les autres. Et aujourd'hui il y a un regain de jeunes documentaristes africains qui fait que c'est le sujet qui les intéresse parce que ça parle de leur génération.

Longtemps, nous avons été filmés par les autres. Longtemps, nous avons été montrés par les autres et aujourd'hui, on se montre nous-mêmes, avec notre propre point de vue.

En fait, ça nous ramène à nos propres histoires. Et puis ça fait que nos communautés ici voient documentées, écoutées et se voient raconter leur propre histoire par un confrère qui va pas aller dénaturer ce qu'ils sont ni ce qu'ils ont dit.