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Pandora Papers : l’évasion fiscale au plus haut niveau

4 octobre 2021

Plusieurs médias dont la DW révèlent que d’actuels et anciens dirigeants mondiaux sont affiliés à des sociétés nichées dans des paradis fiscaux offshores.

Banderole du Consortium international des journalistes d’investigation
Banderole du Consortium international des journalistes d’investigation

Les comptes offshores sont souvent utilisés pour gérer et déplacer secrètement de grosses sommes d'argent dans le seul but, pour les vrais propriétaires, de cacher leur véritable richesse.

L'enquête, menée par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) et une équipe de 150 organes de presse – dont le service turc de la DW – ont révélé que 330 personnalités publiques dans le monde ont des liens avec des comptes offshores.

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Les documents examinés montrent à quel point les opérations offshores secrètes sont mêlées à la politique financière mondiale.

Les ministres des Finances du Pakistan, des Pays-Bas et du Brésil sont tous liés à des sociétés offshores, tout comme les anciens ministres des Finances de Malte et de la France – y compris l'ancien chef du Fonds monétaire international Dominique Strauss-Kahn. 

Selon l'ICIJ, les Pandora Papers montrent que de puissants dirigeants qui pourraient aider à mettre fin au système offshore en profitent plutôt - en cachant des actifs dans des sociétés secrètes et des trusts.

Et leurs gouvernements ne font pas grand-chose pour ralentir un flux mondial d'argent illicite qui enrichit les criminels et appauvrit les Etats.

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De Blair à Babis : l'élite européenne en trompe-l’œil

Tony Blair, ancien Premier ministre britannique Image : Dan Kitwood/Getty Images

L'ancien Premier ministre britannique Tony Blair s'est prononcé contre l'évasion fiscale pendant des décennies mais les documents révèlent que lui et sa femme ont pu posséder un immeuble de 8,8 millions de dollars (7,6 millions d'euros) lorsqu'ils ont racheté une société immobilière offshore à la famille du ministre de l'industrie et du tourisme de Bahreïn, Zayed bin Rashid al-Zayani.

En achetant les actions de l'entreprise - et non la maison directement - Blair et son épouse Cherie ont pu éviter d'avoir à payer des impôts fonciers équivalant à 400.000 dollars.

Les Blair et les al-Zayanis ont déclaré qu'au départ, ils n'étaient pas au courant de leur implication dans l'accord. Cherie Blair a, de son côté, déclaré que son mari n'était pas impliqué dans la transaction. L'entreprise est désormais fermée.

Le Premier ministre tchèque Andrej Babis, un milliardaire arrivé au pouvoir en 2017 avec la promesse de lutter contre la corruption, est également cité dans les Pandora Papers.

Les documents divulgués montrent qu'en 2009, Andrej Babis a injecté 22 millions de dollars dans une série de sociétés écrans pour acheter un manoir avec deux piscines et un cinéma dans un village perché de la Côte d'Azur, près de Cannes.

Investigace.cz a constaté que la propriété des sociétés écrans et des maisons n'était pas répertoriée dans ses déclarations de patrimoine. Andrej Babis n'a pas réagi aux allégations.

Le président ukrainien Volodymyr ZelenskyImage : Anna Moneymaker/Getty Images

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky détenait également une participation dans une société écran enregistrée dans les Iles vierges britanniques.

Un mois avant sa victoire à l'élection présidentielle d'avril 2019, l'acteur devenu homme politique a discrètement vendu ses actions de la société Maltex en tant que bénéficiaire effectif - une personne qui a le pouvoir d'influencer les transactions boursières. Il l’a vendu à Sergiy Shefir, un ami proche et partenaire commercial. 

Un document de juin 2019 montre que Sergiy Shefir a conservé sa participation dans Maltex après avoir rejoint l'administration de Zelensky.

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L'énigme Kenyatta

Le président Uhuru Kenyatta, qui est issu de l'une des dynasties politiques les plus connues du Kenya, avait fait campagne avec une plateforme anti-corruption et a appelé à la transparence en politique. 

Uhuru Kenyatta, le président kényan Image : Gordwin Odhiambo/AFP/Getty Images

Mais des documents divulgués montrent que Uhuru Kenyatta et sa mère sont les bénéficiaires d'une fondation secrète au Panama.

D'autres membres de la famille, dont trois frères et sœurs, possèdent cinq sociétés offshore avec des actifs d'une valeur de plus de 30 millions de dollars, selon les documents.

Uhuru Kenyatta et sa famille n'ont pas non plus répondu aux sollicitations de l'ICIJ.

Egalement cités dans cette enquête, le président congolais, Denis Sassou Nguesso, son homologue gabonais, Ali Bongo et le Premier ministre ivoirien, Patrick Achi.

Jets privés et œuvres de Picasso

Les Pandora Papers révèlent les véritables propriétaires de plus de 29.000 sociétés offshores. Certaines sont utilisées pour cacher des comptes bancaires, des jets privés, des yachts, des manoirs et des œuvres d'art de Picasso et Banksy.

L’émir du Qatar Sheikh Tamim bin Hamad al-Thani Image : Qatar Emirate Council/dpa/picture-alliance

Le roi Abdallah II de Jordanie a acheté trois manoirs en bord de mer pour un total de 68 millions de dollars à Malibu par le biais de sociétés offshores durant le printemps arabe, lorsque les Jordaniens ont envahi les rues pour protester contre la corruption et le chômage.

Les documents secrets ont également démasqué la princesse marocaine, Lalla Hasnaa, en tant que propriétaire d'une société écran qui a acheté une maison de 11 millions de dollars dans le quartier chic de Londres, près du palais de Kensington. 

Hasnaa a effectué l'achat en utilisant des fonds de la famille royale marocaine, selon les documents qui énuméraient sa fonction comme étant "Princesse".

Mohammed bin Rashid Al Maktoum, Premier ministre des Emirats arabes unis et émir de Dubaï, était actionnaire de trois sociétés enregistrées dans des juridictions secrètes.

Des stars de la pop et du sport

La chanteuse ShakiraImage : Al Diaz/Miami Herald/TNS/Newscom/picture alliance

La chanteuse colombienne Shakira et l'ancienne superstar indienne du cricket Sachin Tendulkar ne sont que quelques-uns des autres noms liés aux sociétés offshores.

L'avocat de Shakira a déclaré que ses comptes offshores avaient été déclarés et qu'ils n'offraient aucun avantage fiscal.

Les avocats de Tendulkar n'ont pas répondu aux demandes de l’équipe d’investigation.

Plus de 130 milliardaires 

Le leader populiste tchèque Andrej Babis n'est pas le seul milliardaire démasqué : plus de 130 autres de Turquie, de Russie, d'Inde, des Etats-Unis, du Mexique et d'autres pays ont des liens avec des comptes offshores.

Le milliardaire et magnat turc de la construction, Erman Ilicak, avait des liens avec deux sociétés offshores - toutes deux inscrites au nom de sa mère en 2014. L'une des sociétés détenait des actifs du conglomérat de construction de la famille et a gagné 105,5 millions de dollars de dividendes au cours de sa première année d'exploitation, selon les documents financiers confidentiels.

Au moment de cette publication, Erman Ilicak n'avait pas répondu à nos sollicitations.

En Turquie, c’est la société du magnat turc, Ronesans Holding, qui a construit le palais présidentiel d'environ 1.150 chambres pour le président turc, Recep Tayyip Erdogan. 

DW Turkish est le seul média turcophone à avoir participé à l'enquête, alors qu’en Turquie la répression continue contre les médias indépendants et les journalistes.

L'enquête baptisée "Pandora Papers" a mis au jour plus de 29.000 sociétés offshores.Image : ICIJ-Inkyfada-Tayma Ben Ahmed

Pourquoi les paradis fiscaux sont problématiques

Voici comment fonctionnent les sociétés offshores : elles commencent souvent avec quelques centaines de dollars seulement. Il y a des agents qui aident à créer une société offshore dont les propriétaires réels vont demeurer dans l'anonymat.

Moyennant 2.000 à 25.000 dollars, ces agents peuvent créer une fiducie, ou trust, qui, dans certains cas, permet à ses bénéficiaires de contrôler leur argent tout en n'étant pas légalement responsables de leurs actes. Un peu de paperasserie et de créativité aident à protéger les actifs des créanciers, des forces de l'ordre et des services fiscaux.

Posséder des sociétés offshores et effectuer des transactions financières à travers les paradis fiscaux sont parfaitement légaux dans de nombreux pays - mais la pratique a fait l'objet d'un examen minutieux.

Les personnes qui utilisent ces comptes disent qu'ils sont nécessaires pour exploiter leurs entreprises. 

Les détracteurs, cependant, affirment que les paradis fiscaux et les opérations offshores doivent être surveillés de plus près pour lutter contre la corruption, le blanchiment d'argent et les inégalités dans le monde.

Selon Gabriel Zucman, expert en paradis fiscaux et professeur agrégé d'économie à l'Université de Berkeley en Californie, l'équivalent de 10 % du PIB mondial est détenu dans des paradis fiscaux à l'échelle mondiale.

Lakshmi Kumar, directrice de Global financial integrity, a déclaré à l'ICIJ et aux médias affiliés que lorsque les riches cachent de l'argent par le biais de l'évasion fiscale, cela a un impact direct sur la vie des gens.

"Cela affecte l'accès des enfants à l'éducation, à la santé et à un logement", a-t-elle déclaré. 

Combien d'argent est acheminé vers les paradis fiscaux - et où ?

En raison de la nature complexe et secrète du système offshore, il n'est pas possible de connaître le montant exact lié à l'évasion fiscale et à d'autres crimes et combien a été signalé aux autorités.

Le montant total d'argent acheminé des pays à taux d'imposition plus élevé vers les paradis fiscaux avec des taux d'imposition nettement inférieurs est inconnu. Cependant, selon une étude de 2020 de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), basée à Paris, au moins 11,3 billions de dollars sont détenus offshore.

De gros sous sont acheminés vers les paradis fiscaux Image : Robert Schmiegelt/Geisler-Fotopress/picture-alliance

Comment la fuite a-t-elle été possible ?

Le Consortium international des journalistes d'investigation a obtenu une mine de dossiers contenant 11,9 millions de documents confidentiels et a formé une équipe de plus de 600 journalistes issus de 150 médias. Ils ont passé deux ans à les passer au crible, à rechercher des sources et à fouiller dans les dossiers des tribunaux et autres documents publics de dizaines de pays.

Les documents divulgués proviennent de 14 sociétés de services offshore du monde entier qui ont créé des sociétés écrans pour des clients cherchant souvent à garder leurs activités financières dans l'ombre.

Les Pandora Papers arrivent cinq ans après l'enquête historique des Panama Papers qui a indigné le monde en 2016. Les révélations ont donné lieu à des descentes de police, les législateurs ont adopté des dizaines de nouvelles lois dans des dizaines de pays et ont conduit à la chute de plusieurs politiciens de premier plan, dont le Premier ministre d'Islande et du Pakistan.

Rectification : Une version antérieure de cet article indiquait à tort que l'émir du Qatar, Tamim bin Hamad Al Thani, gérait un yacht par le biais de sociétés offshore. Les Panama Papers ont plutôt révélé que c'était Hamad bin Jassim bin Jaber Al Thani, ancien Premier ministre du Qatar, qui gérait un super yacht de 300 millions de dollars par le biais de sociétés offshore. (Actualisé le 08.10.2021).

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