Les Pays-Bas présentent des excuses pour 250 ans d'esclavage
Rémy Mallet | Sascha Brinkmann
19 décembre 2022
Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte présente ses excuses officielles pour le rôle joué par l'Etat dans l'esclavage, qu'il qualifie de "crime contre l'humanité".
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Le discours du Premier ministre néérlandais Mark Rutte était très attendu. "Aujourd'hui, je présente des excuses au nom du gouvernement néerlandais pour les actions de l'Etat néerlandais dans le passé: à titre posthume à tous les esclaves du monde entier qui ont souffert de cet acte. À leurs filles et fils et à tous leurs descendants", a déclaré le chef du gouvernement.
À l'apogée de son empire colonial, les Provinces-Unies, connues aujourd'hui sous le nom de Pays-Bas, possédaient des colonies comme le Suriname, l'île caribéenne de Curaçao, l'Afrique du Sud et l'Indonésie, où la Compagnie néerlandaise des Indes orientales était basée au XVIIe siècle.
Regard sur un passé qui saigne
Ces dernières années, les Pays-Bas ont commencé à regarder en face l'héritage de leur rôle dans l'esclavage. Avec le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, le débat a ressurgi dans le pays, où le racisme reste une souffrance pour des ressortissants des anciennes colonies.
Jennifer Tosh est une descendante directe de personnes réduites en esclavage par les Hollandais. Elle a fondé Le Black Heritage Walks Network, un réseau visant à mettre en lumière les réalisations de la communauté afro-caribéenne. L’organisation de cette neérlando-américaine a longuement fait pression pour obtenir des excuses officielles pour le passé colonial néerlandais.
“Les Néerlandais se sentent exceptionnels, pas comme les Britanniques, pas comme les Français, pas comme les Portugais. Cela a donné l'impression que, nous n'étions pas si mauvais que ça. Et ce n'était pas ici. C'était toujours ailleurs. Loin des yeux, loin du cœur. Cette façon nostalgique de romancer l'histoire a fait réfléchir les gens : "Eh bien, c'est quoi toute cette agitation autour des réparations ?”, explique-t-elle.
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Des profits toujours là
Les Pays-Bas ont été parmi les derniers pays d'Europe à abolir l'esclavage. Mais son impact économique se fait toujours sentir, explique Pepijn Brandon, professeur d’histoire sociale.
“Nous devons envisager les choses sur un plan beaucoup plus large, plus systémique pour comprendre cette place importante que les Pays-Bas continuent d’occuper dans l'économie mondiale. Les Pays-Bas sont un petit pays avec un secteur financier très robuste. Cette place assez centrale dans l'économie mondiale est un héritage de sa longue implication dans la colonisation”, estime-t-il.
L'esclavage a contribué à financer le "siècle d'or" néerlandais, période de prospérité grâce au commerce maritime aux XVIe et XVIIe siècles. Le pays a procédé à la traite d'environ 600.000 Africains, principalement vers l'Amérique du Sud et les Caraïbes.
Ghana : commémoration de 400 ans d'esclavage
En 1619, le premier navire d'esclaves africains atteignait les Etats-Unis. Le Ghana a donc déclaré 2019 année de commémoration, mais aussi "année du retour" pour encourager la diaspora africaine à revenir.
Image : picture-alliance/CPA Media
En route pour le Portugal
La traite des esclaves d'Afrique de l'Ouest était déjà florissante avant que les premiers esclaves ne soient vendus aux États-Unis. À la fin du XVe siècle, des navires portugais amenaient déjà des esclaves africains dans leur pays. La côte ouest de l'Afrique, occupée par les Européens, devient alors de plus en plus un point de commerce pour les esclaves emmenés aux USA, aux Caraïbes ou au Brésil.
Image : Imago Images/Leemage
Commerce triangulaire transatlantique
Le commerce triangulaire fonctionnait selon un système bien précis : les commerçants européens apportaient armes, textiles ou alcool sur les côtes de l'Afrique de l'Ouest. Ils échangeaient tout cela contre des esclaves qu'ils achetaient à des marchands africains ou arabes. Les esclaves étaient échangés contre des matières premières convoitées, comme le café ou le coton en Amérique.
Image : gemeinfrei
Transports cruels
Les conditions de vie pendant la traversée de l'Atlantique étaient inhumaines : l'espace sur les navires négriers était utilisé jusqu'au dernier centimètre. Les esclaves étaient littéralement empilés les uns sur les autres. Ils étaient enchaînés et n'avaient pas assez de nourriture ou d'eau. Les esclaves malades étaient simplement jetés par-dessus bord pour éviter les infections.
Dans le "Nouveau Monde", les esclaves travaillaient dans des plantations de coton et de canne à sucre dans des conditions difficiles. Les propriétaires de ces plantations s'enrichissaient. Les esclaves, eux, restaient pauvres. D'autres esclaves travaillaient comme ouvriers portuaires, faisaient des ménages en ville, ou travaillaient dans les mines. Les punitions et les abus étaient quotidiens.
Image : picture-alliance/CPA Media
Violence physique
La violence faisait partie du quotidien de nombreux esclaves : ils étaient fouettés, devaient porter des menottes et étaient marqués au fer chaud. Les "propriétaires" pouvaient décider s'ils étaient autorisés à nouer une relation. Les esclaves n'avaient aucun droit. Leur seul espoir était d'être libéré. Ces menottes sont aujourd'hui exposées dans un musée en Côte d'Ivoire.
Image : Reuters/L. Gnago
Les Africains de l'Ouest particulièrement visés
Au XVIIIe siècle, la traite transatlantique des esclaves atteint son apogée. Les Africains de l'Ouest représentent alors environ les deux tiers des prisonniers du continent emmenés en Amérique. Cette carte montre les ports côtiers d'où partent les navires. On ne sait pas exactement combien d'Africains ont été réduits à l'esclavage, mais des estimations évoquent 40 millions de personnes.
Image : gemeinfrei
L'Allemagne a aussi participé au commerce des esclaves
Le prince électeur de Brandebourg, Friedrich Wilhelm, fit construire la colonie "Groß Friedrichsburg" sur la côte ghanéenne actuelle. En raison de ses métaux précieux, le Ghana s'appelait à l'époque "La côte de l'Or ". De là, les Brandebourgeois participèrent au commerce triangulaire. À partir de 1685, environ 30.000 esclaves furent expédiés vers le "Nouveau Monde".
Image : picture-alliance/akg-images
En souvenir des morts
A Adidwan, un village de la région Ashanti au Ghana, Nana Assenso visite la tombe de son grand-oncle Kwame Badu. Le nom a été donné à son grand-oncle en mémoire d'un ancêtre qui a été vendu comme esclave. Depuis, le nom a été transmis dans la famille. Le fils de Nana Assensos s'appelle aussi Kwame Badu.
Image : Reuters/F. Kokoroko
Le mémorial de Nuhalenya Ada
Les Britanniques ont interdit la traite des esclaves en 1808. Cette interdiction a été confirmée par le Congrès de Vienne en 1815. Mais le commerce perdurera jusqu'en 1870 environ. Aujourd'hui, les ruines d'anciennes forteresses d'esclaves sur la côte du Ghana rappellent cette époque. Ici, l'artiste ghanéen Kwame Akoto Bamfo a créé un mémorial dans le village de Nuhalenya Ada.