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EconomieAfrique

Pour tout l’or de l’Afrique

Jean-Michel Bos
28 décembre 2020

La contrebande de métal jaune fait perdre des milliards de dollars au continent. Son trafic génère évasion fiscale et blanchiment d’argent tandis que la RDC est pillée par ses voisins.

Mine d'or artisanale en République centrafricaine.
Mine d'or artisanale en République centrafricaine.Image : Issouf Sanogo/AFP

Les flux financiers illicites sont un terme technique qui résume plusieurs phénomènes connus : la contrebande, le blanchiment d'argent, la corruption et le financement du terrorisme.

Ces flux illicites de capitaux représentent, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement(Cnuced), 88,6 milliards de dollars qui disparaissent chaque année du continent africain, ce qui équivaut à 3,7% du Produit intérieur brut de l'Afrique.

Cette fuite des capitaux a des conséquences graves sur les investissements publics puisque, toujours selon la Cnuced, elle se traduirait par une chute de 25% des investissements dans la santé et 58% dans l'éducation.

« La réduction des flux financiers illicites peut aider les pays africains à mobiliser des capitaux pour financer la réalisation des objectifs de développement durable et d'autres priorités nationales », rappelle Paul Akiwumi, directeur pour l'Afrique et les pays les moins développés au Cnuced.

Il manque ainsi près de 200 milliards de dollars à l'Afrique pour réaliser les objectifs de développement durable. La fuite des capitaux en représente près de la moitié.

Le rôle central de Doubaï

Parmi ces capitaux qui quittent chaque année le continent africain, la fausse facturation des exportations représenterait 30 à 52 milliards de dollars, essentiellement lié à la contrebande d'or : celle-ci représente 77% de la sous-facturation des exportations de minerais en Afrique, suivi par le diamant (12%) et le platine (6%).

L'or représente la principale source de fuite de capitaux.

Le commerce mondial de l'or passe par trois grands acteurs : la Suisse, la Chine et les Emirats arabes unis. Ce dernier acteur est relativement récent, il représente une nouveauté liée à la politique de diversification lancée par Doubaï qui souhaite se détacher de la dépendance au pétrole. 

Aujourd'hui, les importations d'or aux Emirats arabes unis pèsent 27 milliards de dollars et l'un des moteurs de cette croissance est l'or en provenance d'Afrique et extrait de manière artisanale.

Selon un rapport de l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel, l'or produit en Côte d'Ivoire dans les régions du centre, du nord et de l'est est « illégalement acheminé par avion jusqu'au Mali, au Burkina Faso et au Ghana, d'où il est exporté vers Doubaï. » 

Au Niger, l'or produit artisanalement est « détourné vers le Togo et le Bénin, avant d'être exporté à Doubaï » par les services du Dubai multi commodities center, un organisme réglementaire chargé de l'importation de métaux précieux.

Le classement des producteurs d'or en Afrique illustre une large variété de producteurs dominés par le leadership du Ghana mais une attention particulière doit être accordée au septième sur la liste, la République démocratique du Congo (RDC) dont les mines d'or, souvent artisanales, sont pillées par les pays voisins, le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi.

Le cas particulier de la RDC, septième producteur d'or en Afrique.

Le Service d'assistance et d'encadrement du small scale mining dénombre 1174 mines d'or artisanales en RDC, qui comptent toutes moins de 50 creuseurs.

En 2018, la production d'or artisanal dans ce pays était officiellement de 246,27 kilos mais trois ans plus tôt, une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques établissait une estimation officieuse de 10 à 15 tonnes.

L'histoire de l'or en RDC repose en effet sur ce genre d'écart entre les chiffres officiels et ce qui est ensuite négocié par les négociants de Bukavu et Butembo. C'est ce même or qui disparait ensuite en direction du Rwanda, du Burundi et de l'Ouganda pour ensuite se retrouver dans les souks ultramodernes de Doubaï.

Le racket de l'armée congolaise

Mais n'allons pas trop vite. Car à la base, il y a les mines d'or artisanales et déjà à ce stade, l'or échappe au contrôle des autorités congolaises. Ou presque.

La carte des sites miniers s'étale le long de la frontière est de la RDC, dans les deux Kivus et l'Ituri, en longeant la Tanzanie, le Burundi, le Rwanda et l'Ouganda : quatre Etats qui ne se privent pas de profiter de cette proximité géographique pour se procurer de l'or dont l'origine est incertaine et souvent vendu par des groupes armés.

Dans la province du Sud-Kivu par exemple, les Maï-Maï Yakutumba financent leur activité de guérilla en taxant l'or des mines de Misisi en territoire de Fizi. Puis ils revendent cet or à des négociants de Bukavu. 

Celui-ci prend ensuite la direction de Kigali et Bujumbura avant de rejoindre les chaînes d'approvisionnement internationales.

Selon le rapport 2020 du Groupe d'étude sur le Congo, un autre groupe armé, les Maï-Maï Malaika, dont le chef est Sheikh Hassani, avaient installé un site de concassage et de traitement de l'or à Lotissement, un quartier de Salamabila, dans la province de Maniema, qui lui rapportait au moins 17.000 dollars par mois.

Là encore, Bukavu était la principale destination de l'or en provenance de Salamabila, avant que les FARDC, les forces armées congolaises, ne délogent Sheikh Hassani de son repère, en janvier 2020.

Si le code minier interdit la présence des militaires sur les sites d'extraction, les FARDC se sont déployées en 2019 et 2020 autour du périmètre de la mine de Namoya, toujours à Salamabila, qui avait été attaquée par les Maï-Maï Yakutumba. 

Mais de nombreux témoignages recueillis par les experts de l'Onu indiquent que les soldats congolais taxent les creuseurs à leur passage, ceux-ci devant verser des pots-de-vin en espèce pour accéder à la concession.

« Trois sources au fait du dossier ont déclaré que certains membres des FARDC envoyaient de l'argent découlant de ces activités à la hiérarchie de la 33e région militaire », poursuivent les experts. 

Le commandant de la 33e région militaire est un proche de l'ancien président Joseph Kabila : le général Muhindo Akili Mundos, visé depuis 2018 par les sanctions des Nations unies.

Le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi exportent de l'or qui provient de RDC.

Bagages à mains

Dans son roman L'Or, Blaise Cendras raconte l'histoire du général Suter, un Suisse ruiné par la découverte d'or sur ses terres lors de la ruée de 1848 en Californie.

La RDC est un peu dans la même situation, incapable de protéger son or. 

Le pays est celui de la région des Grands Lacs qui produit le plus d'or artisanal tout en étant celui qui en exporte le moins. Parallèlement, le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda exportent beaucoup plus d'or qu'ils n'en extraient, 36 fois plus même dans le cas du Rwanda dont le métal jaune représente 66% des exportations.

A moins de considérer que ces trois pays ont découvert le secret de la pierre philosophale, la seule explication est que ceux-ci exportent l'or congolais apporté par des contrebandiers. 

La porosité des frontières, le rôle des groupes armés, la forte taxation des exportations et le peu de scrupule des négociants de Bukavu et Butembo font que l'or de la RDC se retrouve ensuite illégalement dans ces trois pays voisins.

A Butembo, au Nord-Kivu, le seul comptoir d'achat d'or, le Glory Minerals, n'a enregistré officiellement aucune exportation en 2019. Ce comptoir est cité depuis des années par le Groupe d'experts sur la RDC comme se fournissant en or auprès de sites non homologués dont beaucoup sont contrôlés par des groupes armés. 

Depuis Butembo, l'or est transporté vers Kampala tandis que les négociants de Bukavu, dans le Sud-Kivu, choisissent de l'acheminer vers Kigali ou Bujumbura. 

Un acteur joue un rôle central dans le commerce de l'or dans cette région : l'homme d'affaire Alain Goetz. Il est l'ancien propriétaire de l'African Gold Refinery, basée à Entebbe en Ouganda.

Cette raffinerie est épinglée depuis des années par l'Onu car elle refuse de livrer le nom de ses fournisseurs et est soupçonnée de blanchir l'or des conflits, acheté à des groupes armés, pour le recycler dans le circuit légal.

« Il est fort possible que de l'or de contrebande provenant de la République démocratique du Congo ait pu à l'occasion intégrer la chaîne d'approvisionnement de l'entreprise », affirment avec prudence les experts de l'Onu.

Alain Goetz est par ailleurs actionnaire, par le biais de la société immobilière Aldabra, de la raffinerie rwandaise Aldango qui a lancé son activité en 2019 et à propos de laquelle les Nations unies ont aussi de sérieux doutes sur l'origine de l'or.

Le constat est le même pour la raffinerie Equinoxe SARL, qui doit être bâtie à Bunia dans l'Ituri, et la Congo Gold Raffinerie, en cours de construction à Bukavu, qui devraient avoir du « mal à établir si l'or acheté n'a pas bénéficié à des groupes armés et des réseaux criminels », estime l'Onu.

Ensuite, vient la dernière étape et peut-être la plus rocambolesque : l'or est exporté vers Doubaï en utilisant toujours la même technique : à l'aéroport d'Entebbe ou de Kigali, les compagnies aériennes vendent des « sièges vides ». Les trafiquants utilisent ces sièges pour transporter de l'or caché… dans des bagages à main.

Les différences entre l'or qui sort officiellement de ces pays et celui qui rentre à Doubaï.
Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos
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