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En Centrafrique, les violences sexuelles restent impunies

Jean-Fernand Koena
23 décembre 2022

Les victimes se heurtent le plus souvent à l’inertie de la justice centrafricaine. Par ailleurs, une partie du territoire échappe au contrôle de l’Etat.

Des détenus présentés au juge du palais de justice de Bangui, en République centrafricaine, le mercredi 4 juin 2014
La justice peine à entendre les victimes de violences sexuellesImage : Jerome Delay/AP Images/AP Photo/picture alliance

Qu’il s’agisse de viols commis par des groupes armés ou de violences conjugales, la justice centrafricaine semble en effet incapable d’offrir une réponse à la hauteur des drames vécus par les victimes. Même en dehors des zones de guerre, la justice centrafricaine sous-estime encore trop souvent la gravité d’un viol.

"Les hommes armés m’ont attaché à un arbre avant de me violer collectivement. Je saignais puis ils ont uriné sur moi", témoigne  Agnès qui a été violée par des hommes appartenant à un groupe rebelle à Bambari, au centre du pays. Elle attend que la justice fasse son travail mais celle-ci semble se perdre dans ses incohérences.

Des rebelles de la Seleka à BanguiImage : Jerome Delay/AP Photo/picture alliance

En effet, le viol, qui est un crime, est souvent réduit au simple délit d’attentat à la pudeur, comme l’explique Narcisse Benoit Foukpio, procureur de la République au Tribunal de grande instance de Bangui.

Selon lui, "dans la pratique, l’infraction qui est définie par le législateur à travers l’article 86 parle d’attentat à la pudeur. Cette infraction n’est pas bien définie si bien que le juge, et d’autres acteurs judiciaires, ont tendance à confondre le délit d’attentat à la pudeur avec le crime de viol."

À cette difficulté s’ajoutent, dans le cas des viols commis par des groupes armés, des problèmes pratiques qui entravent la procédure, notamment la protection des victimes face à leurs agresseurs.

Narcisse Benoit Foukpio revient sur les problèmes évidents d’une justice qui ne peut s’exercer dans des zones encore sous la menace des rebelles.

L'ancienne dirigeante de la transition centrafricaine, Catherine Samba-Panza sur un marché de Bangui, en décembre 2020Image : Pressebüro Samba-Panza

"Dans le cadre de la répression des viols liés aux groupes armés, nous éprouvons des difficultés en ce qui concerne les investigations préliminaires. Il y a un grand problème en la matière, dans la mesure où les groupes armés qui sont dénoncés dans ces cas de viol sont encore actifs sur le territoire national, ils détiennent encore des armes, si bien que c’est difficile de mener les enquêtes", deplore-t-il.

Narcisse Benoit Foukpio ajoute qu'"il y a au moins deux ou trois cas qui ont fait l’objet des enquêtes par l’UMIRR (l’Unité mixte  d’intervention rapide et de répression des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants, ndlr),  mais ces cas n’ont pas encore fait l’objet de jugement devant les assises criminelles et nous sommes au stade des investigations parce que les victimes, les bourreaux, les auteurs présumés habitent le même milieu de vie et les investigations n’avancent pas rapidement. Nous sommes confrontés à un sérieux problème dans le cadre de la protection des victimes et des témoins, on n’a pas encore pu mettre en place un mécanisme de protection des victimes et des témoins."

Vision patriarcale de la justice

Au-delà du cas particulier des viols commis dans les zones de guerre, Magalie Bech, directrice de l’Institut Louis Joinet, un think tank qui travaille sur la réconciliation, dénonce une vision patriarcale de la justice.

Le reportage à Bangui de Jean-Fernand Koena

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"Malheureusement, pour beaucoup de magistrats, un viol qui est commis sur une personne qui est majeure ou un viol qui est commis sur une personne qui a plus de 15 ans ne va pas être qualifié de viol mais d’attentat à la pudeur, c’est-à-dire correctionnalisé. Donc il y a un problème d’application des textes déjà par les magistrats", soutient Magalie Bech.  "Un deuxième problème qu’on observe beaucoup c’est qu’il n’y a pas de motivation. Normalement, un juge, quand il rend sa décision, doit motiver c’est-à-dire expliquer, faire un raisonnement juridique dans lequel il explique pourquoi il condamne et là, malheureusement, les décisions ne sont pas souvent rédigées et motivées", conclut Magalie Bech.

Les organisations de défense des droits de l’homme appellent  à une réforme du Code pénal pour une réponse judiciaire capable de mieux protéger les victimes.

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